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Baux commerciaux : sanction du défaut d’entretien des parties communes par le bailleur. Par Bruno Houssier, Avocat.
Parution : vendredi 29 mai 2020
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Faute d’avoir « employé des efforts suffisants » pour assurer l’entretien des parties communes, ce qui avait engendré une dégradation de la commercialité du centre commercial, un bailleur peut se voir condamner à indemniser un locataire, à divers titres.

En vertu de l’article 1719 du Code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, non seulement de délivrer au preneur la chose louée, mais aussi d’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée et d’en faire jouir paisiblement le preneur, pendant toute la durée du bail.

L’article 1720 du Code civil fait également obligation au bailleur de réaliser, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives.

Bien que ces deux articles du Code civil soient supplétifs, on sait que la Cour de Cassation interprète de façon très restrictive les clauses ayant pour objet ou pour effet de libérer le bailleur de cette obligation de délivrance, en transférant sur le preneur l’obligation de réaliser les travaux d’entretien, de mise en conformité, ou de mise aux normes.

Dans un centre commercial dont le bailleur est propriétaire, même sous le statut de la copropriété, on assiste depuis quelques années à une évolution de la jurisprudence de la Cour de Cassation vers une notion d’obligation « particulière » de délivrance du bailleur, et notamment s’agissant de l’obligation d’entretien des parties communes, qui sont considérées comme des "accessoires nécessaires" aux locaux loués.

Après avoir dans un premier temps estimé que dans cette hypothèse le bailleur n’avait pas d’autre obligation de délivrance que celle d’un bailleur « ordinaire », elle a infléchi sensiblement sa jurisprudence pour finalement aboutir à reconnaître l’existence une obligation spécifique d’entretien des parties communes visant à « maintenir un environnement commercial favorable » au preneur [1].

Cette obligation particulière d’entretien des parties communes, qui est une obligation « de moyens » spécifique au bailleur dans un centre commercial, a de nouveau été consacrée par la Cour de Cassation, et précisée dans un arrêt en date du 23 janvier 2020.

Etant constaté en l’espèce que le bailleur avait manqué à ses obligations de délivrance et d’entretien des locaux « en ne procédant pas aux diligences nécessaires pour que le syndicat des copropriétaires remédie à l’insécurité et au mauvais entretien des lieux », et ayant retenu que « le dépérissement du centre commercial et sa désertification, en relation avec ces manquements, était à l’origine, au moins en partie, par un effet de chaîne, de la dégradation de la commercialité des lieux », la Cour de Cassation a jugé que la Cour d’appel de Versailles avait parfaitement justifié sa décision [2] en condamnant le bailleur à indemniser la société locataire du préjudice subi, tenant notamment à la rupture d’un important contrat de distribution et à la perte de chance qu’un tel contrat lui soit consenti.

Il était établi dans les faits que le bailleur n’avait pas « employé des efforts suffisants » pour assurer l’entretien des parties communes, et mettre fin à la fois :
- au dysfonctionnement du chauffage commun non seulement dans le local loué mais aussi dans les parties communes qui étaient des accessoires nécessaires à l’usage de la chose louée ;
- aux infiltrations constatées dans le plafond du local et le parking commun ;
- au défaut de sécurité qui avait affecté le centre commercial pendant plus de dix ans.

Il est donc établi désormais que faute de mobiliser les moyens nécessaires pour remédier à la dégradation de la commercialité d’un centre commercial dont il est propriétaire (et même s’il n’est propriétaire que pour partie au sein d’une copropriété dotée d’un syndic), le bailleur peut se voir condamner à indemniser un locataire :
- non seulement de la perte de marge réalisée sur le chiffre d’affaires liée à un contrat rompu ;
- mais aussi de la perte de chance de conclure des contrats de distribution avec de nouveaux fournisseurs.

Arrêt du 23 janvier 2020, n°18-19051 - Cour de Cassation - 3ème Chambre civile.

Bruno Houssier Avocat, spécialiste certifié en Droit commercial, des affaires et de la concurrence, et certifié en Droit des sociétés

[1Cass., 3° civ., 19 décembre 2012, n° 11-23541 ; Cass., 3° civ., 5 juin 2013, n° 12-14227 ; Cass. 3° civ., 23 juin 2015, n°14-12606 ; Cass. 3° civ., 26 mai 2016, n° 15-11307.

[2Arrêt du 26 avril 2018, 12ème Chambre, section 2.