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Covid-19 : De l’incidence de la crise et de la période juridiquement protégée en matière de droit bancaire. Par Francis Bonnet des Tuves, Avocat.
Parution : jeudi 11 juin 2020
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Compte tenu de la pandémie de Covid-19 et afin de répondre à l’urgence sanitaire, le gouvernement a instauré une période juridiquement protégée.

Ces quelques lignes ont pour objet d’éclairer les professionnels du droit bancaire sur les incidences de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus (I) et de l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 en matière de délais pour faire face à l’épidémie (II). Il sera ensuite évoqué certaines incidences pratiques en matière bancaire (III).

A titre liminaire, il sera défini les termes suivants :
- période d’urgence sanitaire : période courant entre le 12 mars 2020 et le 10 juillet 2020 inclus ;
- période juridiquement protégée : période courant du 12 mars 2020 au 23 juin inclus.

I/ De la prorogation des délais échus pendant la période juridiquement protégée.

i) Champs d’application.

L’article 1er de l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 vise la prorogation des délais échus pendant la période juridiquement protégée. Cette période visait initialement les délais arrivant à échéance entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

Étant précisé que lors de la publication de cette ordonnance la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire était fixée au 24 juin 2020.

Néanmoins, la loi du 11 mai 2020 (loi n°2020-546) a prorogé cette date jusqu’au 10 juillet inclus. La fin de la période juridiquement protégée aurait donc dû se poursuivre jusqu’au 10 août 2020 (soit 10 juillet + 1 mois).

Cependant, l’activité ayant, sauf cas particuliers, repris le 11 mai 2020, le gouvernement a estimé que le dispositif de report des délais prendrait fin le 23 juin 2020 à minuit (ordonnance 2020-560 du 13 mai 2020).

ii) Report des termes des échéances.

L’article 2 de l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 pose le principe de report des termes des échéances : « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement, à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou la conservation d’un droit ».

L’article 5 de l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoit la prolongation de deux mois après la fin de la période juridiquement protégée (23 juin 2020 inclus) des délais pour résilier ou dénoncer une convention lorsque sa réalisation ou l’opposition à son renouvellement devait avoir lieu dans une période ou un délai qui expire durant la période définie à l’article 1er (12 mars 2020 au 23 juin 2020 inclus).

II/ De l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

Cette ordonnance vient partiellement compléter et modifier l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020.

i) Exclusions des délais de réflexion, rétractation et renonciation.

L’article 2 précise que les délais de réflexion, de rétractation et de renonciation sont exclus du champ de l’article 2 de l’ordonnance du 25 mars 2020.

Ainsi, sont exclus les délais de rétractation de 14 jours prévu dans les contrats conclus à distance, à la suite d’un démarchage téléphonique ou hors établissement par un consommateur, les délais de rétractation ou renonciation de 14 jours prévus en matière de services bancaires et financiers conclus à distance par un consommateur et les délais de rétractation de 14 jours en matière de crédit à la consommation.

Sont également exclus, les délais de réflexion applicables au contrat de crédit immobilier, renégociation de contrat immobilier ou prêt viager hypothécaire .

Etant précisé que l’article 2 a un caractère interprétatif, en ce qu’il ne fait qu’expliciter que l’article 2 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 (cf. I) ne s’applique pas aux délais de réflexion, de rétractation et de renonciation. En conséquence ces délais ne sont pas prorogés et continuent à courir pendant la période juridiquement protégée.

Illustration :
Un emprunteur ayant accepté une offre de crédit à la consommation le 7 mars 2020 est bien fondé à user de son droit de rétraction jusqu’au 21 mars 2020 et ne peut se prévaloir de la suspension de ce délai pour user de ce droit après cette date.

ii) Astreintes, clauses pénales et clauses de déchéance.

L’article 4 vient modifier les dispositions fixées par l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relatives aux astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéance.

a) S’agissant des clauses et des astreintes qui sanctionnent l’inexécution d’une obligation échue pendant la période juridiquement protégée.

Le report sera égal au temps écoulé entre d’une part, le 12 mars ou la date de naissance de l’obligation si elle est plus tardive, et d’autre part, la date à laquelle l’obligation aurait dû être exécutée. Le report court, à compter de la fin de la période juridiquement protégée.

Illustration :
Un contrat conclu le 1er mars 2020 devait être exécuté le 1er mai 2020, une clause pénale prévoyait une sanction de 100 euros par jour de retard. A la date prévue, le débiteur n’a pas exécuté le contrat. En application de l’ordonnance, les effets de la clause pénale sont reportés pour une durée égale au temps écoulé entre le 1er mars 2020 et le 1er mai 2020, ce report courant à compter de la fin de la période juridiquement protégée fixée au 23 juin 2020 inclus. Ainsi la clause pénale commencerait à courir le 23 août 2020 (soit 23 juin 2020 fin de la période juridiquement protégée + 2 mois – délai entre le 1er mars et le 1er mai 2020).

b) S’agissant des clauses sanctionnant l’inexécution d’une obligation échue après la période juridiquement protégée.

Le cours et effets de celles-ci sont reportés d’une durée égale au temps écoulé entre le 12 mars 2020 ou la date de naissance de l’obligation si elle est plus tardive et la fin de la période juridiquement protégée. Le report court ici à compter de la date à laquelle les astreintes et clauses auraient dû prendre cours ou produire effet en vertu des stipulations contractuelles.

Illustration :
Un contrat conclu le 1er avril 2020 devait être exécuté le 1er septembre 2020. Une clause pénale prévoyait le règlement d’une indemnité forfaitaire en cas d’inexécution. A la date prévue, le débiteur n’exécute pas le contrat. En vertu de l’ordonnance, les effets de la clause pénale seront reportés d’une durée égale au temps écoulé entre le 1er avril 2020 (date de naissance de l’obligation) et la fin de la période juridiquement protégée fixée au 23 juin 2020 inclus. Ce report cours à compter du 1er septembre 2020 (date du terme du contrat). Ainsi le report serait de 2 mois et 22 jours (soit le délai entre le 1er avril 2020 et le 23 juin 2020) à compter du 1er septembre 2020. La clause pénale prendrait donc effet le 23 novembre 2020 (1er septembre 2020 + 2 mois et 22 jours = 23 novembre 2020).

III/ Des incidences pratiques en matière de droit bancaire.

A la lecture de ces ordonnances, le praticien en droit bancaire peut légitimement s’interroger à plusieurs titres.

i) L’emprunteur peut-il se prévaloir des ordonnances du 25 mars 2020 et du 15 avril 2020 pour suspendre son obligation de régler les échéances d’un prêt ?

L’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 vise les actes prescris par la loi ou le règlement ce qui exclut les actes et délais prévus dans le champ contractuel, de sorte que l’emprunteur a l’obligation de procéder au règlement des échéances des prêts conformément à ses engagements conventionnels nonobstant la période juridiquement protégée.

ii) Le créancier est-il bien fondé à mettre en demeure et/ou à agir en paiement contre le débiteur pendant la période juridiquement protégée ?

Le débiteur peut faire l’objet d’une mise en demeure laquelle vient sanctionner son inexécution contractuelle. Les ordonnances ne visant que les délais légaux, le créancier peut mettre en demeure son débiteur et l’assigner en paiement nonobstant la période juridiquement protégée.

iii) Quels sont les incidences des ordonnances du 25 mars 2020 et du 15 avril 2020 sur le délai d’action à l’encontre du débiteur.

A titre d’illustration, il peut être envisagé le recouvrement d’une créance de nature commerciale, soumise à un délai de prescription quinquennale : la créance est exigible depuis le 1er avril 2015, le délai pour agir en justice étant de 5 ans , soit jusqu’au 15 avril 2020. Sous l’empire des dispositions décrites ci-avant, le délai pour agir court pendant les deux mois qui suivent le 23 juin 2020 (fin de la période juridiquement protégée) Le créancier sera recevable à agir contre le débiteur jusqu’au 23 août 2020 inclus.

Bien entendu, le raisonnement est similaire pour une créance soumise au délai biennale de forclusion.

iv) Quelles sont les incidences de ces dispositions sur la déchéance du terme d’un prêt ?

Le créancier peut se prévaloir de la déchéance du terme du prêt, laquelle vient sanctionner une inexécution contractuelle, pendant la période juridiquement protégée et après cette même période.

Néanmoins les effets de cette clause résolutoire pourraient être reportés différemment selon que la déchéance du terme intervient pendant ou après la période juridiquement protégée.

- Si la déchéance du terme intervient pendant la période juridiquement protégée, les effets de la déchéance du terme seraient reportés d’une durée égale au temps écoulé entre le 12 mars 2020 et la date de déchéance du terme, ce report courant à compter de la fin de la période juridiquement protégée. Exemple : la banque se prévaut de la déchéance du terme le 20 mars 2020. Ainsi, les effets de la déchéance du terme seraient reportés 1er juillet 2020 (soit : 23 juin 2020 (fin de la période juridiquement protégée) + 8 jours (délai entre le 12 mars et le 20 mars 2020).

- Si la déchéance du terme intervient après la période juridiquement protégée, ces effets seraient reportés d’une durée égale au temps écoulé entre le 12 mars 2020 et la fin de la période juridiquement protégée. Le report court à compter de la date à laquelle la déchéance du terme aurait dû produire ses effets. Exemple : la banque se prévaut de la déchéance du terme du prêt le 1er septembre 2020. Les effets de la déchéance du terme seraient reportés d’une durée égale à celle de la période juridiquement protégée, ce report courant à compter du 1er septembre 2020. Ainsi, le report serait de 3 mois et 11 jours (12 mars 2020 au 23 juin 2020), les effets de la déchéance du terme prendrait donc effet le 12 décembre 2020 (1er septembre 2020 + 3 mois et 11 jours).

v) Quels sont les incidences des ordonnances du 25 mars 2020 et du 15 avril 2020 sur le délai de la déclaration de créance ?

Le délai de déclaration de créance est prévu à peine de forclusion , ledit délai étant visé par l’ordonnance du 25 mars 2020 n°2020-306, de sorte que ce délai est prorogé. Ainsi, si le délai de déclaration de créance intervient entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020, le créancier peut valablement déclarer ses créances dans les deux mois suivant l’expiration de cette période soit au plus tard le 23 août 2020. (23 juin 2020 + 2 mois).

vi) Quels sont les incidences des ordonnances du 25 mars 2020 et du 15 avril 2020 sur l’obligation d’information annuelle de la caution ?

Un cautionnement a été souscrit en garantie d’un concours bancaire. La banque a l’obligation d’informer la caution de l’évolution de la dette garantie avant le 31 mars de chaque année, à peine de déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu’à communication de la nouvelle information .

Compte tenu de la prorogation des délais légaux, cette année la banque pourra informer la caution jusqu’au 23 août 2020 (2 mois à compter de la fin de la période juridiquement protégée).

vii) Le débiteur peut-il se prévaloir de la force majeure pour se soustraire à toute ou partie de ses obligations ?

Par principe, les parties sont tenues par leur obligations contractuelles. Néanmoins l’article 1218 du Code Civil prévoit l’empêchement temporaire ou définitif du débiteur dans l’exécution du contrat en cas de force de majeure. Etant rappelé qu’il y a force majeure en matière contractuelle, lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêchant l’exécution de son obligation par le débiteur. Etant précisé que si l’empêchement est temporaire l’exécution de l’obligation est suspendue. Si l’empêchement est définitif le contrat est résolu de plein droit. Il reviendra au débiteur de caractériser ces différents critères pour se prévaloir d’une inexécution totale ou partielle. Etant précisé qu’en matière d’obligation contractuelle de somme d’argent, la jurisprudence estime généralement que le débiteur de cette obligation ne peut s’en exonérer en invoquant un cas de force majeure (Cass com 16 septembre 2014 13-20306) de sorte qu’en matière de crédit, l’inexécution pour cas de force majeure ne semble pas pouvoir aisément prospérer.

Compte tenu de l’ampleur et du caractère extraordinaire de la crise du Covid 19, il peut être néanmoins envisagé que la question de la force majeure nourrisse un contentieux fourni.

Avertissement : cet article est écrit le 09 juin 2020 en l’état du droit actuel. Etant précisé que les illustrations présentées résultent de l’interprétation des ordonnances et ne peuvent être corroborées par aucune jurisprudence, inexistante en l’état.

Francis Bonnet des Tuves Avocat au Barreau de PARIS