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La protection juridique des œuvres créées par l’intelligence artificielle. Par Kandolo Brozeck, Etudiant.
Parution : lundi 15 juin 2020
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L’évolution des algorithmes permet maintenant à l’intelligence artificielle de générer des créations artistiques de manière quasiment autonome puisque l’utilisateur de l’intelligence artificielle n’a qu’à lancer le processus. Cette nouvelle manière de créer engendre de nombreuses questions, notamment celle de savoir qui est l’auteur au sens juridique de ces créations et si elles peuvent bénéficier de la protection du droit d’auteur ou faut il envisager un autre mode de protection relevant d’un droit spécial qu’il faudrait construire.

Fin janvier 2017, trois jeunes français arborent le portrait classique de la « La Comtesse de Belamy ». Le tableau fut généré par algorithme. Cette création porte en elle la genèse d’un nouveau courant artistique par l’intelligence artificielle devenant ainsi la première œuvre de ce type à se frayer un chemin dans les hautes sphères de la vente aux enchères [1]. Mais bien avant cela, en 2016, une collaboration entre des chercheurs et des musées des Pays-Bas dévoilaient un portrait « The Next Rembrandt », un tableau généré par une IA après analyse de milliers d’œuvres réalisées par le peintre néerlandais du XIIè siècle, Rembrandt Harmenszoon van Rijn [2].

Par tous ces événements, l’on se rend compte que aujourd’hui, l’IA est devenue un facteur de changement extrêmement puissant. Mais bien qu’elle soit en constante évolution, le droit peine parfois à s’y adapter ; les enjeux de propriété intellectuelle sont particulièrement importants. Il faut, en effet, s’assurer que les entreprises qui investissent dans ces technologies puissent profiter pleinement de leurs retombées commerciales [3].

Une première forme de protection qu’il faudrait écarter d’entrée de jeu est celle liée à la brevetabilité, l’obtention d’un brevet ne constitue pas nécessairement la forme de protection la plus adaptée à l’intelligence artificielle ou aux technologies logicielles en général. En effet, en vertu de l’article 52 de la Convention sur le brevet européen de 1973, « les programmes d’ordinateurs ne sont pas brevetables ». Il est donc impossible d’obtenir un brevet sous ce régime pour la programmation sous-jacente à un système d’intelligence artificielle [4].

Ainsi, s’il convient d’envisager les questions sur les régimes juridiques applicables aux créations générées par IA ; la première consiste à savoir : le régime de droit d’auteur peut-il être applicable ? La seconde, si la réponse à la première question est négative, faut-il chercher un autre mode de protection relevant d’un droit spécial à construire ? Pour répondre à ces questions, la présente réflexion sera subdivisée en deux parties, la première analyse l’inadaptation de l’application du régime juridique du droit d’auteur à l’IA (I) et la seconde se base sur la recherche d’un autre mode de protection relevant d’un droit spécial à construire (II).

I. L’inadaptation du droit d’auteur.

Le droit d’auteur protège, en vertu des dispositions de l’article L112-1 du Code de la propriété intellectuelle, toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. La seule condition propre à permettre à une création d’accéder à la qualification d’œuvre de l’esprit est qu’elle soit originale, à savoir qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur qu’elle fait d’ailleurs bénéficier de droits moraux, tels que le droit au respect ou le droit à la paternité.

Par cette définition, il ressort que le droit d’auteur français attribue, en cette matière, des droits aux inventeurs et créateurs. Toutefois, bien que la loi ne définît pas l’auteur en tant que tel, ce dernier doit être entendu comme une personne physique, celle qui a produit l’effort créatif permettant la réalisation du bien intellectuel [5]. Il est ainsi logique que les créations assistées par IA où celle-ci est employée comme un simple outil, pourraient accéder au rang d’œuvre et être protégées par le droit d’auteur à condition qu’apparaisse l’originalité voulue par le concepteur [6].

S’agissant des créations générées spontanément par une IA, plusieurs questionnements se posent sur la présence et l’identification de l’expression de la personnalité de l’auteur (2) et la notion d’originalité (1) qui permettront de placer ces créations sous l’empire du droit d’auteur.

1) L’absence de l’originalité.

L’œuvre ne sera protégée par le droit d’auteur qu’à la condition d’être originale. Le fondement de la protection tient au lien qui unit l’œuvre à son auteur [7]. Ainsi, en droit d’auteur, l’originalité constitue une notion centrale.

Lorsque l’humain a recours à l’assistance d’une machine pour créer, l’utilisation d’un outil, qu’il soit logiciel ou de toute autre nature, ne fait pas obstacle à la reconnaissance du caractère original de l’œuvre qui en résulte. Mais, dans les créations où l’être humain ne dispose d’aucun contrôle sur l’exécution, il y a lieu de constater l’absence de l’originalité. Cela se justifie par le fait que, « le robot n’a pas, à proprement parler, de personnalité, même si l’argument tend à perdre en intensité avec le développement de l’intelligence artificielle qui confère au robot un caractère propre [8] ». Ici, l’on se rend compte que l’IA n’a pas de conscience et, par conséquence, dépourvue de l’originalité car il est difficile de démontrer l’empreinte de la personnalité de cette dernière.

Historiquement, la notion d’originalité a pu s’adapter à des créations nouvelles, telle a été le cas avec le logiciel, l’on a remplacé l’empreinte de la personnalité de l’auteur par l’apport intellectuel, comme il a été le cas dans l’arrêt Pachot [9] où la Cour de justice a considéré que l’originalité nécessitait un effort intellectuel de son créateur. Ainsi, il est difficile de déclarer à ce jour le fait d’effectuer des calculs en fonction de sa programmation pour l’IA comme étant un effort intellectuel. De ce fait, il nous semble que cette définition de l’originalité ne puisse pas être appliquée à l’IA.

2) L’absence d’une créativité humaine.

La difficulté majeure est celle de rattacher une œuvre générée par l’IA à une personne physique.

Bien que l’œuvre ait été programmée par une personne qui est le concepteur ou le programmeur (information, roboticien etc.) et mise en route par un utilisateur, ces deux derniers ne seront pas auteur de l’œuvre car, on considère qu’ils n’interviennent pas dans la réalisation de l’œuvre et cela constitue aussi une difficulté pour rattaché ces produits générés par l’IA au droit d’auteur hormis les difficultés liée à l’originalité et à la qualification de l’œuvre elle-même (comme étant une création). Cette limite se retrouve dans la définition de l’originalité, sans laquelle aucune création ne peut prétendre à la protection par le droit d’auteur, et qui est intimement liée à la personnalité de l’auteur.

Les schémas juridiques du droit de la propriété intellectuelle sont inadaptés aux créations réalisées grâce à une IA. En effet, au vu des analyses actuelles, une œuvre générée par l’IA est dépourvue de la présence d’un auteur, personne physique, et l’idée d’une personnalité juridique de l’IA a déjà été avancée dans une Résolution du Parlement européen en 2017 [10]. Par cette Résolution, le Parlement évoquait ainsi « la création, à terme, d’une personnalité juridique spécifique aux robots, pour qu’au moins les robots autonomes les plus sophistiqués puissent être considérés comme des personnes électroniques responsables, tenus de réparer tout dommage causé à un tiers ».

II. Recherche d’un autre mode de protection relevant d’un droit spécial à construire.

Comme nous l’avons démontré dans la première partie de cette réflexion, Il n’existe pas à ce jour un cadre légal ou réglementaire dédié à l’IA, tant à l’échelle nationale qu’européenne ou internationale. Néanmoins, de nombreuses initiatives en France, en Europe et à l’étranger ont été prises afin de déterminer si le droit existant était applicable à l’intelligence artificielle ou s’il convenait de mettre en place un régime juridique dédié.

A cet égard, deux nouvelles propositions méritent d’être analysées ; il s’agit de celle qui consiste en l’application du domaine public pour les œuvres qui sont générées par les IA (1) et de celle qui vise la création d’une nouvelle forme de personnalité juridique dédiée aux œuvres générées par les IA (2).

1) L’application du domaine public pour les œuvres générées par les intelligences artificielles.

Le domaine public est défini à l’article 714 du Code civil qui énonce sobrement qu’« Il est des choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous ».

Au vu de la faiblesse et de l’artificialité du maintien d’un droit d’auteur sur les créations générées par IA, il pourrait être considéré que les créations générées par une IA puissent recevoir la qualification d’œuvres, mais que celles-ci auraient vocation à tomber dans le domaine public. Cette solution peut sembler viable, faute d’identification d’un auteur, sans avoir à passer par des consécrations presque fictives de celui-ci d’une part et, d’autre part, faute de pouvoir garantir de façon satisfaisante le respect des prérogatives d’ordre patrimonial dont il bénéficie en principe. Cette solution est celle qui est retenue par une partie de la doctrine étrangère qui considère qu’une absence d’identification de l’auteur devrait conduire à placer l’œuvre dans le domaine public [11].

Geogres Azzaria fixe deux critères pour qu’une œuvre générée par l’IA bascule dans le domaine public par défaut.

Le premier critère présente deux situations différentes ; d’abord, il faut que le résultat particulier ne soit pas prévisible par les programmeurs ou les utilisateurs. L’IA doit jouer un rôle prédominant, voire quasi exclusif, dans l’expression de l’œuvre. Ensuite, l’intervention humaine doit être minimale.

Le second critère est celui dit de talent, il faut que ce soit l’IA qui en soit la principale responsable, c’est-à- dire que c’est essentiellement elle qui est derrière les choix créatifs de l’œuvre. Pour le dire autrement, si l’IA contrôle majoritairement la main, l’œuvre est dans le domaine public. L’œuvre n’a alors pas d’auteur et de titulaire. À défaut, lorsque l’IA ne contrôle pas majoritairement la main, ce sont les principes de l’approche factuelle qui doivent être appliqués. La possibilité de qualifier l’œuvre comme une œuvre de collaboration doit être écartée, car l’IA n’est pas une personne [12].

2) Opportunité d’une personnalité juridique aux œuvres générées par les IA.

Les projets juridiques sur les questions du régime juridique applicable à l’intelligence artificielle semblent pencher pour la reconnaissance de la personnalité juridique du robot, voire de la « personnalité électronique [13] ».

Pour les tenants de cette doctrine, la reconnaissance d’une personnalité juridique permettrait d’encourager la création, de promouvoir l’accès à l’information et à la connaissance, de protéger ces créations de la copie, de réaliser des gains de productivité, de soutenir les industries opérant dans ce secteur et de leur fournir une garantie de stabilité [14].

En cette matière, au niveau communautaire, nous pouvons noter des avancées significatives parce que la Commission européenne a opté pour une solution médiane, « une approche équilibrée » selon ses propres termes. Dans son projet de rapport contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique du 31 mai 2016, la Commission des affaires juridiques du Parlement européen proposa

« […] la création d’une personnalité juridique spécifique aux robots, pour qu’au moins les robots autonomes les plus sophistiques puissent être considérés comme des personnes électroniques dotées de droits et de devoirs bien précis, y compris celui de réparer tout dommage cause a un tiers ; serait considère comme une personne électronique tout robot qui prend des décisions autonomes de manière intelligente ou qui interagit de manière indépendante avec des tiers [15] ».

Elle a proposé de donner à l’intelligence artificielle la personnalité électronique. Avec cette proposition, l’on peut en déduire qu’il y aura une redéfinition de la notion du droit d’auteur qui sera diffèrent de celui du droit commun basé sur l’auteur personne physique.

Il sied de souligner que la question de la reconnaissance de droits patrimoniaux attachés aux créations générées par l’IA ne pose pas de problème et elle semple plus aisé à être reconnue parce que sa mise en œuvre ne viole pas le principe fixé par le droit d’auteur. À la différence du droit moral qui se heurte au caractère non humain du créateur, ainsi le droit de reproduction et de représentation peuvent être mise au profit de l’utilisateur, car ce dernier possède matériellement les exemplaires réalisés par le robot dont il peut disposer comme il l’entend et il peut également en contrôler la destination.

S’agissant du droit de suite, l’on pourrait le mettre au profit du programmeur ou concepteur alors que les droits de reproduction et de représentation peuvent être au profit de l’utilisateur qui peut aussi s’avérer être le programmeur.

S’agissant de la durée de protection qui, en droit commun, est fixée à soixante-dix ans à compter du décès de l’auteur, il serait compliqué de l’appliquer pour les œuvres générées par l’IA. C’est pourquoi, le droit britannique a résolu cette situation en prévoyant une protection pour les créations générées par ordinateur d’une durée de cinquante ans à compter de la fin de l’année de réalisation de l’œuvre.

Pour conclure cette réflexion, nous estimons que toute norme juridique demeure une construction humaine. Conséquemment ce n’est pas parce que le droit d’auteur a été consacré historiquement que à protéger toujours des œuvres créées par des humains que son destin est scellé. Les sociétés changent et, avec elles, les conceptions du monde et les règles juridiques qui en découlent. Et donc, il est nécessaire à ce jour de recouvrir vers à la création d’un droit d’auteur spéciale réservé aux œuvres générées par IA, comme cela l’a été avec le logiciel, ainsi j’espère que comme toujours elle arrivera à s’adapter, afin d’accueillir des créations d’un genre toujours plus divers.

Chercheur en Droit du numérique

[1Margaux Dussert, « Un tableau créé par algorithme mis à prix à 432 500 dollars : une vente historique pour le collectif français Obvious ! », en ligne : <https://www.ladn.eu/tech-a-suivre/a...> (consulté le 10/05/2020).

[2Mathieu Poissard et Laurent Marchandiau, « IA et Propriété Intellectuelle, entretien avec Me Robert » In Non classé, 11 décembre 2018, en ligne : < http://neovision.fr/ia-et-propriete-intellectuelle-lia-a-lepreuve-de-la-loi> (consulté le 10/05/2020).

[3Eric Lavallee, « La propriété intellectuelle de l’intelligence artificielle », septembre 2017, en ligne : <https://www.lavery.ca/DATA/PUBLICAT...> (consulté le 15/05/2020).

[4Lire à ce sujet David Forest, Droit des logiciels, Paris, éd. Lextenso, 2017, pp. 20 - 24.

[5Nicolas Binctin, Droit de la propriété intellectuelle, droit d’auteurs, bevret, droits voisins, marque, dessins et modèles, 5e édition, éd. LGDJ, 2018, Paris, p.76.

[6Cour d’appel de Paris, 3 mai 2006, RG 05/03736.

[7Laporte Legeais Marie-Eugénie, droit de la propriété intellectuelle, cours de Master 1 droit du numérique, Université de Poitiers, année académique 2019-2020, p.16.

[8Julie Groffe, « Robot et droit d’auteur » dans Les robots objets scientifiques, objets de droits, coll Presses universitaires de Sceaux, mare & martin, 2016, 201-209. Cité par Marie Rouxel, les refus de reconnaître le statut d’auteur à l’intelligence artificielle et ses conséquences, mémoire de maîtrise en droit, Université de Laval et Université de Paris-Saclay, 2019, p.53, en ligne <https://corpus.ulaval.ca/jspui/bits...> (consulté le 23/05/2020).

[9Cass., Ass. Plén., 7 mars 1986, Pourvoi n° 83-10477, Bull. AP, n° 3.

[10Résolution du Parlement européen du 16 févr. 2017 contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique, 2015/2013(INL).

[11Voir, par exemple, Georges Azzaria, « Intelligence artificielle et droit d’auteur : l’hypothèse d’un domaine public par défaut », dans Les Cahiers de propriété intellectuelle, vol. 30, n° 3, 2018, en ligne : <https://cpi.openum.ca/files/sites/6...> (consulté le 18/05/2020).

[12Idem.

[13Résolution législative contenant des Recommandations à la Commission sur les règles de droit civil sur la robotique et l’intelligence artificielle adoptée le 16 février 2017. Voir dans Marie Soulez, « Questions juridiques au sujet de l’intelligence artificielle », Enjeux numériques – n°1 – mars 2018, p.85, en ligne : <http://www.annales.org/enjeux-numer...> (consulté le 12/05/2020).

[14Alexandra Bensamoun et Grégoire Loiseau, « L’intégration de l’intelligence artificielle dans certains droits spéciaux » [2017] Dalloz IP/IT 295, en ligne : <https://www-dalloz-fr.ressources.un...> (consulté le 12/05/2020).

[15Projet de Rapport de la Commission juridique du Parlement européen contenant des Recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique (2015/2103(INL)), Commission des affaires juridiques (Rapporteure : Mady Delvaux), du 31 mai 2016, p.8.