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Airbnb reconnue en France en qualité d’éditeur de contenus. Par Olivia Zahedi et Jonathan Bellaiche, Avocats.
Parution : jeudi 11 juin 2020
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Par un jugement fondateur du Tribunal judiciaire de Paris en date du 5 juin 2020, Airbnb a été reconnue comme agissant en qualité d’éditeur de contenus devant répondre des agissements illicites commis par les utilisateurs de sa plateforme. A défaut d’opérer un contrôle à priori, elle pourra répondre d’importantes sanctions financières.

Le Tribunal judiciaire de Paris avait été saisi d’une action engagée par un propriétaire à l’encontre d’une locataire qui avait sous loué sans son accord son logement sur la plateforme Airbnb pendant 534 jours sur les années 2016 et 2017 et qui avait indûment encaissé un montant de 51 936,61 euros.

Si la possibilité de récupérer les fruits illicites encaissés est acquise depuis que le droit d’accession a été consacré par la chambre civile de la Cour de Cassation et reprise dans de nombreuses décisions [1], se posait la question jusqu’alors non résolue de la responsabilité civile de la plateforme par l’intermédiaire de laquelle le locataire avait pu commettre des abus.

En effet, les montants encaissés sur de très nombreuses années étant importante, certains propriétaires peuvent être confrontés à des problématiques de solvabilité de leur ancien locataire ne pouvant restituer les fruits encaissés. De même, sans la plateforme, ces derniers n’auraient pas pu commettre leurs agissements.

La plateforme Airbnb estimait alors être un simple hébergeur de contenus étranger aux agissements commis par des locataires détournant le bien donné à bail et s’enrichissant bien plus que leur propriétaire qui était soumis à des obligations strictes dont notamment le plafonnement des loyers.

Or, conformément à l’article 2000/31/CE , pour être qualifié d’hébergeur et bénéficier d’un régime de responsabilité allégée, le prestataire de service de la société de l’information doit exercer une activité qui « revêt un caractère purement technique, automatique et passif, qui implique que le prestataire de services de la société de l’information n’a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées ».

L’article 6 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 ainsi que l’article 14 de la Directive 2000/31/CE précise alors « le paragraphe 1 ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle du prestataire ».

Appliquant ces principes, la CJUE a notamment pu considérer que lorsque « ledit exploitant a prêté une assistance laquelle a notamment consisté à optimiser la présentation des offres à la vente en cause ou à promouvoir ces offres, il y a lieu de considérer qu’il a non pas occupé une position neutre entre le client vendeur concerné et les acheteurs potentiels, mais joué un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données relatives à ces offres. Il ne saurait alors se prévaloir, s’agissant desdites données, de la dérogation en matière de responsabilité visée à l’article 14 de la directive 2000/31 » [2].

Dès lors que le prestataire exerce un « rôle actif » alors celui-ci sera responsable du caractère illicite des informations qu’il transmet.

Concernant Airbnb, le Tribunal judiciaire de Paris a notamment pu constater que :
- La plateforme donne des directives à ses hôtes : être réactif, accepter les demandes de réservation, éviter les annulations, maintenir une bonne évaluation globale et fournir des équipements de base, étant précisé que le non-respect de ces directives peut aboutir à un retrait du contenu et/ou des pénalités.
- Il est contractuellement prévu que l’hôte, en publiant du contenu sur Airbnb, accepte de se conformer à ses règles et que AIRBNB se réserve le droit de retirer tout contenu partiellement ou en intégralité qui ne respecte pas ses règles, ses conditions générales, ses valeurs de communauté et sa politique relative aux commentaires ou pour tout autre raison, à son entière discrétion. Il est également prévu que dans le cas de manquements répétés ou particulièrement graves, Airbnb pourra suspendre ou désactiver définitivement le ou les comptes concernés.
- Airbnb a un droit de regard et s’arroge le droit de retirer un contenu pour non-respect des conditions contractuelles mais également pour toute autre raison à son entière discrétion. Inversement, ceux qui respectent au mieux ces directives peuvent être récompensés par l’attribution du qualificatif de “superhost”. L’attribution de ce qualificatif est alors le fruit de respect de critères définis par Airbnb elle-même, vérifiés régulièrement par Airbnb, et aboutissant à une promotion des annonces des “superhost” dès lors que leur annonce est signalée par un logo bien visible et qu’elle bénéficie d’une place privilégiée dans la liste des annonces similaires, étant précisé que Airbnb se rémunère par un pourcentage sur les loyers perçus par l’hôte.
- Airbnb a prévu des pénalités frappant les membres du contrat d’hébergement, notamment en imposant au voyageur qui quitterait postérieurement à l’heure limite d’occupation, le paiement d’une pénalité en dédommagement du désagrément subi par l’hôte ainsi que des frais accessoires. De même, Airbnb interdit de demander, faire ou accepter une réservation en dehors de la plate-forme.

Tirant les conséquences juridiques de ces constatations, le Tribunal judiciaire de Paris a dès lors jugé qu’Airbnb était bien un éditeur de contenus : « L’ensemble de ces éléments témoigne du caractère actif de la démarche de la société Airbnb dans la mise en relation des hôtes et des voyageurs et de son immiscion dans le contenu déposé par les hôtes sur sa plate-forme. Il est dès lors établi que la société Airbnb n’exerce pas une simple activité d’hébergement à l’égard des hôtes qui ont recours à son site mais une activité d’éditeur. »

Dès lors que l’hôte exerce une activité illicite par son intermédiaire, compte tenu de son droit de regard sur le contenu des annonces et des activités réalisées par son intermédiaire en qualité d’éditeur, elle commet une faute en s’abstenant de toute vérification, laquelle concourt au préjudice subi par le propriétaire.

Ainsi, elle a été condamnée à payer avec exécution provisoire (exécution immédiate du jugement, nonobstant appel) :
- 51 936,61 € de sous loyer qui ont été encaissés du fait d’une sous location abusive ;
- 1 558,20 € au titre des commissions perçues ;
- 5 000 € au titre des frais d’avocat.

Soit un total de condamnation de 58 494,81€ [3].

Olivia Zahedi, Avocat et Jonathan BELLAICHE- Avocat fondateur du cabinet GOLDWIN SOCIETE D’AVOCATS

[1Cour d’appel de Paris, Pôle 4 – Chambre 4 – 5 juin 2018 RG n°16/10684 ; Cour d’appel de Paris, Pôle 4 – Chambre 3, 13 septembre 2019 RG n° 17/04038.

[2CJUE, 12 juillet 2011, C 324/09.

[3Le jugement est disponible à la lecture sur le lien suivant : https://goldwin-avocats.com/fr/proc....