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Harcèlement sexuel au travail : panorama de jurisprudence en 2019/ 2020. Par Frédéric Chhum, Avocat et Annaelle Zerbib, Juriste.
Parution : mercredi 10 juin 2020
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Le présent article synthétise la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de harcèlement sexuel.
Caractérisation du harcèlement sexuel, règles de preuve en la matière ou conséquences de sa dénonciation, la Cour de cassation a eu l’occasion en 2019/2020 de préciser le contour du harcèlement sexuel.

1) La relaxe pour défaut d’élément intentionnel du harcèlement sexuel par le juge pénal n’empêche pas nécessairement le juge civil d’admettre le harcèlement sexuel.

Cass. soc., 25 mars 2020, n°18-23682.

Dans l’arrêt du 25 mars 2020 (n° 18-23682), les faits évoqués étaient les suivants : une salariée, employée par la société en qualité d’assistance dentaire, a été engagée le 2 juillet 2012 et licenciée pour faute grave le 25 octobre 2013.
S’estimant victime de harcèlement sexuel, elle saisit la juridiction prud’homale le 12 octobre 2015, le jugement définitif du tribunal correctionnel relaxant l’employeur étant prononcé le 28 juillet 2016.

1.1. L’autorité de la chose jugée au pénal à l’égard du juge civil.

Lorsqu’un jugement correctionnel prononce une relaxe parce que la matérialité des faits de harcèlement sexuel et la culpabilité de celui ou celle auquel ils sont imputés ne sont pas établis, le juge civil ne peut retenir l’existence de ces faits.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation affirme ainsi que « les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l’action publique ont au civil autorité absolue, à l’égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l’existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé ».

1.2. Une solution différente lorsque la relaxe ne porte que sur l’élément intentionnel du harcèlement sexuel.

L’incrimination pénale du harcèlement sexuel [1] est sensiblement différente du harcèlement sexuel au travail [2].

Pour que le harcèlement sexuel soit constitué en droit pénal, il suppose l’existence d’un élément intentionnel.

A contrario, en droit du travail, l’élément intentionnel n’est pas nécessaire pour que le harcèlement soit constitué.

Ainsi, le jugement de relaxe fondé sur le seul défaut d’élément intentionnel du harcèlement sexuel n’empêche pas la caractérisation du harcèlement sexuel en droit du travail.

C’est en ce sens que la chambre sociale a tranché en l’espèce, le jugement de relaxe étant fondé sur le seul défaut d’élément intentionnel.

Or, « la caractérisation de faits de harcèlement sexuel en droit du travail, tels que définis à l’article L1153-1, 1°, du Code du travail, ne suppose pas l’existence d’un élément intentionnel ».

Ainsi, l’employeur relaxé des faits de harcèlement sexuel devant le juge pénal, la salariée peut tout de même être considérée comme victime de harcèlement sexuel devant le juge civil.

2) Pas de harcèlement sexuel en cas d’attitude ambigüe d’une salariée.

Cass. soc., 25 septembre 2019, n° 17-31171

L’article L1153-1 du Code du travail définit le harcèlement sexuel comme « constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

La Cour de cassation a répondu dans cet arrêt à la question de savoir si l’envoi de SMS à caractère pornographique de manière répétée par un manageur à sa subordonnée justifiait un licenciement pour faute grave et constituait des faits de harcèlement sexuel (v. également notre article « Harcèlement par sms pornographiques au travail : l’ambiguïté de la subordonnée disqualifie le harcèlement sexuel. »).

2.1. L’impact de l’attitude ambiguë d’une salariée sur la caractérisation du harcèlement sexuel.

Dans un arrêt du 25 septembre 2019 (n° 17-31171), la Cour de cassation s’est prononcée sur le cas d’une salariée alléguant avoir été victime de harcèlement sexuel en relevant pour rejeter sa demande qu’elle « avait répondu aux SMS du salarié, sans que l’on sache lequel d’entre eux avait pris l’initiative d’adresser le premier message ni qu’il soit démontré que ce dernier avait été invité à cesser tout envoi ».

De plus, la Cour de cassation évoque le fait que la salariée avait « adopté sur le lieu de travail à l’égard du salarié une attitude très familière de séduction ».

Les juges de cassation approuvent l’argumentation de la cour d’appel « qui a fait ressortir l’absence de toute pression grave ou de toute situation intimidante, hostile ou offensante à l’encontre de la salariée ».

Elle a ainsi justement déduit que « l’attitude ambiguë de cette dernière qui avait ainsi volontairement participé à un jeu de séduction réciproque excluait que les faits reprochés au salarié puissent être qualifié de harcèlement sexuel ».

Le harcèlement sexuel avait déjà pu être écarté lorsque les faits « s’inscrivaient dans le cadre de relations de familiarités réciproques avec la personne qui s’en plaignait » [3].

A contrario, dans un arrêt du 20 février 2020, la Cour d’appel d’Orléans a pu considérer que « le seul fait unique établi, que Mme A C ait répondu sur la couleur de sa culotte à la demande de son collègue, ne saurait suffire à caractériser une attitude ambiguë de celle-ci qui aurait ainsi volontairement participé à un jeu de séduction réciproque excluant que les faits reprochés à son collègue puissent être qualifiés de harcèlement sexuel » [4].

Ainsi dans ce cas, le harcèlement sexuel était établi, l’attitude ambiguë n’étant pas caractérisée.

2.2. La non caractérisation du harcèlement sexuel n’est pas un obstacle au licenciement du salarié.

Le harcèlement sexuel non établi selon les juges, n’empêche pas l’employeur de notifier le licenciement disciplinaire du salarié.

La Cour de cassation admet ainsi le licenciement du salarié aux motifs qu’il avait « depuis son téléphone professionnel, de manière répétée et pendant deux ans, adressé à une salariée dont il avait fait la connaissance sur son lieu de travail et dont il était le supérieur hiérarchique, des SMS au contenu déplacé et pornographique, adoptant ainsi un comportement lui faisant perdre toute autorité et toute crédibilité dans l’exercice de sa fonction de direction et dès lors incompatible avec ses fonctions ».

La Haute juridiction affirme ainsi que « ces faits se rattachaient à la vie de l’entreprise et pouvaient justifier un licenciement disciplinaire ».

Néanmoins, la Cour de cassation considère que les faits « n’étaient pas constitutifs d’une faute grave rendant impossible maintien du salarié dans l’entreprise » et que la Cour d’appel a justement « décidé que ces faits constituaient une cause réelle et sérieuse de licenciement ».

Ainsi, le comportement de la salariée empêche le harcèlement sexuel d’être caractérisé mais n’empêche pas le salarié d’être licencié, si ce n’est pour faute grave, mais pour une cause réelle et sérieuse.

3) Dénonciation de faits de harcèlement sexuel : irresponsabilité pénale du chef de diffamation si le destinataire de la dénonciation est agréé.

Cass. crim., 26 novembre 2019, n° 19-80360.

L’article L1153-2 du Code du travail prohibe le fait de sanctionner un salarié, une personne en formation ou en stage, ou un candidat, de quelque manière que cela soit, pour « avoir subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel tels que définis à l’article L1153-1 ».

La dénonciation de tels faits est réglementée par les textes et strictement encadrée.

La Cour de cassation a pu se prononcer sur la question le 26 novembre 2019 (n°19-80360) (v. en ce sens notre article « Salariés, cadres, cadres dirigeants – Dénonciation de harcèlement : attention à ne pas diffamer. »).

En l’espèce, la salariée d’une association avait adressé de sa messagerie électronique un courriel à son époux, au directeur général de l’association, à l’inspecteur du travail, au directeur spirituel de l’association et d’un établissement d’enseignement supérieur ainsi qu’au fils de son employeur.

Ce courriel, intitulé « agression sexuelle, harcèlement sexuel et moral », mettait en cause son employeur qui a ainsi agit en justice du chef de diffamation publique envers un particulier.

Dans cet arrêt, la chambre criminelle rappelle ainsi qu’une « personne poursuivie du chef de diffamation après avoir dénoncé des faits de harcèlement sexuel ou moral dont elle s’estime victime peut s’exonérer de sa responsabilité pénale (…) lorsqu’elle a dénoncé ces agissements, dans les conditions prévues aux articles L1152-2, L1153-3 et L4131-1, alinéa 1er, du Code du travail ».

Les juges précisent que « pour bénéficier de cette cause d’irresponsabilité pénale, la personne poursuivie de ce chef doit avoir réservé la relation de tels agissements à son employeur ou à des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail et non, comme en l’espèce, l’avoir aussi adressée à des personnes ne disposant pas de l’une de ces qualités ».

4) Lettre de notification du licenciement : la faute grave résultant du harcèlement sexuel est un motif suffisamment précis.

Cass. soc., 15 mai 2019, n° 18-12666.

L’article L1232-6 du code du travail pose l’obligation à l’employeur souhaitant licencier un salarié de préciser dans la lettre de notification l’énoncé du ou des motifs invoqués.

Dans un arrêt du 15 mai 2019 (n° 18-12666), la Cour de cassation se prononce sur l’affaire d’un salarié licencié pour faute grave après avoir fait des aveux écrits concernant le harcèlement sexuel commis envers une autre salariée de l’entreprise.

La Cour de cassation affirme que la lettre de licenciement faisant état « des aveux écrits du salarié quant au harcèlement sexuel commis envers une autre salariée précisément dénommée » et qualifiant « ce fait de faute grave (…) constituait un motif précis et matériellement vérifiable, pouvant être précisé et discuté devant les juges du fond ».

5) Le manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur : fondement d’une indemnisation spécifique en cas de préjudices distincts.

Cour d’appel de Versailles, ch. 11, 5 mars 2020, RG 17/05635.

Une salariée victime de harcèlement moral ou sexuel peut obtenir des dommages et intérêts sur ce fondement mais également, de manière cumulative, sur celui du manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur (voire au titre d’une discrimination le cas échéant) si elle justifie de préjudices distincts.

En outre, même dans l’hypothèse dans laquelle le harcèlement n’est pas retenu par les juges, il est possible qu’elle se fasse indemniser sur le fondement de ce manquement.

Dans l’arrêt du 5 mars 2020, une salariée, embauchée par la société Chartrainsport (exerçant sous l’enseigne Intersport) en qualité d’hôtesse de caisse, avait déposé plainte pour harcèlement sexuel par son employeur auprès du procureur de la République qui classait l’affaire sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée.

Son employeur lui notifiait son licenciement le 28 novembre 2014 et elle saisissait la juridiction prud’homale le 11 mars 2016.

Elle reprochait à son employeur, outre un harcèlement moral à connotation sexuelle, des manquements à l’obligation de sécurité de résultat.

Sur la question du harcèlement moral ou sexuel, la Cour d’appel de Versailles affirme que « la matérialité de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, laisserait supposer l’existence d’un harcèlement moral ou sexuel n’est pas démontrée ».

Pour autant, elle ajoute « si l’absence de harcèlement moral ou sexuel n’est pas de nature à exclure, en présence d’une souffrance morale en lien avec le travail, tout manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ».

En effet, pour que l’employeur ait satisfait à son obligation, il doit justifier d’une part, du fait qu’il a mis en place les mesures de prévention nécessaires pour assurer la sécurité et la protection de la santé physique et mentale des travailleurs, tels que des actions d’information et de prévention.

D’autre part, il doit justifier du fait qu’il a immédiatement réagi et pris les mesures immédiates propres à faire cesser le danger dès qu’il en a été informé.

6) La charge de la preuve allégée en matière de harcèlement moral et sexuel.

Cour d’appel de Chambéry, ch. sociale, 27 février 2020, n° 19/00089 ; Cour d’appel de Riom, chambre sociale, 26 mai 2020, RG n° 19/00744.

En matière de harcèlement, moral ou sexuel, la charge de la preuve est allégée.

En premier lieu, la personne s’estimant victime de tels faits doit « présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ».

En second lieu, il appartiendra à la partie défenderesse de « prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement » [5].

Pour exemple, l’employeur invoquant le fait que la proximité physique était un « jeu » entre lui et son salarié alors que le lien de subordination entre eux impliquait un état de pression subi par le salarié « échoue ainsi à démontrer que les faits matériellement établis par [le salarié] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement sexuel est établi » [6].

La Cour d’appel de Riom le 26 mai 2020 a quant à elle affirmé que pour des faits relevant de gestes, propos et regards déplacés, le fait pour l’employeur d’évoquer « la notion d’humour, sans démontrer que les agissements du [salarié] ne sont pas constitutifs d’un harcèlement sexuel et que les comportements et propos susvisés du salarié sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement » ne suffisait pas à contester l’existence dudit harcèlement [7].

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1Article 222-33 du code pénal.

[2Articles L. 1153-1 et suivants du code du travail.

[4Cour d’appel d’Orléans, ch. sociale ch. des Prud’hommes, 20 février 2020, n° 17/02208.

[5Article L1154-1 du Code du travail.

[6Cour d’appel de Chambéry, ch. sociale, 27 février 2020, n°19/00089.

[7Cour d’appel de Riom, chambre sociale, 26 mai 2020, RG n° 19/00744.