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L’Europe va-t-elle rendre le recrutement des enseignants-chercheurs plus éthique ? Par Béatrice Mabilon-Bonfils, Professeure d’Université.
Parution : mardi 16 juin 2020
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La vie universitaire n’est pas exempte d’enjeux de pouvoir. Cependant les universitaires, bien que fonctionnaires, ont une liberté de parole qui leur permet d’intervenir dans les débats publics et de faire état des pratiques non déontologiques. Ce texte, premier d’une série questionne l’éthique et la transparence des pratiques de recrutement des enseignants-chercheurs.
Le droit suffit-il établir l’égalité des candidats face à un concours de la fonction publique ?

Le label européen HRS 4R (« Human Resources Strategy for Researcher ») vise à améliorer les pratiques des organismes et établissements de recherche en matière de recrutement et de cadre d’exercice des chercheurs.
Ce label impose des conditions d’ouverture des concours et d’équité des candidats (contractuels ou non contractuels) et notamment un code de conduite pour le recrutement des chercheurs dont l’article 14 indique "Les bailleurs de fonds ou les employeurs des chercheurs devraient être responsables, en tant que recruteurs, d’offrir aux chercheurs des procédures de sélection et de recrutement qui soient ouvertes, transparentes et comparables à l’échelle internationale" , avec notamment une recommandation Les États membres s’efforcent de prendre, selon les besoins, les mesures cruciales pour assurer que les employeurs ou bailleurs de fonds des chercheurs améliorent les méthodes de recrutement et les systèmes d’évaluation de carrière afin de créer un système de recrutement et de développement de carrière qui soit plus transparent, ouvert, équitable et reconnu au niveau international, en tant que condition préalable à un véritable marché européen du travail pour les chercheurs.

Ce label conditionne l’obtention de financements-recherche de l’Union européenne, fonds dont les universités française ne peuvent se passer. Les universités en quête de ce label désormais indispensable se retranchent fréquemment derrière l’idée que les procédures nationales de recrutement des enseignants-chercheurs garantissent déjà cette équité. Qu’en est-il vraiment ?

Depuis La loi relative aux libertés et responsabilités des universités (dite loi LRU ou loi loi Pécresse), les universités peuvent recruter, des agents contractuels pour occuper des fonctions techniques ou administratives correspondant à des emplois de catégorie A, mais également pour assurer des fonctions d’enseignement, de recherche ou d’enseignement et de recherche. Ces dispositions permettent donc à des universités de recruter des enseignants-chercheurs contractuels (après avis d’un comité de sélection constitué selon des règles plus souples que celles qui encadrent le recrutement des enseignants-chercheurs titulaires). Ce dispositif a, avait pour objectif principal de favoriser la venue dans les établissements d’universitaires et de chercheurs étrangers de haut niveau, ainsi que le retour de post doctorants français prometteurs [1].

Le projet de recrutement des "seniors lecturers " de renommée, titulaires de chaires de recherche dotées de conditions de rémunération et d’organisation de leurs obligations de service attractives et concurrentielles au niveau international, pour 6 années suivie d’une éventuelle titularisation a suscité des débats dans le monde universitaire. Comment cette procédure pourra-telle respecter le label européen ?

Il s’agit déjà de penser la manière dont les enseignants-chercheurs sont recrutés comme fonctionnaires de la république. De manière très générale, il s’agit de se demander si les procédures nationales permettent de garantir la qualité scientifique des recrutements d’enseignants-chercheurs mais aussi l’égalité des candidats devant des concours de la fonction publique et donc questionner l’endo-recrutement.

Les enseignant-chercheurs sont des fonctionnaires recrutés par les universités au terme d’un parcours exigeant : la soutenance d’une thèse, assortie de bons rapports du jury de soutenance, jury auquel désormais e directeur de thèse n’appartient plus , des publications de recherche dans des revues définies par l’HCRES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement), la participation à des colloques et journées d’études scientifiques, des enseignements notamment en vacations ou comme Ater à l’université. Ce parcours est soumis à l’évaluation et la validation préalable du CNU (conseil national des universités) instance collégiale de représentants d’une discipline (élus et nommés), eux-mêmes professeurs d’université et maîtres de conférences qui définissent des critères de validation des candidats aux fonctions de maître de conférences, puis de professeurs d’université.

Forts de cette qualification, les candidats peuvent alors répondre à l’appel à candidature national des universités à partir de fiche-postes indiquant les besoins des universités : discipline(s) de rattachement, besoins de recherche et laboratoire de rattachement, besoins d’enseignement et besoins administratifs. Des comités de sélection (COS) élaborés par un président de COS, professeur de l’université qui recrute sont alors constitués et validés par les instances de l’Université. Les membres du COS sont des enseignants-chercheurs de la discipline ou des disciplines requises par le poste (et quand cela est possible spécialistes des sous domaines de recherche du poste à pouvoir). Les règles de constitution de ces COS imposent des impératifs de quorum de genre et des impératifs de quorum de rattachement (la moitié au moins des membres du COS ne doivent pas être membres de l’université qui recrute). Ces règles ont pour objectif de limiter le localisme et le clientélisme cooptatif des recrutements. Le COS procède à une pré-sélection sur dossiers – avec une procédure prévue pour les candidats à la mutation - puis à des auditions des candidats présélectionnés. Sur le papier, tout semble réuni pour une équité des recrutements. Le CNU apparait comme un garant de la qualité des parcours et le COS garant de l’adaptation du candidat aux besoins. Mais le diable est dans les détails.

Plusieurs questions doivent être ouvertes : quelles instances attribuent des postes aux laboratoires ? Qui définit la fiche-poste ? Qui choisit les membres du COS ?

Les postes d’enseignants-chercheurs mis au recrutement sont supposés répondre aux besoins de formation des composantes et aux besoins de recherche des laboratoires, avec l’objectif d’articuler les deux. Les composantes des universités définissent donc leurs besoins en termes d’enseignement et de recherche, font remonter ces besoins aux instances décisionnaires des universités. Ces instances, au regard de leurs moyens et des choix de politique scientifique d l’Université arbitrent. Des postes sont alors mis en recrutement.

Pour ce faire, une fiche-poste est définie et publiée sur le site institutionnel Galaxie. La fiche poste peut être plus ou moins précise et détaillée. Cette fiche indique les besoins et attentes de l’université en matière d’enseignement, de recherche et d’administration, fiche au regard de laquelle le candidat au recrutement peut candidater si son parcours scientifiques et ses expériences professionnelles lui semblent correspondre aux besoins de l’Université et du laboratoire de recherche recrutants.

Les présidents de COS ont des moyens d’action importants : définir les membres du COS, composition ensuite validée par une instance de l’Université, pluridisciplinaire par définition, et donc éloignée des enjeux de pouvoir de la discipline. Ils attribuent à chaque membre du COS les candidats sur lesquels ils doivent rapporter au regard d’un dossier de candidature envoyé par le candidat.

Dans une session première le COS décide alors des candidats retenus pour audition. Deux possibilités sont alors envisagées : une audition ou bien un séminaire suivi d’une audition. A l’issue de cette session 2 d’auditions, le COS classe une liste de candidats pouvant prétendre à occuper le poste. L’instance décisionnaire de entérine ou pas cette liste. Il est assez rare qu’elle ne soit pas entérinée.

Les rapports et enjeux de pouvoir, on ne le sait pas toujours, structurent la vie universitaire. L’actualité des débats sur les recherches autour du coronavirus en attestent. Les rapports de pouvoir(s) entre laboratoires de recherche, composantes, porteurs de choix théoriques voire même axiologiques ne sont pas sans effets sur la double légitimité scientifique et sociale des travaux et définissent les théories et paradigmes dominants en ce qu’ils génèrent des bénéfices en termes de postes, de financement, de carrière. Concurrence, compétition, mais aussi consensus et réseau de connaissance caractérisent la production scientifique (Stengers, 1988). Effets de pouvoir, enjeux de renommée, crédit de diffusion, la question de la pluralité du débat scientifique au sein de nos institutions doit etre posée.

Ce processus relativement lourd de recrutement des enseignants –chercheurs suffit –il à garantir l’équité des candidats devant la fonction publique ? Ce sera l’objet des articles à venir.

Comme le dit de manière récurrente dans ses travaux Edgar Morin, le travail de recherche ne se réduit pas à une production, il est aussi création. Et ses enjeux ne peuvent être laissés aux mains des seuls universitaires …

Source :
- Stengers I, Schlanger J., (1988) Les concepts scientifiques : pouvoir et invention, Paris : Gallimard.

Béatrice Mabilon-Bonfils Professeure d'Université Directrice du laboratoire BONHEURS Laboratoire BONHEURS CY Paris université