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Bars, cafés et restaurants, un dispositif de réouverture en question. Par Jacques-Alexandre Bouboutou, Avocat.
Parution : mardi 2 juin 2020
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Alors que le déconfinement franchit de nouvelles étapes, la réouverture des bars, cafés et restaurants se déroule en ordre lent et dispersé.

Ces lieux de convivialité se verront appliquer des mesures sanitaires sans précédent, ainsi que des mesures d’accompagnement dont le régime juridique pose question.

Les mesures sanitaires applicables aux cafés, bars et restaurants.

Le Premier Ministre Edouard Philippe a annoncé jeudi 28 mai 2020 que les cafés, restaurants et débits de boissons situés en zone verte sont autorisés d’accueillir à nouveau du public à compter du 2 juin 2020.

En anticipation, les organisations professionnelles représentatives des hôtels, cafés et restaurants ont édité le 22 mai 2020 un protocole de déconfinement commun à toute la profession sous forme d’un code de bonne conduite sanitaire ou protocole sanitaire.

Celui-ci décline les mesures qui seront imposées à ces établissements en vue de leur réouverture :
- port de gants et d’un écran visière ou d’un masque par les serveurs et port de charlottes ou filets en cuisine ;
- port du masque obligatoire pour les clients et possibilité de refuser l’entrée à toute personne présentant des symptômes tels que fièvre ou toux notamment ;
mise à disposition de gel hydroalcoolique ;
- espacement d’un mètre entre les tables ou séparation par des écrans et limitation à 10 personnes par table pour les groupes ;
- limitation de la circulation des menus (un par personne ou lavage de mains avant et après manipulation), une présentation orale ou par QR code étant privilégiée ;
- plan de circulation avec marquage au sol à l’entrée, au comptoir et devant les toilettes ;
- affichage des consignes sanitaires ;
- tenue d’un plan de nettoyage et de désinfection des surfaces qui devra se faire après chaque service.

La question de la distanciation sociale est primordiale dans l’équation eu égard au seuil de rentabilité souvent tendu, quelle que soit la surface utile de l’établissement, et au risque que ces mesures ne découragent une partie importante de la clientèle.

Le protocole sanitaire prévoit également une aération avec extraction de l’air vicié qui doit être renouvelé ce qui n’est pas sans poser difficulté dans les immeubles de copropriété lorsqu’il existe une opposition à l’installation d’un extracteur donnant sur les parties communes à proximité des logements.

Pour les bars et restaurants situés en zone orange, en Ile-de-France, à Mayotte et en Guyane, la réouverture complète est différée semble-t-il au 22 juin, ces établissements étant seulement autorisés dans l’intervalle à pratiquer l’activité de livraisons et de vente à emporter comme précédemment, et à exploiter leur terrasse s’ils en ont une.

En cas de non-respect des règles, une amende d’un montant de 135 euros [1], voire une fermeture administrative [2], sont susceptibles d’être infligées. En pareil cas, les exploitants disposent d’une voie de recours en saisissant en référé le tribunal administratif en vue d’obtenir la suspension de ces mesures si leur caractère infondé ou leur disproportion manifeste peut être démontrée.

Limiter la réouverture des bars et restaurants aux terrasses est-il légal ?

A compter du 2 juin, en zone orange, seules pourront être exploitées les terrasses pour les établissements qui en sont dotées, que celles-ci soient en devanture de plain-pied ou en toiture (« rooftops »).

La légalité de cette restriction interroge. Le Conseil d’Etat saisi à de multiples reprises de recours liés à la gestion de la pandémie de la Covid-19 a eu l’occasion d’opérer une distinction entre les lieux accueillant du public ouverts et ceux fermés et couverts, ces derniers présentant davantage de risques que les premiers [3].

Il était donc plus ou moins attendu qu’une distinction soit opérée entre les terrasses très largement ouvertes et les terrasses protégées par des écrans amovibles, d’une part, et les terrasses très largement fermées, d’autre part, avec une définition suffisamment large néanmoins pour englober les contre-terrasses, les toit-terrasses et les bâtiments flottants telles que les péniches disposant d’un espace ouvert.

Très attendue par les professionnels du secteur, cette mesure a cependant la conséquence immédiate d’entrainer une différence de traitement entre les exploitants titulaires d’une autorisation de terrasse et ceux qui ne le sont pas, et donc indépendamment de la topographie du lieu.

Si des différences de traitement entre établissements placés objectivement dans une situation différente sont concevables sans pour autant constituer une discrimination illégale, c’est à la condition que cette différence de traitement soit en rapport et proportionnée avec l’objet et le but poursuivis [4].

Il n’est pas certain que la différence de régime qui s’appliquera entre établissements ayant pour seul critère l’existence ou non d’une terrasse, avec une incidence considérable sur leur équilibre économique et l’état de la concurrence, soit proportionnée à l’objectif de santé publique poursuivi.

Il semble au contraire nécessaire de conjuguer ce critère avec d’autres ayant un rôle prépondérant dans le risque de propagation du virus, telles que la capacité d’accueil et la possibilité matérielle d’appliquer une distanciation sociale, ainsi que les gestes barrières.

Aussi, afin de limiter l’effet discriminatoire induit par cette mesure, il serait opportun qu’elle s’accompagne de dispositions visant à faciliter et fluidifier la délivrance des autorisations de terrasse.

Le régime de l’autorisation de terrasse en question.

Les autorisations de terrasse sont des autorisations d’occupation du domaine public viaire, les trottoirs et places publiques étant considérés comme accessoires de la voie dont ils constituent des dépendances.

Il incombe dès lors aux gestionnaires de ces voies, et donc essentiellement aux maires ou pour les voies départementales aux présidents de conseils départementaux, de les autoriser et aux organes délibérants des collectivités concernées de définir les conditions auxquelles ces autorisations sont subordonnées [5].

Ces organes locaux sont ainsi libres d’organiser comme ils l’entendent les procédures d’autorisation de terrasse qui ne constituent pas un droit, mais une autorisation personnelle octroyée à l’exploitant, temporaire, précaire, révocable et conditionnée à l’absence de gêne à la circulation et à l’ordre publics.

Les temps d’instruction de ces demandes sont généralement longs, de deux mois en principe, voire plus, alors même que l’établissement remplirait toutes les conditions pour obtenir l’autorisation. De plus, le silence de l’administration sur une demande vaut rejet implicite et non acceptation. Un amendement présenté par 14 sénateurs lors de la discussion de la loi PACTE du 22 mai 2019 visant à inverser cette solution en prévoyant que l’absence de réponse vaille autorisation tacite avait alors été écarté.

Compte tenu de l’impact de l’arrêt d’activité imposé aux exploitants et des répercussions économiques qui se feront sentir dans la durée, l’adoption de cette mesure, ainsi que l’adoption d’un délai d’instruction unique sur l’ensemble du territoire paraît nécessaire.

Un délai maximum d’un mois, à l’instar du délai d’instruction des déclarations préalables de travaux légers semble raisonnable. Il serait opportun que par engagements des exécutifs locaux ce délai soit dans la pratique encore plus réduit durant l’état d’urgence sanitaire.

En outre, les critères qui président à l’octroi d’une autorisation de terrasse ne sont pas unifiés sur l’ensemble du territoire. Si certaines communes se sont dotées d’un règlement sur les terrasses, certaines en demeurent dépourvus ce qui laisse un espace interstitiel à l’arbitraire dans les motifs de refus pouvant être opposés à de telles demandes.

Il serait salutaire que la loi vienne préciser, de façon limitative, les critères qui doivent présider à l’octroi des autorisations de terrasse et lister les avis des personnes publiques qui doivent être consultées dans le cadre de l’instruction de ces demandes en fonction des situations (préfet, maire d’arrondissement, commissariat de police, etc.).

Toute autorisation de terrasse donne en principe lieu au paiement d’une redevance fixée localement en fonction de l’avantage économique retiré de l’occupation privative à des fins lucratives du domaine public [6]. Certaines villes ont déjà annoncé qu’elles exonéreraient provisoirement les exploitants du paiement de la redevance, à l’instar de la Ville de Paris qui a mis en place une procédure déclarative simplifiée et gratuite avec un simple formulaire en ligne.

Cette mesure, pour avoir une assise légale, impliquera certainement l’insertion d’une dérogation aux articles L2213-6 du Code général des collectivités territoriales et L2125-1 du Code général de la propriété des personnes publiques.

Un équilibre fragile dans la durée.

Afin de soutenir la reprise d’activité des bars, cafés et restaurants, il paraît nécessaire d’aller au-delà des possibilités qui sont aujourd’hui offertes en termes de périmètres d’occupation tout en conciliant cet objectif avec l’impératif de préserver les conditions de circulation, en toute sécurité, des piétons et des véhicules.

La piétonnisation envisagée de certaines rues très tôt envisagée par des villes comme Paris ou Rennes, voire la désaffectation de places de stationnement, pour y installer provisoirement des terrasses n’est pas sans poser un certain nombre de questions juridiques également.

En effet, si l’article L2213-4 du Code général des collectivités territoriales permet à un maire d’interdire l’accès de certaines voies, c’est à la condition que la circulation des véhicules sur ces voies puisse être jugée de nature à compromettre les objectifs d’intérêt général reconnus par la loi telles que la tranquillité publique, la qualité de l’air ou encore la protection ou la mise en valeur de sites à des fins touristiques notamment [7].

A cette aune, il n’est pas évident que le soutien économique aux commerces puisse, en l’état du droit, servir de motif pour édicter une mesure d’interdiction de circulation, fût-elle limitée à certaines portions et/ou jours ou plages horaires. Une attention particulière s’impose donc dans la rédaction des arrêtés de cette nature.

Par ailleurs, l’octroi d’autorisations de terrasses plus fréquent et plus étendu posera nécessairement la question des rapports de voisinage, en termes de nuisances sonores notamment, et appelle à la fois un effort de compréhension des riverains et de la police, un devoir de civisme de la clientèle et une discipline vigilante des exploitants.

Cela renvoie à la question des horaires d’ouverture qui sont définis par arrêté préfectoral. Toutefois, le maire a compétence pour fixer localement des horaires plus stricts en vue de préserver la tranquillité du voisinage, si tant est que ces limites horaires soient proportionnées au but poursuivi, en fonction du secteur géographique concerné, afin de ne pas porter une atteinte manifestement illégale à la liberté du commerce.

A Paris, une charte impose aux exploitants ayant déclaré l’aménagement d’une terrasse provisoire, possibilité ouverte jusqu’au 30 septembre, une exploitation de la terrasse entre 08h00 et 22h00 et un certain nombre d’obligations telles que veiller à la propreté autour de l’établissement, ne pas proposer de gobelets en plastique, ne pas diffuser de la musique audible de la rue ou encore ne pas installer de publicité ou de brumisateurs.

Enfin, les autorisations de terrasses étant précaires par nature, elles ne seront pas reconduites automatiquement. Il incombera donc à l’exploitant de refaire une demande au moins deux mois avant expiration. Tout refus de renouvellement devra être motivé par un manquement de l’exploitant dans l’utilisation de son autorisation de terrasse ou par un motif d’intérêt général. Une autorisation de terrasse peut également être abrogée avant même son expiration si l’exploitant ne remplit plus les conditions lui ayant permis de l’obtenir. L’exploitant dispose d’un droit de recours contre un refus de renouvellement ou une abrogation anticipée qui ne serait pas justifiés.

Se poseront donc les questions de la durée des autorisations provisoires accordées, de leur maintien et de leur renouvellement, le cas échéant sur un périmètre différent à l’issue de la crise sanitaire. D’autres mesures d’accompagnement de nature financière seront évidemment nécessaires en vue d’assurer la pérennité de nombre d’établissements dont l’équilibre économique est menacé à court, moyen et long terme.

Jacques-Alexandre BOUBOUTOU Avocat à la Cour http://bouboutou-avocats.com

[1Article L3136-1 du Code de la santé publique.

[2Article L3332-15 alinéa 1er du Code de la santé publique.

[3Conseil d’Etat, référé, 18 mai 2020, n°440366 et autres.

[4Conseil d’Etat, Assemblée, 28 juin 2002, n°220361.

[5Conseil d’Etat, 6 novembre 1998, n°171317.

[6Conseil d’Etat, 1er février 2012, n°338665.

[7CAA Paris, 21 juin 2019, n°18PA03774.