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Covid-19 et Résidences de tourisme : les exploitants peuvent-ils suspendre les loyers ? Par Ludovic Tartanson et Caroline Pierre, Avocats.
Parution : lundi 15 juin 2020
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La crise sanitaire de la covid-19 et les mesures de confinement prises ont placé l’ensemble des locataires de locaux commerciaux et en particulier les exploitants de résidences de tourisme en grande difficulté.
Article vérifié par l’auteur en septembre 2023.

Début mars, alors que la clientèle étrangère se détournait déjà progressivement de la destination France, un premier arrêté du 4 mars 2020 interdisait tout d’abord les rassemblements de plus de 5 000 personnes en milieu clos puis un deuxième arrêté du 9 mars interdisait tout rassemblement mettant en présence de manière simultanée plus de 1 000 personnes, jusqu’à ce qu’un troisième arrêté du 13 mars interdise tout rassemblement, réunion ou activité mettant en présence de manière simultanée plus de 100 personnes en milieu clos ou ouvert, entraînant ainsi la fermeture de la plupart des locaux communs tels que piscines, SPA, salles de sports, etc..

Les 14 et 15 mars 2020, le Gouvernement a décrété la fermeture administrative des commerces non indispensables à la survie de la Nation dont font partie les établissements touristiques et hébergements de courte durée, dans la mesure où ils n’hébergent pas de clients qui ont leur domicile en ces lieux.

Le Gouvernement a maintes fois répété que confinement ne rimait pas avec vacances, demandant même aux Préfets des régions touristiques à rappeler que les vacances ne faisaient pas partie des conditions de déplacements prévus par l’attestation dérogatoire et allant jusqu’à interdire les locations touristiques afin d’empêcher les français en mal de loisirs de braver le confinement.

Dans un contexte de fermeture administrative des établissements, de limitation des déplacements et d’interdiction des vacances par le Gouvernement, l’activité des exploitants de résidences de tourisme et de camping a été paralysée.

La réouverture des résidences de tourisme n’a pu s’opérer qu’à partir du 2 juin 2020 dans les départements classés vert et du 15 juin pour les derniers départements classés orange jusqu’à cette date.

Face à cette situation inédite, certains bailleurs institutionnels, comme la compagnie de Phalsbourg, Gare et Connexions ou encore la foncière d’Auchan ont déclaré officiellement annuler ces loyers.

La situation des bailleurs de résidences de tourisme est tout autre. Ces derniers sont très majoritairement des particuliers qui se sont endettés afin de procéder à un investissement locatif destiné à leur faire profiter d’un avantage fiscal, les flux de loyers leur permettant d’assurer une partie du remboursement de la dette qu’ils ont contractée.

L’article 1719 du Code civil met à la charge du bailleur deux obligations essentielles : la délivrance de la chose louée et la garantie de jouissance paisible. Ces obligations sont d’ordre public, il est impossible d’y déroger et toute clause contraire est réputée non écrite.

Or, en raison des mesures de confinement prises par les pouvoirs publics afin d’enrayer la progression du virus, les bailleurs se sont retrouvés malgré eux dans l’impossibilité d’assurer leurs obligations de délivrance et de jouissance paisible de leurs biens.

Pour les mêmes raisons, les locataires, qui n’ont pas pu exploiter les résidences pendant la crise sanitaire, sont victimes d’une situation inédite qui ne leur permettent pas de payer leurs loyers dont la délivrance et la jouissance paisible sont la contrepartie.

Etant rappelé que l’Ordonnance 2020-316 du 25 mars 2020 et son Décret d’application n°2020-378 du 31 mars 2020, qui ont uniquement pour objet d’interdire toute mesure coercitive à l’encontre des locataires, ne s’appliquent qu’aux petites entreprises. Toutefois, les exploitants de résidences de tourisme sont fondés à faire valoir un certain nombre d’arguments issus du Code civil.

Il convient ici de faire le point sur les éléments juridiques qui sont au centre des discussions et des éventuels contentieux entre propriétaires et locataires de résidences de tourisme, afin de mesurer les chances de succès d’une éventuelle action judiciaire en paiement des loyers.

1) L’exception d’inexécution.

Si le bailleur se trouve dans l’impossibilité d’assurer à son locataire la délivrance du bien loué ainsi que la jouissance paisible de ce bien, le locataire se retrouve parallèlement libéré de son obligation de payer le loyer en vertu du principe, aujourd’hui codifié, de l’exception d’inexécution.

En effet, l’article 1219 du Code civil, qui entérine la jurisprudence antérieure, prévoit qu’ « une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ».

Le fait, pour un exploitant d’une résidence de tourisme, de ne pas pouvoir accueillir de clients est évidement une inexécution suffisamment grave, le preneur étant privé de la jouissance de son bien conformément à la destination de celui-ci.

En outre, la jurisprudence admet que l’exception d’inexécution puisse être invoquée lorsque l’une des parties ne peut pas exécuter ses obligations en raison d’un fait extérieur, telle que la mise en œuvre d’une nouvelle législation par exemple [1].

En conséquence, le locataire est bien fondé à suspendre le paiement de son loyer pendant tout le temps où il n’a pas pu exploiter le local loué en raison des conséquences de l’épidémie et les bailleurs se verront légitimement opposer cet argument par les exploitants de résidences de tourisme en cas d’action judiciaire.

L’exploitant pourrait également invoquer la force majeure, si cela n’est pas exclu par les termes de son bail.

2) La force majeure.

De la même manière que pour le bailleur, la crise sanitaire présente toutes les caractéristiques de la force majeure pour l’exploitant de résidence de tourisme : imprévisibilité, extériorité et irrésistibilité.

Si, s’agissant des épidémies, l’essentiel de la jurisprudence (rendue majoritairement en matière de voyages touristiques) a écarté la qualification de force majeure [2], la situation actuelle, totalement nouvelle, étendue à l’échelle de la planète, entraînant le confinement de plus de la moitié de la population mondiale, est évidemment différente, tant par son ampleur que par son intensité et ses conséquences, notamment en termes de mesures gouvernementales de protection des populations.

En raison de l’épidémie et des mesures d’urgences exceptionnelles qui ont été prises par les pouvoirs publics, le locataire exploitant de résidences de tourisme se retrouve dans l’impossibilité d’accueillir du public et donc dans l’impossibilité d’exercer son activité.

En conséquence, l’inexécution du locataire étant due à un cas de force majeure qui est au moins autant lié à l’épidémie qu’à ses conséquences, ce dernier pourra légitimement l’opposer au bailleur.

A l’inverse d’un engagement de caution, au sujet duquel la jurisprudence a pu considérer que le cas de force majeure ne dispensait pas du paiement d’une somme d’argent, nous sommes ici en présence d’un contrat synallagmatique. La solution n’est donc pas transposable.

3) La révision du loyer.

En tout état de cause, le locataire est fondé à demander au bailleur la révision du loyer au titre de l’imprévision prévue par l’article 1195 du Code civil et qui permet à une partie de demander à son cocontractant la renégociation de son contrat si un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion dudit contrat rend son exécution excessivement onéreuse.

Là encore, il n’y a aucun doute sur le fait que cette crise sanitaire constitue un changement de circonstances imprévisibles lors de la signature du contrat.

En revanche, il convient d’être attentif à la date et aux dispositions du bail car l’article précité n’est applicable qu’aux contrats conclus postérieurement au 1er octobre 2016 et les parties ont bien souvent écarté l’application du mécanisme de l’imprévision.

A noter par ailleurs que la mise en œuvre du mécanisme de l’article 1195 du Code civil implique la poursuite de l’exécution des obligations de parties au contrat.

Il reste alors la révision du loyer prévue par l’article L145-38 du Code de commerce, qui suppose une modification matérielle (durable ou provisoire) de l’environnement commercial ayant entraîné une baisse de plus de 10% de la valeur locative.

La révision prévue par le Code de commerce donne lieu à une fixation de loyer à une date déterminée. Au contraire, la révision pour imprévision permet au juge de moduler, sur une certaine période, les conditions financières, puisqu’il peut largement « réviser le contrat », ce qui est beaucoup plus souple que la révision du Code de commerce.

Les mesures de confinement et celles prises en suite du déconfinement (restrictions d’accès aux loisirs et circulation du virus encore active) peuvent en effet avoir pour conséquence d’entraîner une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité des stations touristiques concernées ayant entraîné une variation de plus de 10% de valeur locative.

En conclusion, les bailleurs ont tout intérêt à se rapprocher de leur locataire avant d’engager toute action judiciaire hasardeuse, longue et coûteuse.

Ils ont aussi tout intérêt à relire attentivement leur bail qui peut comporter une clause d’interruption des loyers sur une durée relativement longue en cas d’événement empêchant l’activité du locataire (cas de force majeure, dysfonctionnement de l’activité touristique).

En effet, la crise sanitaire et les mesures de confinement prises ont mis les activités des exploitants de résidences de tourisme à l’arrêt le plus total, les empêchant de recevoir la clientèle et rendant impossible l’exécution du bail pour le bailleur comme pour le preneur.

La suspension des loyers pendant toute cette période où ces derniers n’ont pu exploiter les résidences est dès lors parfaitement fondée.

Toute action en recouvrement de loyers à l’égard des exploitants de résidences de tourisme et notamment les commandements visant la clause résolutoire concernant les loyers des mois de mars à mai 2020 risquent assurément d’être taxés de mauvaise foi dans un contexte aussi spécifique.

En conséquence, la meilleure solution reste naturellement la concertation avec l’exploitant afin de rechercher la meilleure solution qui puisse convenir à chaque partie.

Ludovic Tartanson Avocat associé Caroline Pierre Avocate Cabinet Acacia Legal AARPI aux Barreaux de Paris et Marseille https://www.acacia-legal.com/

[1Cass. com. 20 janvier 1976, Gaz. Pal. 1976, 1, somm. p. 96.

[2Le SRAS_ : Paris, 29 juin 2006, n o 04/09052_ ; le chikungunya_ : Saint-Denis de La Réunion, 29 déc. 2009, n o 08/02114_ ; la dengue_ : Nancy, 22 nov. 2010, n o 09/00003_ ; la grippe H1- N1_ : Besançon, 8 janv. 2014, n o 12/02291 ; le virus Ebola_ : Paris, 17 mars 2016, n o 15/04263_ ; Paris, 29 mars 2016, n o 15/05607_ ; ou encore la grippe aviaire_ : Toulouse, 3 oct. 2019, n o 19/01579.

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