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Valeur probatoire d’une expertise amiable : nouvelle évolution de la jurisprudence. Par Alexandre Jeleznov, Avocat.
Parution : mercredi 27 mai 2020
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La troisième chambre civile de la cour de cassation vient de rendre un arrêt, publié au bulletin, qui atténue une nouvelle fois la valeur probatoire d’une expertise amiable, réalisée à la requête de l’une des parties au litige.
Cass. 3ème civ. 14/05/2020, n° 19-16278 et 19-16279.

Jusqu’à présent et au moins depuis un arrêt remarqué de chambre mixte du 28/09/2012, n°11-18.710, dont la solution a été depuis lors réitérée [1], la haute juridiction considérait, en effet, qu’un rapport d’expert amiable non contradictoire constituait une preuve que le juge ne pouvait refuser d’examiner, mais qui ne suffisait pas à fonder la condamnation d’une partie, en l’absence d’autres éléments.

Cette solution est désormais étendue à l’expertise amiable contradictoire, c’est-à-dire réalisée en présence de toutes les parties, par l’attendu suivant figurant dans la décision du 14/05/2020 :

« Vu l’article 16 du code de procédure civile :
(…)
Pour retenir la responsabilité de l’entreprise Y... B... et la condamner à réparation, le jugement rectifié se fonde exclusivement sur le rapport réalisé à la demande de M. X....
En statuant ainsi, le tribunal, qui s’est fondé exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties par un technicien de son choix, peu important que la partie adverse y ait été régulièrement appelée, a violé le texte susvisé.
 »

Le recours à l’expertise amiable faisait déjà l’objet de réticences de la part des praticiens à divers égards : risque de subjectivité (voire de parti pris) de l’expert mandaté et rémunéré par l’un des belligérants, absence de cadre procédural strict, caractère non-contradictoire du rapport dès lors que l’adversaire, même convoqué, n’a pas participé aux constats, etc.

Eu égard à la nouvelle position de la cour de cassation, il est probable que cette réticence ira croissant, quoiqu’il ne soit pas exclu que la décision commentée est d’espèce, et non de principe.

En l’état du droit positif, la seule alternative existante est l’expertise judiciaire, mais ce mode de preuve est sensiblement plus long et coûteux.

Dans certains litiges (construction, immobilier, corporel, automobile ou comptabilité, notamment) il demeure néanmoins incontournable.

Si la haute juridiction entend favoriser l’expertise judiciaire au détriment de celle amiable (ce qui est objectivement défendable), il nous paraît souhaitable que les textes du Code de procédure civile qui y sont relatifs soient dépoussiérés.

Car en l’état, la relative souplesse des règles permet aux parties et leurs conseils de jouer la montre et de multiplier les frais, tandis que les carences ou lenteurs de certains experts ne sont guère sanctionnées.

Maître Alexandre JELEZNOV Avocat au Barreau de BORDEAUX VERBATEAM AVOCATS https://www.verbateam.org/me-alexandre-jeleznov.htm

[1Cass. civ. 2ème 02/03/2017, n°16-13337 ; Cass. civ. 2ème 13/09/2018, n° 17-20099.

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