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Recrutement des enseignants-chercheurs et Egalité des candidats. Par Béatrice Mabilon-Bonfils, Professeure d’Université.
Parution : vendredi 19 juin 2020
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Les procédures universitaires garantissent-elles l’équité des candidats face aux concours d’enseignants-chercheurs ? Une autorité externe à des enjeux de recherche, portée par d’autres ambitions et d’autres principes peut-elle intervenir dans ces recrutements ? Les garanties d’égalité des candidats sont-elles respectées ? Le label européen HRS 4R améliorera-t-il l’équité des recrutements

Notre premier article : "L’Europe va-t-elle rendre le recrutement des enseignants-chercheurs plus éthique ?" a décrit les impératifs européens en matière d’équité dans les procédures de recrutement de ces fonctionnaires que sont les maîtres de conférences et les professeurs d’université. Le processus de recrutement est long et semble exigeant. Suffit-il à permettre de respecter l’égalité des candidats devant un concours de la fonction publique ? Si ce n’est pas le cas comment pourrait-on faire évoluer les procédures ?

Il est d’abord à noter que le parcours des candidats est aujourd’hui long voire très long selon les disciplines : dans le cas général (en excluant les disciplines comme le droit ou la science économie qui ont une agrégation universitaire), les candidats qui accèdent à ces fonctions ont un long parcours scientifique derrière eux : une thèse assortie de rapports positifs des membres du jury est aujourd’hui un simple prérequis.

A contrario, un dossier de rapports négatifs est quasiment "létal" pour le futur doctorant. Cela a pour conséquence de choisir des jurys de thèse dont on peut supposer que les avis seront plutôt positifs, même si chaque membre de jury est formellement libre de son rapport. Un solide dossier de publications scientifiques et des expériences professionnelles sont indispensables. Cela varie selon les disciplines et la sociologie des équilibres de pouvoir des sections de CNU qui en jugent. La pénurie de postes et l’accroissement du nombre de docteurs engendrent une situation de plus en plus compétitive Plusieurs années de recherche, après la thèse sont nécessaires : parfois des postes d’Ater (attaché temporaire d’enseignement et de recherche), de post doctorats, ou de contrats de recherche et /ou de vacations temporaires.

La durée des thèses varie selon les disciplines, les modalités d’encadrement et de financement. En sciences "dures", 57% des thèses durent moins de 40 mois, et 92% moins de 52 mois (soit une durée moyenne pour les thèses de sciences de 42 mois ou 3.5 ans). En SHS, 15% durent moins de 40 mois, et 30% plus de 72… (Soit une durée moyenne de 5,25 ans). La moitié des doctorats relèvent des domaines scientifiques, 21 % des sciences humaines et humanités et 12 % des sciences de la société. Bref, beaucoup de jeunes chercheurs français sont très longtemps après leur thèse des "intermittents de la recherche " sans en avoir la protection sociale et seront de futurs retraités très pauvres.

Au moment où le statut des enseignants-chercheurs est questionné, voire attaqué, il s’agit de se demander si le processus de recrutement des enseignants-chercheurs permet l’égalité des candidats devant un concours de la fonction publique.

Nous avons expliqué dans notre premier article quelles instances attribuent des postes aux laboratoires, qui définit la fiche-poste et qui choisit les membres du COS, trois étapes majeures qui président à l’éthique de ces recrutements. Y a-t-il des effets pervers potentiels de ces trois étape ?

Une autorité - qui peut être externe à des enjeux de recherche, portée par d’autres ambitions et d’autres principes – peut effectivement intervenir dans le recrutement d’enseignants-chercheurs. Comment les postes sont-ils attribués aux laboratoires ? Et comment cette attribution peut-elle devenir un moyen d’orienter les choix sur des impératifs clientélistes et cooptatifs et non sur des enjeux scientifique de définition collégiale de la qualité scientifique respectant l’égalité des candidats. Les directeurs de composante doivent composer avec des enjeux de pouvoirs et de territoires de sa composante. Ils ont à leur disposition des moyens de pression forts : attribution de secrétariat, de bureaux, de moyens humains, d’une partie du budget-recherche des laboratoires mais aussi et surtout de la remontée des besoins de recrutement en enseignants-chercheurs et des laboratoires pouvant y prétendre devant l’instance décisionnaire de l’université qui tranchera.
Toutes les composantes n’ont pas d’organe collégial de décision. Cela peut être laissé à décision autoritaire d’une seule personne, après avis consultatif. Cela dépend de l’organisation interne de l’université. Même en présence de tels organes, les collusions syndicales locales peuvent alors avoir des effets délétères, contrevenant aux valeurs d’équité portées par les syndicats nationaux. Tous les postes ne remonteront donc pas …. L’évolution managériale de l’université française a instauré des dialogues de gestion définissant les besoins des composantes, y compris des postes.

Comment permettre le traitement équitable des laboratoires de recherche ? Y a-t-il des choix de politiques scientifiques ? Y a-t-il des besoins d’enseignements quantifiés et vérifiables ? C’est ce qui est affirmé dans les dialogues de gestion. Mais la réalité est que certains laboratoires peuvent être mieux servis que d’autres. Et ce, avec des moyens de vérification inexistants et des argumentaires parfois opaques. Le conseil académique de l’université est alors instance de recours. Peut-elle être efficace ?

Pour créer un écran de respectabilité à des pratiques non éthiques, un des moyens le simple est d’utiliser la définition des besoins grâce à une fiche-poste correspondant à un seul candidat. La fiche-poste est alors tellement spécifique dans le profil recherche et le profil d’enseignement que seul un candidat local prédéfini pourra y satisfaire : les postes que le jargon universitaire appelle les postes à moustache. Un directeur de composante, quand il est décisionnaire et sans contre-pouvoir, fort de ses moyens de pression, peut alors solliciter d’un laboratoire et/ou de sa direction, cette rédaction de fiche-poste qui contrevient à l’égalité des candidats face à un concours de la fonction publique. Le profil est adapté à un chercheur spécifique, il n’est ouvert qu’en apparence et contrevient en pratique au label européen HRS 4R. Localisme, endo-recrutement et iniquité des recrutements contreviennent ainsi à l’éthique la plus élémentaire !

Comme nous l’avons vu dans article 1, une étape essentielle est la nomination des présidents de COS. En quoi cette procédure peut-elle limiter l’ouverture des concours requise par le label européen et l’équité des candidats devant un concours de la fonction publique ?

Ces présidents nommés ont des moyens d’action importants : la définition des membres du COS, composition ensuite validée par une instance de l’Université, pluridisciplinaire par définition, et donc éloignée des enjeux de pouvoir de la discipline. Puisque pluridisciplinaire, cette instance a peu de moyens de repérer si la fiche poste est pertinente au regard des besoins réels, si elle contrevient à l’éthique en ciblant l’un ou l’autre des candidats locaux, si l’équité des membres des COS est respectée au regard de la sociologie de la discipline. Si l’université est dotée d’un conseil peu pluraliste, les quelques remises en cause et interrogations iront rarement jusqu’à invalider la remontée de besoins d’un directeur de composante, des laboratoires de recrutement, le choix de président de COS ou la constitution des COS.
En effet cela aurait un coût administratif lourd en termes de procédures et de de calendrier quasi impossible à amender. On peut craindre que l’argumentation techno-administrative des délais et de lourdeurs de processus ne permettent ces remises en cause potentielles dans le conseil et empêche une réelle discussion de la pertinence des choix. La pratique de ces conseils repose souvent sur un déni de démocratie au sens où elles sont organisées autour du "qui s’oppose ?". Les modalités de validation de ces conseils ne reposent pas sur un vote mais sur la pratique assez largement partagée du "qui s’oppose ?" si bien que certains décisions peuvent être entérinées avec très peu de "pour" et beaucoup d’abstentions.

Le choix des membres du COS (leur éventuelle appartenance syndicale, de leur proximité amicale/relationnelle …) mais aussi le pouvoir d’attribution des rapports de chacun des candidats à deux rapporteurs membres du COS deviennent alors des moyens opaques d’infléchir la décision finale du jury. Dans certaines institutions, la présence d’un syndicat majoritaire, et donc d’élus dans les principaux conseils et COS a une influence certaine sur le recrutement d’un(e) collègue pouvant elle-même être inscrite au sein de ce même collectif et ainsi grossir les rangs pour conserver la domination dans un laboratoire ou dans une instance décisionnaire de l’université. Évidemment ces pratiques de recrutement détournent le sens premier du processus de recrutement au profit d’autres principes et intérêts et peuvent même devenir un moyen de rétorsion face aux laboratoires récalcitrants, au nom de la déontologie, à concevoir de "vrais-faux " postes. La procédure du label européen HRS 4R sera-t-elle en mesure d’améliorer l’équité des recrutements ?

Notre volet 3 présentera une analyse juridique de ces biais potentiels.

Béatrice Mabilon-Bonfils Professeure d'Université Directrice du laboratoire BONHEURS Laboratoire BONHEURS CY Paris université