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Le jour d’après, les salariés victimes d’un APC (accord de performance collective) ? Par Franck Le Louedec, Consultant.
Parution : lundi 15 juin 2020
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La période post-Covid 19 se prête à des initiatives audacieuses du côté des entreprises. En effet, si les accords de compétitivité n’ont pas eu bonne presse dans le passé, notamment du fait de leur manque d’efficacité sur le maintien de l’emploi, la dégradation de la situation économique les remet sur le devant de la scène via les accords de performance collective mais faut-il sacrifier des droits et des emplois pour en sauver d’autres ? pas sûr...

Si l’on peut considérer que « nécessité fait loi », les effets d’un accord de performance collective peuvent bouleverser certains principes fondamentaux du droit du travail.

Employeur et salarié sont en principe libres de s’engager l’un envers l’autre et le contrat de travail ne devrait pas être moins favorable qu’un accord collectif. Dès lors, si des clauses essentielles du contrat de travail peuvent être écartées au gré des accords collectifs, cela ne revient-il pas à le vider de sa substance ?

Que devient la liberté de contracter, de consentir, pour le salarié sous la menace d’un licenciement si des éléments déterminants au moment de l’embauche peuvent être remis en question et que sa dépendance économique peut faire plier sa volonté ?

« En droit civil, la volonté s’engage, en droit du travail, elle se soumet » (André de Laubadère, Juriste 1910-1981), c’est la force du lien de subordination résultant du contrat de travail mais il ne peut être question de tout accepter, comme disait Robert Tessier (1938-2013 ancien Président du conseil des Prud’hommes de Montpellier) : "On ne va pas passer sous les fourches caudines" [1].

L’accord de performance collective et son refus par le salarié.

Issu de la réforme du Code du travail, ce nouveau genre d’accord de "compétitivité" est né de la refonte des accords de préservation ou de développement de l’emploi, de réduction du temps de travail, de maintien de l’emploi et de mobilité interne et d’aménagement du temps de travail [2]. Ces accords dérogatoires à la hiérarchie des normes, au principe de faveur, constituaient un équilibre juridique instable et donc peu engageant pour les chefs d’entreprise, ce qui explique leur peu de succès. Depuis, les ordonnances Macron ont simplifié les choses en unifiant ces dispositifs, notamment, en facilitant le licenciement en cas de refus du salarié de se plier aux nouvelles conditions dictées par l’accord.
Auparavant, la perte de l’emploi dans ce cadre n’avait pas les mêmes conséquences qu’aujourd’hui. Par exemple, en cas de refus d’un accord de maintien de l’emploi [3] ou de mobilité interne [4], la rupture du contrat de travail correspondait à un licenciement économique individuel, sans obligation préalable d’adaptation ou de reclassement ni de PSE mais il était tout de même possible de bénéficier d’un congé de reclassement ou d’un contrat de sécurisation professionnelle et d’un accompagnement renforcé d’un an indemnisé à hauteur de 75% du salaire antérieur par Pôle emploi.
Or, l’accord de performance collective) permet à l’employeur de recourir à un licenciement « sui generis », c’est-à-dire ni pour motif personnel ni pour motif économique mais pour sa propre cause, réputée réelle et sérieuse : le refus de l’application de l’accord.
A compter de l’information de l’existence de l’accord et de son contenu, chaque salarié dispose d’un mois pour exprimer son refus, l’employeur peut alors décider de le licencier dans les deux mois [5].
Le licenciement est soumis à la procédure habituelle : entretien préalable et notification de la rupture pour motif personnel [6].
Outre ses indemnités de licenciement et de préavis, le salarié licencié n’aura droit qu’aux allocations chômage de droit commun, moins favorables que pour un licenciement économique, elles peuvent ne représenter que 57% du salaire antérieur brut. Il est prévu en compensation un abondement à hauteur de 3 000 euros du compte personnel de formation [7]. Somme toute, maigre compensation pour ceux qui ne sont pas proches d’une retraite à taux plein.

Conclusion d’un accord de performance collective.

Ce type d’accord peut être conclu selon les règles de droit commun pour une durée déterminée ou indéterminée. Les anciens dispositifs étaient limités à une durée déterminée de 5 ans (maintien de l’emploi, etc.). Pour être validé, l’accord doit recueillir la signature d’une ou de plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50% des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique. A défaut, il est possible de recourir à un référendum si la ou les organisations signataires représentent plus de 30% des suffrages requis. L’accord peut alors être validé s’il est approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés [8].
En l’absence de délégué syndical, l’accord peut être conclu selon les règles de négociation spécifiques, avec les élus du CSE mandatés ou non ou avec un ou plusieurs salariés mandatés. Dans les entreprises de moins de 11 salariés, il peut même être validé par la majorité des 2 tiers des salariés ; de même entre 11 et 20 salariés en l’absence de CSE.
Les signataires d’un tel accord donnent en quelque sorte un « blanc-seing » à l’employeur qui pourra ainsi se séparer facilement de ceux qui refuseront les modifications prévues.
Or, le champ d’application de l’accord de performance collective est large. Il peut aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition, éventuellement baisser la rémunération sous réserve du respect des minima conventionnels, réduire ou supprimer des primes, modifier les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne [9].

Ses stipulations se substituant de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail [10], il peut "forcer" le passage d’un horaire de jour à un horaire de nuit, d’un horaire de bureau à un travail posté en 2 X 8 ou en 3 X 8 fixe ou en alternance, modifier la durée du travail, le volume d’heures ou de jours d’un forfait annuel [11]. Autant de changements souvent incompatibles avec des impératifs familiaux, l’emploi du conjoint, la garde des enfants, une autre activité, des études, etc.
A noter : selon la DGT « un forfait ne peut pas être imposé à un salarié et le refus du salarié de signer une convention individuelle de forfait ne peut justifier un licenciement » [12].

Contestation et recours ?

Malgré l’entrée en vigueur d’un accord de performance collective, il reste théoriquement envisageable de discuter des motifs invoqués pour y recourir. Ceux-ci doivent répondre aux : « nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi ». Hormis ce cadre, la primauté de l’accord sur le contrat de travail en l’absence de motivation apporterait aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché [13].

Bien qu’ayant déclaré conforme ce dispositif, le Conseil constitutionnel a rappelé la possibilité de contester la pertinence des motifs ayant justifié l’accord et le licenciement [14] dont le motif "réel et sérieux" de rupture est toutefois présumé justifié. Le délai de recours de l’action en nullité des accords collectifs est de 2 mois [15].

Un exemple de licenciement sui généris déclaré nul :
« Ne caractérise pas, par lui-même, l’impossibilité dans laquelle se trouve l’employeur de maintenir le contrat de travail d’une salariée enceinte pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement, le refus par cette salariée de voir appliquer à son contrat de travail les stipulations d’un accord de mobilité interne » [16].

Des principes civilistes opposables ?

Il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable [17]. La menace d’une voie de droit ne constitue pas une violence. Il en va autrement lorsque la voie de droit est détournée de son but ou lorsqu’elle est invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif [18].
Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif [19].

L’accord de méthode, un cheval de Troie ?

Le préalable d’un accord de méthode relatif à l’engagement de négociations portant sur l’hypothèse de la conclusion d’un accord de performance collective ne risque-t-il pas d’être interprété comme une reconnaissance par les partenaires sociaux de la situation de l’entreprise « devant répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi » et ainsi limiter les contestations éventuelles ?

Réinventer l’économie ?

Alors que la Banque de France vient de publier ses prévisions sur l’économie françaises le 9 juin, prédisant une chute du PIB de l’ordre de 10% et la perte "de « presque » un million" d’emploi en 2020, si le législateur continue d’organiser la perte de l’emploi, sans que des contreparties sérieuses ne soient prévues en matière de formation, de congé de reclassement avec une indemnisation comparable à celle du licenciement économique, le tissu social n’en sera que plus fragilisé.

Une étude réalisée par Pierre Meneton, chercheur à l’Inserm, publiée en 2015 montre que « les chômeurs ont une surmortalité de 300% par rapport au reste de la population » ; elle souligne que le chômage pourrait provoquer la mort de 10 000 à 15 000 personnes par an. Un problème qui serait largement sous-évalué.
La perte de confiance croissante d’un grand nombre de salariés et d’électeurs dans la politique et le législateur brouille la relation de travail trop souvent centrée sur la performance, les objectifs, bref sur la compétitivité, souvent sous la pression, non seulement des marchés mais aussi de méthode de management excessives.
Selon une étude du FMI, les hypothèses de la théorie du ruissellement risquent fort de ne pas être suffisantes à convaincre les salariés de faire des concessions « quand les riches sont plus riches, les bénéfices ne ruissellent pas et la croissance est moindre que si on favorise les pauvres et les classes moyennes » (Rapport du FMI du 15 juin 2015).

Au contraire, le FMI, le Bureau International du Travail et l’OCDE plaident en faveur du concept de croissance inclusive qui prône la création d’emploi de bonne qualité et bien payés, mettant l’accent sur la formation, l’éducation, et les politiques de redistribution des revenus.

Aller plus loin :
- Entretien avec Luc Rouban sur La Matière noire de la démocratie
- Avec Julia Cagé

Franck Le Louedec Ancien conseiller prud’homal, consultant

[2Ordonnance 2017-1385 du 22 septembre 2017, art. 3.

[3Art. L5125-1 c. trav.

[4Art. L2242-19 c. trav.

[5Art. L2254-2 c. trav.

[6Art. L1232-2 à L1232-14 c. trav.

[7Art. L2254-2, VI et R6323-3-2, I c. trav.

[8Art. L2232-12 c. trav.

[9Art. L2254-2, I c. trav.

[10Art. L2254-2, III c. trav.

[11Art. L3121-64, I, 5° c. trav.

[12Cf. Liaisons Sociales 4 juin 2018 : L’accord de performance collective peut-il imposer un forfait annuel à un salarié ?

[13Art. L1121-1 c. trav.

[14Décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018.

[15Art. L2262-14 c. trav.

[16Cass. soc. 4 mars 2020 n° 18-19189, Publié au bulletin.

[17Art. 1140 c. div.

[18Art. 1141 c. civ.

[19Art. 1143 c. civ.

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