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Quelle responsabilité pour le directeur d’EHPAD et son personnel soignant ? Par Jean Claude Arik, Juriste et Audrey Elfassi, Avocat.
Parution : vendredi 29 mai 2020
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Si en 1997, l’idée de créer des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) devait permettre à nos aïeux une prise en charge efficiente tant sur le plan de l’hébergement que sur un plan médical, la crise du coronavirus a révélé au grand jour le manque de moyens et de personnels auquel sont confrontés ses dernières années les EHPAD.

En effet, à ce jour, les statistiques publiés par santé publique France affichent près de 9 000 décès au sein des EHPAD.

Face à cette situation dramatique, les familles des pensionnaires ont d’ores et déjà indiqué leur ambition d’engager la responsabilité tant de la direction que du personnel soignant exerçant dans l’EHPAD au motif que le manque patent d’équipements ainsi que l’absence de réalisation des tests de dépistage ont eu pour effet d’aggraver la crise de la Covid 19 au sein de ces établissements.

1° La Défense pénale du directeur ou du personnel soignant poursuivi après le dépôt d’une plainte pénale ?

Confrontés à la survenance d’un sinistre ou même un décès, les proches de la victime sont bien souvent tentés d’engager pénalement la responsabilité du directeur ou du personnel soignant exerçant dans l’EHPAD.

A cet égard, l’étude des décisions jurisprudentielle a toutefois démontré qu’en tant que chef de l’établissement, le directeur est toujours le premier a être mis en cause par la famille de la victime. En effet, la direction ayant pour mission d’assurer la gestion des enjeux médicaux, sociaux, humains, administratifs, sécuritaires et financiers, il peut faire régulièrement l’objet de plaintes pénales.

D’autant que le chef de l’établissement peut voir sa responsabilité pénale engagée même s’il n’a pas causé directement le dommage mais qu’il est établi qu’il n’a pas pris toutes les dispositions permettant d’éviter la survenance du dommage.

En effet, la loi du 10 juillet 2000 prévoit que les auteurs indirects de l’infraction peuvent tout de même en être responsables, s’il est établi qu’ils ont commis une faute particulièrement grave concernant la sécurité des résidents.

2° Quelles sont les fautes pouvant être reprochées au directeur et au personnel soignant de l’EHPAD ?

Le panel des infractions pouvant être reprochées est particulièrement vaste. Pendant la crise du coronavirus, les plaintes sont essentiellement rédigées sur ces deux fondements :

- La mise en danger de la vie d’autrui.

Les familles des pensionnaires non décédés du coronavirus peuvent être tentés d’engager la responsabilité pénale du directeur de l’EPHAD pour mise en danger de la vie d’autrui.

Selon l’article 223-1 du Code pénal, la mise en danger de la vie d’autrui se définit comme :

« le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ».

Néanmoins, pour caractériser l’infraction, encore faut-il que le directeur ait commis les éléments constitutifs de l’infraction à savoir :

« la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi le règlement,
l’exposition à un risque de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente
une violation délibérée de l’obligation susmentionnée.
La jurisprudence n’a eu de cesse d’affirmer que la violation de l’obligation ne doit pas résulter d’une simple négligence ou d’une inattention mais qu’elle doit être délibérée
 » [1].

Ainsi, par exemple, les familles des pensionnaires semblent, entre autre, reprocher l’absence de réalisation de tests de dépistage du coronavirus permettant ainsi d’identifier et par la suite d’isoler les malades atteints de la Covid 19.

Néanmoins, compte tenu de ce qui précède, l’absence de réalisation des tests de dépistage ne devrait pas permettre d’engager la responsabilité du directeur de l’EHPAD puisqu’aucun texte légal ou réglementaire n’avait prévu l’obligation d’en réaliser. Et pour cause puisque la France n’en disposait pas en nombre suffisant.

En tout état de cause, il est important pour le directeur de l’EHPAD de bien se défendre car en plus des peines d’amende et d’emprisonnement encourues, le directeur peut être condamné à la peine complémentaire de l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise.

- L’homicide involontaire.

La famille du pensionnaire décédé du coronavirus pourra tenter d’engager la responsabilité du directeur de l’établissement du chef d’homicide involontaire.

Conformément à l’article 221-6 du Code pénal :

« Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende »

Conformément à la loi du 10 juillet 2000, l’auteur indirect ne peut voir sa responsabilité engagée que lorsqu’il commet une faute qualifiée tandis que la faute simple suffit à engager la responsabilité de l’auteur direct de l’infraction.

En l’occurrence, si le directeur de l’établissement sera généralement poursuivi comme auteur indirect en n’ayant pas permis d’éviter la survenance du dommage, le personnel soignant peut, quant à lui, être poursuivi es qualité d’auteur direct en ayant directement commis la faute.

De ce fait, il est essentiel de définir le contour de la faute simple et de la faute qualifiée dans le contexte du coronavirus.

Concernant le directeur de l’EHPAD : Comme évoqué précédemment, le chef de l’établissement a pour mission d’assurer la sécurité, la préservation de l’intégrité et de l’état de santé de l’ensemble des résidents.

Pour engager sa responsabilité, il faut démontrer l’existence d’une faute qualifiée. Autrement dit soit l’existence d’une faute caractérisée se définissant comme étant particulièrement grave laquelle a exposé autrui à un risque qu’il ne pouvait ignorer soit une faute délibérée qui se définit comme la violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement.

En tout état de cause, il devra être démontré que le directeur de l’EHPAD a failli à sa mission en commettant une faute particulièrement grave ayant pour conséquences le décès d’un pensionnaire.

Ainsi, par exemple, les familles d’un résident décédé pourrait reprocher au directeur d’avoir laisser pénétrer dans l’établissement des tiers ou des proches des résidents ce qui aurait entraîné la transmission du virus.

Cependant, il faut rappeler que l’obligation de sécurité à laquelle est soumise le directeur de l’établissement est une obligation de moyens et non de résultat. De ce fait, il pourra être avancé, qu’au début de la crise et s’agissant d’un virus inconnu, les connaissances scientifiques sur le virus n’étaient pas complètes. Ainsi le mode de transmission demeurait inconnu et il ne saurait être reproché à un directeur d’EHPAD d’avoir autorisé l’entrée de la famille du résident alors que même la communauté scientifique ne disposait pas des informations permettant de protéger la population.

Par conséquent, la faute du chef de l’établissement sera appréciée par le Tribunal à l’aune des connaissances dont pouvaient légitimement avoir connaissance les directeurs d’EHPAD.

Concernant le personnel soignant : Pour pouvoir caractériser l’infraction d’homicide involontaire, en tant qu’auteur direct, il suffit de prouver l’existence d’une faute simple.

Autrement dit, les familles devront prouver que le personnel soignant n’a pas accompli les diligences nécessaires à l’accomplissement de sa mission.

Ainsi, par exemple le fait de réaliser des soins à un pensionnaire sans avoir pris le soin de se laver les mains avec du gel hydro-alcoolique. Néanmoins, la preuve sera particulièrement difficile à rapporter pour les plaignants qui devront établir une causalité. Autrement dit, il faudra démontrer que le personnel soignant était atteint par le virus et que de surcroît c’est par ce biais que le virus a été transmis.

3° La Défense civile du directeur ou du personnel soignant de l’EHPAD.

Une fois exonérés de leur responsabilité pénale, la direction et le personnel de l’EHPAD peuvent encore se voir reprocher des fautes qui auraient pu être commises dans l’exercice de leurs fonctions.

En effet, les familles des pensionnaires ont la possibilité d’engager la responsabilité civile du directeur de l’EHPAD ainsi que du personnel soignant lorsqu’ils constatent qu’un dommage matériel ou corporel a été causé à la personne vulnérable.

L’engagement de cette responsabilité, destinée à obtenir la réparation financière du préjudice, pourra être engagée même si l’infraction pénale n’est pas caractérisée.

Toutefois, et ce n’est pas des moindres, la famille de la victime devra apporter la preuve que le directeur ou le personnel soignant a commis une faute lourde à l’occasion de son exercice professionnel.

A cet égard, la jurisprudence a eu l’occasion de préciser que la faute lourde était une faute d’une particulière gravité qui la rendait inexcusable.

Ainsi par exemple, concernant les dommages liés à la chute du lit, les plaignants devront prouver que la mise en place de la barrière de lit s’imposait compte tenu de la personnalité du pensionnaire, des antécédents, des affections dont il est atteint ou du comportement du malade.

Dans la situation de crise sanitaire, les contestations des plaignants ont été dirigées vers les EHPAD s’agissant du manque de surveillance ayant entraîné des fugues ou des suicides.

En effet, le directeur et le personnel soignant ont reçu pour consigne de la part du ministre de la santé, Olivier Veran, de ne pas laisser entrer les familles des pensionnaires à compter du 13 mars afin de limiter le risque de contamination.

Toutefois, privé de ses proches pendant près d’un mois, l’un des résidents d’un EHPAD a fugué et s’est malheureusement blessé pendant ses journées d’errance en milieu urbain.

Bien évidemment les proches du résident souhaitent obtenir réparation des préjudices subis par le pensionnaire en raison de ce défaut de surveillance.

Cependant, dans ces circonstances, la jurisprudence est constante et rappelle que si le directeur de l’établissement est en mesure de justifier de la présence des mesures de sécurité prises pour protéger les résidents (fermeture des portes, rondes de surveillance effectuées toutes les deux heures etc), sa responsabilité civile ne saurait être retenue.

A cet égard, il faut rappeler que les juges estiment que le niveau de surveillance et de protection ne saurait être le même à l’égard de tous les pensionnaires et doit nécessairement être adapté en fonction de l’état de santé et des antécédents.

Il en va de même face à la surveillance des résidents potentiellement suicidaires. Il est incontestable que la crise sanitaire a profondément déstabilisé moralement bon nombre de personne et plus largement les personnes dépendantes.

A ce titre, la jurisprudence s’est montrée particulièrement sévère à l’égard des EHPAD [2] en précisant que les EHPAD : « se voient imposer une obligation de vigilance renforcée ».

Toutefois, l’obligation de surveillance des résidents face au risque de suicide est une obligation de moyens qui sera nécessairement appréciée en fonction des antécédents du résident, de son état de santé, de la situation sanitaire de l’établissement.

En effet, les juridictions devront également tenir compte de la situation particulière dans laquelle se trouvait le personnel soignant et la direction des EHPAD dans la période de crise sanitaire afin d’apprécier in concreto qu’elles étaient les possibilités de l’établissement d’empêcher la survenance du passage à l’acte pour le résident.

En tout état de cause, les assurances souscrites tant par les résidents que par l’établissement lui même pourront sans aucun doute garantir certains préjudices qui pourraient être causés.

Jean Claude Arik, Juriste Droit Médical | Droit du Dommage Corporel | Droit de la Responsabilité Médicale Maître Elfassi, avocat Défense des Professionnels de Santé Droit Pénal des Professionnels de Santé https://www.elfassi-avocat.fr

[1Criminelle 2 septembre 2014, n°13-385.

[2TGI Montpellier, 25 avril 2016.