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En quoi la Justice est royaliste ? Par Loïc Tertrais, Avocat.
Parution : samedi 13 juin 2020
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La justice est un pouvoir régalien. On pressent surtout que la justice suppose la légitimité de ceux qui la servent. En cela, il n’y aurait pas plus légitimistes que les juges et les avocats.

« Je vous parle de ce que je sais être une période de plus en plus difficile. Une période de perturbation dans la vie de notre pays : une perturbation qui a causé du chagrin à certains, des difficultés financières à beaucoup et des changements énormes dans notre vie quotidienne à tous » [1]. Les paroles du discours de la reine Elisabeth II du cinq avril 2020 n’ont pas eu à forcer l’admiration. La reine a parlé avec légitimité. La Reine est et vit ce qu’elle dit. A comparer avec certaines personnalités politiques dont les interventions sont un mélange de langue de bois et de techniques de communication. D’un côté une souveraine et son autorité naturelle. De l’autre des spécialistes du langage qui sèment le doute .

Pour la justice, le raisonnement est semblable. La décision de justice rendue par un juge et portée par des avocats ne sera juste et ne fera autorité que si les juristes qui y ont concouru sont légitimes.

Qu’est ce que la légitimité en justice ?

Comme en politique, la légitimité n’est pas question de forme, de statut ou de technique. Elle ne tient pas aux grades ou fonctions des auxiliaires de justice. La légitimité ne tient pas plus aux spécialités juridiques des juges ou des avocats. Elle n’est donc pas liée à la loi.

Je souligne toujours l’écart entre légalité et légitimité.
Stéphane Hessel a bien distingué légalité et légitimité : « Je souligne toujours l’écart entre légalité et légitimité. Je considère la légitimité des valeurs plus importante que la légalité d’un État. Nous avons le devoir de mettre en cause, en tant que citoyens, la légalité d’un gouvernement. Nous devons être respectueux de la démocratie, mais quand quelque chose nous apparaît non légitime, même si c’est légal, il nous appartient de protester, de nous indigner et de désobéir » [2].

En réalité , il ne s’agit pas tant d’opposer légalité et légitimité mais de se placer toujours au-delà du strict légal. C’est ce que rappelait avec force Alexandre Soljenitsyne dans son fameux discours de Harvard : « Une société basée sur la lettre de la loi, et n’allant pas plus loin, échoue à déployer à son avantage le large champ des possibilités humaines. La lettre de la loi est trop froide et formelle pour avoir une influence bénéfique sur la société. Quand la vie est tout entière tissée de relations légalistes, il s’en dégage une atmosphère de médiocrité spirituelle qui paralyse les élans les plus nobles de l’homme » [3].

La légitimité des avocats et des juges, leur noblesse, leur royauté, est ce qui au-delà même du légal les poussent au juste. C’est un fondement souverain, intime aux personnes qui jugent ou défendent une cause.

Seul ce qui est juste est légitime.
Deux réflexions se bousculent dans la tête de l’avocat qui reçoit un jugement défavorable à son client. D’abord une réflexion de légalité. L’application du droit faite par le juge est -elle contestable ? Ensuite une réflexion de légitimité. Qui a rendu le jugement ? Quelle était attitude du juge à l’audience ? Le juge s’est montré attentif aux plaidoiries ? Ciselé dans son raisonnement ? Large dans sa pensée ?

Personnellement, je réfléchirais à deux fois avant de conseiller un client d’interjeter appel d’un jugement rendu par le roi Salomon.

Peut-être de la même manière le juge scanne-t ’il l’avocat à l’audience, en considérant la légitimité du plaideur à la mesure de sa déontologie : Dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, honneur, loyauté, désintéressement, confraternité, délicatesse, modération, courtoisie, compétence, dévouement, diligence et prudence ? [4].

Une chose est certaine. Justice et légitimité sont étroitement liés. Simone Weil a pu écrire à ce titre que « Seul ce qui est juste est légitime » [5].

Est-ce si hardi d’affirmer que les juges et avocats qui œuvrent à la justice rendue au nom du peuple français sont d’obédience royale ? Au moins pourrait-on retenir qu’ils sont légitimistes. Mais , vox populi, vox Dei, je remets ma conclusion aux voix des milliers de juristes dont je devine la clameur : Vive le Droit !

Me Loïc TERTRAIS

[1Discours de la Reine Elisabeth II du 5 avril 2020.

[2Stéphane Hessel -Entretien dans le magazine Politis - 18 novembre 2010.

[3Stéphane Hessel -Entretien dans le magazine Politis - 18 novembre 2010.

[4Déontologie des avocats - extrait du Règlement intérieur national des avocats.

[5Simone Weil - Ecrits de Londres.