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Puis-je restreindre le port de signes religieux dans mon entreprise ? Par Arthur Tourtet, Avocat.
Parution : mardi 9 juin 2020
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Que le salarié affiche ou non ses croyances, ce qui compte, c’est que le travail soit fait.

Toutefois, le port de signes religieux n’est pas toujours compatible avec le respect des normes de sécurité ou une politique de neutralité voulue par l’entreprise.

Il est possible de restreindre le port de signes religieux, à condition de respecter de nombreuses conditions avec la plus grande prudence.

Les principes applicables au port de signes religieux dans l’entreprise.

Restreindre le port de signes religieux est une décision qui ne doit jamais être arbitraire.

Le port d’un signe religieux est une composante de la liberté de manifester sa religion. Toute restriction en la matière doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée par rapport au but recherché [1].

Le sujet est sensible et propice à toutes les polémiques dont raffolent les personnes mal intentionnées, en particulier sur les réseaux sociaux.

Votre décision sera forcément l’objet de critiques et les occasions ne manqueront pas de défendre votre mesure.

Avant de restreindre le port de signes religieux, vous devez vous poser ces deux questions :
- Ai-je un intérêt au moins aussi légitime que la liberté de manifester sa religion et qui entrerait en contradiction avec cette dernière ?
- L’interdiction du port de signes religieux est-elle la mesure la moins liberticide afin de protéger cet intérêt ?

Si la réponse est négative ou que vous ne savez pas quoi répondre, alors votre projet de bannir les signes religieux de votre entreprise n’est pas encore prêt (ou ne le sera jamais).

Egalement, n’oubliez pas que vous ferez toujours face à des personnes qui vous accuseront de discrimination religieuse sur le fondement de l’article L1132-1 du Code du travail.

L’interdiction des signes religieux, en plus d’être justifiée et proportionnée, doit toujours répondre à une exigence professionnelle nécessaire et déterminante [2].

L’article L1321-2-1 du Code du travail dispose également que le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché.

Ce principe de neutralité ne doit pas être confondu avec l’obligation de laïcité qui s’applique aux employés du secteur public ou d’une entreprise privée en charge d’un service public [3].

Cette obligation de neutralité doit être édictée dans le règlement intérieur ou une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur en application de l’article L1321-5 du code du travail [4].

Il n’est pas possible d’imposer un principe de neutralité simplement à l’oral [5].

Cela n’est pas illogique, car cette restriction a un rapport direct avec la discipline et même le respect des normes de sécurité, domaines qui relèvent par nature du règlement intérieur.

Certes, le règlement intérieur n’est pas obligatoire dans les entreprises de moins de 50 salariés [6]. En revanche, rien ne vous empêche de le mettre en place si vous êtes dans cette situation.

Si mettre en place un règlement intérieur est contraignant, tout comme sa modification, l’avantage est que ce document fait l’objet d’un contrôle de l’inspection du travail qui pourra ordonner le retrait de la clause de neutralité si la légalité de cette dernière est douteuse.

Vous pouvez même demander à l’inspection du travail de se prononcer explicitement par décision motivée sur la conformité de votre clause de neutralité [7].

Si jamais votre clause restreignant le port de signes religieux n’est pas licite, l’inspection du travail risque de vous le faire savoir, ce qui vous donnera une première idée de la solidité de votre projet.

Autre avantage, le fait de restreindre le port de signes religieux au sein du règlement intérieur est un moyen de démonter que cette mesure concerne indifféremment n’importe quel salarié, peu importe sa confession.

Inversement, interdire à l’oral ou par courrier individuel le port du voile d’une salariée ne ferait que renforcer l’idée d’une discrimination envers les musulmans.

Les hypothèses permettant de restreindre le port de signes religieux.

Il est possible de restreindre le port de signes religieux pour des raisons d’hygiène et de sécurité, notamment dans l’hypothèse d’une incompatibilité avec des équipements de protection [8].

On peut aussi envisager une restriction des pendentifs ou vêtements qui pourraient causer un risque de blessure lorsque le salarié travaille sur des machines dangereuses.

L’obligation de sécurité à la charge de l’employeur [9] vise à préserver le droit à la vie et à l’intégrité physique. Ce motif est suffisamment légitime pour justifier une restriction vestimentaire.

Cette interdiction devra s’appliquer à tous les vêtements et accessoires pouvant générer un danger sur un poste de travail donné, qu’ils soient religieux ou totalement neutres.

Par exemple, si l’employeur ne permet pas à des salariées travaillant sur une chaîne de fabrication de porter un voile islamique afin d’éviter un accrochage du vêtement dans la machine, cette restriction devra aussi s’appliquer au port d’une écharpe, le risque étant identique.

Évidemment, ce genre d’interdiction ne pourra pas s’appliquer à un salarié travaillant sur un poste ne générant aucun risque particulier.

Il est également possible de restreindre le port de signes religieux afin de préserver la volonté d’un employeur d’afficher une image de neutralité vis-à-vis de ses clients [10].

Cette obligation de neutralité doit concerner tout signe politique, philosophique ou religieux. Elle doit être cohérente et systématique.

Concrètement, vous ne pouvez pas interdire le port du voile islamique tout en autorisant le port du turban sikh ou de la kippa.

Il serait également très risqué d’interdire le port de signes religieux tout en autorisant le port de vêtements contenant des messages politiques.

Attention, l’employeur ne peut interdire le port d’un signe religieux afin de satisfaire le souhait d’un client en particulier [11].

Le licenciement du salarié refusant d’ôter son signe religieux doit également être envisagé en dernier ressort, l’entreprise devant rechercher la possibilité d’affecter l’employé à un poste sans contact avec la clientèle.

Pour illustration, une interdiction du port du voile ne peut se fonder sur la seule image de l’entreprise, alors que la salariée n’était pas amenée à rencontrer des clients ou partenaires de l’entreprise [12].

La politique de neutralité vis-à-vis de la clientèle reste encore un motif flou qu’il convient de manier avec la plus prudence comme le démontre un arrêt de la Cour d’appel de Toulouse.

Pour la Cour, le fait qu’un code vestimentaire existe au sein de l’entreprise n’est pas une raison suffisante pour exclure le port d’un vêtement religieux. En effet, n’a pas été validé l’interdiction du port du voile au sein d’une boutique de vêtements pour femmes car l’employeur ne démontrait pas que ce signe religieux entrait en contradiction avec sa volonté de promouvoir une mode féminine et occidentale, véhiculée à travers le code vestimentaire des salariées et les produits mis en vente [13].

Restreindre le port de signes religieux pour des raisons d’image auprès de la clientèle est donc encore risqué.

Il faudra attendre quelques arrêts de la Cour de cassation afin de savoir précisément jusqu’à quel point les relations avec la clientèle peuvent justifier l’interdiction du port de signes religieux.

Ce qui est certain, c’est qu’une telle décision doit être préparée avec une rigueur absolue.

Le temps passé à travailler ce projet ne sera jamais du temps perdu.

Arthur Tourtet Avocat au Barreau du Val d\'Oise

[1C. trav., art. L. 1121-1.

[2CA Versailles, 29 novembre 2018, n° 17/01249.

[3Cass. Soc., 19 mars 2013, n° 12-11.690.

[4Cass. soc., 22 novembre 2017, n° 13-19.855, FP-P+B+R+I.

[5CA Versailles, 18 avril 2019, n° 18/02189.

[6C. Trav. art. L1311-2.

[7C. trav., art. L.1322-1-1.

[8HALDE, Délibération n° 2010-166 du 18 octobre 2010.

[9C. trav., art. L. 4121-1.

[10CJUE, 14 mars 2017, G4S Secure Solutions, C-157/15.

[11CJUE, 14 mars 2017, Asma Bougnaoui, contre Micropole SA, C188/15.

[12CA Paris 20 novembre 2018, n° 16/15902.

[13CA Toulouse, 06 juin 2019, n° 17/01658.