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La demande de prise de position formelle : Rescrit préfectoral ? A quoi sert-elle ? Par Patrick Lingibé, Avocat.
Parution : lundi 8 juin 2020
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Cet article apporte un éclairage sur la nouvelle procédure dénommée demande de prise de position formelle posée par l’article L1116-1 du Code général de collectivités territoriales et qui vient d’être précisée par un décret du 25 mai 2020.

L’article 74 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique a créé un nouveau mécanisme dénommé demande de prise de position formelle. Ce dispositif a été précisé par le décret n° 2020-634 du 25 mai portant application de l’article L1116-1 du Code général des collectivités territoriales relatif à la demande de prise de position formelle adressée au représentant de l’Etat.
Le présent article vise à présenter ce dispositif novateur, passé inaperçu, alors qu’il peut ouvrir certaines perspectives intéressantes à des collectivités territoriales dans leurs relations avec les autorités préfectorales. Ce nouveau rescrit est applicable depuis le 28 mai 2020.

I – Qu’est-ce qu’un rescrit ?

Le rescrit est une procédure qui permet d’obtenir une réponse de l’administration à une ou des questions portant sur l’interprétation d’un texte à une situation de fait exposée par le demandeur. C’est un procédé très connu et utilisé en matière fiscale. Il a été étendu à plusieurs autres secteurs, notamment en matière sociale et dernièrement en matière de droit de l’urbanisme. La particularité du rescrit est que la position prise par l’administration sur la question soumise lie celle-ci et sécurise juridiquement du coup la démarche engagée. Nous verrons que la demande de prise de position formelle préfectorale se distingue néanmoins dans ses effets d’un rescrit classique.

II – Quelles sont les personnes concernées par ce rescrit préfectoral ?

La procédure de prise de position formelle ne concerne que les personnes publiques du paysage administratif territorial, à savoir les collectivités territoriales (régions, départements, communes et autres collectivités à statut particulier), leurs groupements et leurs établissements publics.

III – Quel est l’objet de la demande du rescrit préfectoral ?

L’article L1116-1 nouveau du Code général des collectivités territoriales permet aux personnes publiques précitées d’adresser au représentant de l’Etat (préfet de région ou de département, sous-préfet chargé d’un arrondissement) une demande de prise de position formelle sur une question de droit portant dans deux domaines prévus.

Le premier domaine a trait à la mise en œuvre d’une disposition législative ou réglementaire régissant l’exercice d’une ou de plusieurs compétences de la collectivité territoriale concernée. Elle va concerner des compétences qui seront mises en mouvement par la collectivité concernée au travers de son organe délibératif. Ainsi, un président de région pourra parfaitement soumettre une demande de prise de position formelle sur l’interprétation d’un texte donnant lieu à un projet de délibération adoptant un dispositif d’aides et de soutien économiques novateur au profit des entreprises son territoire, cela avant de le soumettre pour adoption l’assemblée régionale.

Le deuxième domaine concerne les prérogatives dévolues à l’exécutif territorial. Elle vise des compétences qui relèvent légalement de la seule autorité territoriale qui exerce celles-ci, indépendamment de l’organe délibérant. Ainsi, un maire pourra formuler une demande de prise de position formelle auprès du représentant de l’Etat sur l’interprétation d’un texte donnant lieu à un projet d’arrêté de police municipale, cela avant de le formaliser de manière officielle.

IV – Quelle est la procédure à suivre pour la demande de rescrit préfectoral ?

En premier lieu, elle doit être préalable à l’acte, la demande de prise de position formelle adressée à l’autorité préfectorale devant être accompagnée du projet d’acte. L’utilisation de cette procédure est donc exclue lorsque l’acte est déjà adopté officiellement.

En deuxième lieu, la demande de prise de position formelle doit être écrite, excluant toute demande qui serait formulée de manière informelle.

En troisième lieu, elle doit être signée par une personne compétente pour représenter l’auteur de la demande. Sur ce point, il conviendra d’être vigilant sur la qualité de l’auteur qui signera la demande de prise de position formelle adressée au représentant de l’Etat. En effet, une incompétence affectant l’auteur de la demande pourrait juridiquement être de nature à vicier la procédure engagée.

En quatrième lieu, la demande formulée par l’autorité territoriale est transmise au représentant de l’Etat par tout moyen permettant d’apporter la preuve de sa réception. Il convient d’être vigilant sur le mode de transmission afin qu’il n’y ait aucune contestation sur la date de réception, laquelle fait courir le déclenchement du délai laissé au préfet pour répondre formellement.

La prise de position formelle est transmise au demandeur par tout moyen permettant d’apporter la preuve de sa réception. Les modes de transmission ne sont pas définies et sont laissé à la discrétion de l’administration préfectorale. La seule exigence textuelle c’est que le procédé de transmission mis en œuvre doit permettre d’apporter la preuve de la réception de la réponse du représentant de l’Etat.

V – Quels sont les éléments que doit comprendre le dossier de rescrit préfectoral ?

Le dossier de demande de prise de position doit comprendre les quatre éléments dirimants ci-après :

1° Le projet d’acte relevant des attributions du demandeur.

2° Une présentation claire et précise de la ou des questions de droit portant sur l’interprétation d’une disposition législative ou réglementaire directement liée au projet d’acte.

3° Un exposé des circonstances de fait et de droit fondant le projet d’acte.

Toute information ou pièce utile de nature à permettre à l’autorité compétente de se prononcer.

Il convient de préciser que si la demande est incomplète, le représentant de l’Etat invite son auteur à fournir les éléments complémentaires nécessaires dans les mêmes formes que celles prévues initialement.

En l’absence de production dans le dossier demande d’acte des éléments précités, le délai laissé au préfet pour répondre ne peut pas courir en tout état de cause.

VI - Quel est le délai de réponse prévu pour le rescrit préfectoral ?

Le représentant de l’Etat dispose de trois mois pour prendre une position formelle expresse. Ce délai court à compter de la date de réception de la demande ou, le cas échéant, à compter de la date de réception des éléments complémentaires demandés.

Pour que ce délai se déclenche, il est impératif que le dossier de demande comporte tous les éléments énoncés ci-dessus. A défaut, la procédure ne pourra pas aboutir à une demande de prise formelle de la part de l’autorité préfectorale.

VII - Quels sont les effets du rescrit préfectoral ?

La procédure de demande de prise de position formelle est facultative pour la collectivité ou l’autorité territoriale. Cependant, il faut savoir également que cette procédure n’est pas davantage contraignante pour le représentant de l’Etat, lequel n’est jamais tenu de répondre à une telle demande.

Le dispositif prévoit expressément d’ailleurs qu’en l’absence de réponse de l’autorité préfectorale au terme de ce délai de trois mois, le silence gardé par le représentant de l’Etat vaut absence de position formelle.

En conséquence, au terme de la procédure lancée par l’institution territoriale, il n’y a donc pas de réponse interprétative tacitement favorable qui naîtrait du fait de l’absence de réponse formelle du préfet.

C’est à ce niveau que l’on constate que la demande de prise de position formelle n’est pas tout-à-fait un rescrit dans la mesure où il ne créé pas d’obligation impérative de répondre et ne fait pas naître de droit acquis face au silence de l’administration préfectorale au regard de la question de droit posée, contrairement à ce qui se passe dans les procédures de rescrits fiscal, social et autres existant.

En cas de prise de position formelle de l’administration préfectorale, il convient de préciser que si l’acte est conforme à celle-ci, le représentant de l’Etat ne peut pas, au titre de la question de droit soulevée, le déférer au tribunal administratif.

Cependant, l’autorité préfectorale n’est pas liée par la prise de position formelle qu’elle a donné dans deux cas précis : d’une part, lorsqu’il y a un changement de circonstances qui rend obsolète la position interprétative donnée ; d’autre part, lorsque que l’illégalité soulevée par le préfet n’a pas été dans le champ traité par la question de droit posée par la personne publique locale. Dans ces deux cas, le rescrit préfectoral ne permettra pas de neutraliser une action contentieuse du service du contrôle de légalité contre l’acte de la collectivité ou de l’autorité locales.

Par ailleurs, il convient de préciser que la prise de position formelle ne peut lier que l’Etat et n’a pas pour effet de contrecarrer des actions contentieuses qui pourraient être engagées par des tiers intéressés à l’encontre de l’acte définitivement pris au terme de la procédure du rescrit préfectoral.

Enfin, l’acte définitivement adopté par la personne publique locale doit être transmis au représentant de l’Etat concerné (préfet de région, de département ou sous-préfet délégué dans l’arrondissement) dans le cadre de l’exercice du contrôle de légalité. Il doit être accompagné de la demande de prise de position formelle prise par l’administration préfectorale. Cette double transmission permettra à l’autorité préfectorale de vérifier que l’acte local pris correspond en tous points au projet validé en amont par le préfet, ce dernier ayant pu au demeurant conditionner sa validation sous réserve que soient intégrées dans l’acte finalisé des modifications qu’il aurait pu préconiser sur le plan juridique.

En conclusion, la demande de prise de position formelle parait très simple mais elle devra être utilisée avec discernement par les élus locaux. En effet, elle n’est pas un outil qui vise à obtenir des consultations juridiques sur tous les projets d’actes locaux. De plus, il n’a aucun caractère obligatoire et contraignant pour le représentant de l’Etat. Il serait donc pertinent de limiter et de réserver la demande de prise de position formelle aux seules questions importantes et essentielles en droit des collectivités territoriales, d’autant plus qu’il serait très simple à l’administration préfectorale, face à des demandes de prise de position formelle multiples et variées, de ne pas jouer le jeu et de garder le silence épistolaire : ce qui aboutit à un rejet de prise de position qui ne créé aucun droit au profit du demandeur local. De plus, la tentation ne va-t-elle pas être, face à des questions de droit complexes, de rejeter généralement la demande de position formelle demandée, cela afin de ne prendre aucun risque contentieux potentiel qui peut être très lourd de conséquence en termes de responsabilité pour l’Etat dans certains cas, tel par exemple en matière de décisions impactant l’environnement.

Articles relatifs a la prise de position formelle.

Article L1116-1 du Code général des collectivités territoriales :

« Avant d’adopter un acte susceptible d’être déféré au tribunal administratif, les collectivités territoriales ou leurs groupements ainsi que leurs établissements publics peuvent saisir le représentant de l’Etat chargé de contrôler la légalité de leurs actes d’une demande de prise de position formelle relative à la mise en œuvre d’une disposition législative ou réglementaire régissant l’exercice de leurs compétences ou les prérogatives dévolues à leur exécutif. La demande est écrite, précise et complète. Elle comporte la transmission de la question de droit sur laquelle la prise de position formelle est demandée ainsi que du projet d’acte.

Le silence gardé par le représentant de l’Etat pendant trois mois vaut absence de prise de position formelle.

Si l’acte est conforme à la prise de position formelle, le représentant de l’Etat ne peut pas, au titre de la question de droit soulevée et sauf changement de circonstances, le déférer au tribunal administratif.

Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’Etat. »

Article R1116-1 du Code général des collectivités territoriales :

« La demande de prise de position formelle mentionnée à l’article L1116-1 est transmise au représentant de l’Etat par tout moyen permettant d’apporter la preuve de sa réception. »

Article R1116-2 du Code général des collectivités territoriale :

« La demande de prise de position formelle est écrite et signée par une personne compétente pour représenter l’auteur de la demande.

Elle comprend le projet d’acte relevant des attributions du demandeur ainsi que la présentation claire et précise de la ou des questions de droit portant sur l’interprétation d’une disposition législative ou réglementaire directement liée au projet d’acte.

Elle est assortie d’un exposé des circonstances de fait et de droit fondant le projet d’acte ainsi que de toute information ou pièce utile de nature à permettre à l’autorité compétente de se prononcer.

Si la demande est incomplète, le représentant de l’Etat invite son auteur à fournir les éléments complémentaires nécessaires dans les mêmes formes que celles prévues à l’article R1116-1. »

Article R1116-3 du code général des collectivités territoriales :

« Le délai mentionné au deuxième alinéa de l’article L1116-1 au terme duquel le silence gardé par le représentant de l’Etat vaut absence de position formelle court à compter de la date de réception de la demande ou, le cas échéant, à compter de la date de réception des éléments complémentaires demandés. »

Article R1116-4 du code général des collectivités territoriales :

« La prise de position formelle est transmise au demandeur par tout moyen permettant d’apporter la preuve de sa réception. »

Article R1116-5 du code général des collectivités territoriales :

« Lors de la transmission de l’acte définitivement adopté au représentant de l’Etat ou, le cas échéant, au délégué dans l’arrondissement du représentant de l’Etat dans le département, dans le cadre de l’exercice du contrôle de légalité, l’auteur de la demande de prise de position formelle joint à l’acte transmis la prise de position formelle. »

Patrick Lingibé Membre du Conseil National des barreaux Ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de France Avocat associé Cabinet Jurisguyane Spécialiste en droit public Diplômé en droit routier Médiateur Professionnel Membre de l’Association des Juristes en Droit des Outre-Mer (AJDOM) www.jurisguyane.com