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Autorisation d’urbanisme et prescription relative à l’institution d’une servitude de passage. Par Apolline Larcher, Avocat.
Parution : mercredi 17 juin 2020
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Dans une décision récente, le Conseil d’Etat a jugé qu’un permis de construire pouvait être légalement assorti d’une prescription tenant à la production d’un acte authentique de servitude de passage au stade de la déclaration d’ouverture de chantier. Faisant œuvre de pragmatisme, la haute juridiction revient sur une jurisprudence antérieure, présentant des inconvénients majeurs tant pour la commune que pour le porteur de projet.

Dans le cas où la demande d’autorisation d’urbanisme porte sur un projet situé sur le territoire d’une commune dotée d’un plan local d’urbanisme (PLU), l’article R151-47 du Code de l’urbanisme dispose : « afin de répondre aux besoins en matière de mobilité, de sécurité et de salubrité, le règlement peut fixer les conditions de desserte des terrains mentionnés à l’article L151-39 par les voies publiques ou privées et d’accès aux voies ouvertes au public ». Ainsi, le contrôle réalisé lors de l’instruction d’une demande de permis de construire consistera donc à vérifier que les accès prévus pour le projet respectent bien le règlement du PLU.

Dans les communes non dotées d’une PLU, ce sont les dispositions de l’article R111-5 du même code qui s’appliquent aux termes desquelles : « Il (le projet) peut également être refusé ou n’être accepté que sous réserve de prescriptions spéciales si les accès présentent un risque pour la sécurité des usagers des voies publiques ou pour celle des personnes utilisant ces accès. Cette sécurité doit être appréciée compte tenu, notamment, de la position des accès, de leur configuration ainsi que de la nature et de l’intensité du trafic ». Ainsi, le service instructeur de la commune contrôlera le projet au regard de ces dispositions.

Quelles que soient les dispositions qui s’appliquent au projet de construction, il appartiendra au maire de vérifier que le projet dispose d’un accès à une voie ouverte à la circulation du public.

Il convient de préciser que l’accès correspond à l’ouverture en façade donnant sur cette voie de desserte (portail, porche) et au cheminement y conduisant. L’accès de distingue de la desserte qui constitue la voie arrivant aux abords immédiats du terrain d’assiette du projet. Si les deux notions sont naturellement complémentaires, elles n’en demeurent pas moins distinctes.

Ainsi, une servitude de passage constitue un accès au sens du droit de l’urbanisme. La servitude de passage prévue à l’article 682 du Code civil permet d’emprunter une propriété privée pour gagner un tènement enclavé, c’est-à-dire non relié à une voie de desserte. Elle est établie par accord entre les parties ou, à défaut, par voie judiciaire.

S’agissant précisément des accès constitués par des servitudes de passage, la jurisprudence administrative a précisé que : « Si l’administration et le juge administratif doivent, pour l’application des règles d’urbanisme relatives à la desserte et à l’accès des engins d’incendie et de secours, s’assurer de l’existence d’une desserte suffisante de la parcelle par une voie ouverte à la circulation publique et, le cas échéant, de l’existence d’un titre créant une servitude de passage donnant accès à cette voie, il ne leur appartient de vérifier ni la validité de cette servitude ni l’existence d’un titre permettant l’utilisation de la voie qu’elle dessert, si elle est privée, dès lors que celle-ci est ouverte à la circulation publique » [1].

En d’autres termes, lors de l’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme, l’administration ne doit vérifier que l’existence d’une servitude de passage donnant un accès à la voie et ses caractéristiques mais n’a pas à contrôler ni la régularité des actes établissant cette servitude ni la validité de cette servitude qui relèvent des droits des tiers.

Toutefois, cette jurisprudence pose deux problèmes pratiques majeurs.

Le premier tient à la difficulté de constituer une servitude avant la délivrance de l’autorisation.

Or, il est de jurisprudence constante qu’un terrain doit être regardé comme enclavé et donc inconstructible si, à la date à laquelle il est statué sur la demande de permis de construire, il n’a pas d’accès direct à la voie publique et que le propriétaire ne dispose pas d’une servitude de passage régulièrement obtenue par voie judiciaire ou conventionnelle sur un fonds voisin et permettant cet accès [2].

De même, il a été jugé que si un terrain enclavé, qui n’a donc pas d’accès direct à une voie privée ou une voie publique, a en principe un droit de passage légal [3], cet accord ou la servitude judiciaire devront être obtenus avant la délivrance du permis de construire [4].

Le maire ne peut donc légalement délivrer une autorisation de construire lorsque le demandeur se borne à faire état d’un accès à la voie publique à créer grâce à une servitude de passage sur une parcelle voisine sans pouvoir en justifier par une décision de justice ou un accord lui reconnaissance ce droit [5].

La seconde difficulté tient à la manière dont l’administration peut contrôler l’existence d’une servitude, alors même qu’elle ne peut en exiger la preuve.

En effet, le maire ne peut exiger la preuve de l’existence de cette servitude lors du dépôt de la demande de permis de construire. Il est de jurisprudence constante que le règlement du PLU ne peut soumettre l’octroi des autorisations de construire à d’autres formalités que celles prévues par le Code de l’urbanisme [6]. Or, la preuve de l’existence d’une telle servitude n’est pas exigée par le Code de l’urbanisme

Aussi, le pétitionnaire n’avait-il qu’à matérialiser ladite servitude de passage sur le plan de masse composant le dossier de demande de permis. En effet, en vertu de l’article R431-9 du Code de l’urbanisme, l’emplacement et les caractéristiques de la servitude de passage doivent être mentionnées sur le plan de masse.

Toutefois, cette jurisprudence faisait courir le risque à l’administration d’autoriser des projets sur des terrains enclavés dès lors que des pétitionnaires peu scrupuleux pouvaient être tentés de faire état d’une servitude de passage non encore constituée.

Dans l’affaire commentée, le Conseil d’Etat apporte une réponse à ces problème pratiques. Au cas d’espèce le terrain d’assiette du projet ne disposait d’aucun accès à une voie ouverte à la circulation du public. Il était donc nécessaire de créer une servitude de passage sur des parcelles appartenant à des tiers.

La haute juridiction a considéré que le permis pouvait être assorti d’une prescription tenant à la production d’un acte authentique de servitude de passage au stade de la déclaration d’ouverture de chantier :

2. L’article R111-5 du Code de l’urbanisme dispose que : "Le projet peut être refusé sur des terrains qui ne seraient pas desservis par des voies publiques ou privées dans des conditions répondant à son importance ou à la destination des constructions ou des aménagements envisagés, et notamment si les caractéristiques de ces voies rendent difficile la circulation ou l’utilisation des engins de lutte contre l’incendie./ Il peut également être refusé ou n’être accepté que sous réserve de prescriptions spéciales si les accès présentent un risque pour la sécurité des usagers des voies publiques ou pour celle des personnes utilisant ces accès. Cette sécurité doit être appréciée compte tenu, notamment, de la position des accès, de leur configuration ainsi que de la nature et de l’intensité du trafic". L’article 1 AU 3 du règlement du plan local d’urbanisme de Fréjus, dans sa rédaction applicable à l’espèce, prévoit que : "(...) 2 - Conditions d’accès aux voies ouvertes au public / Pour être constructible, un terrain doit avoir un accès à une voie publique ou privée, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un passage aménagé sur les fonds voisins, ou éventuellement obtenu en application de l’article 682 du Code civil (...)". Aux termes de l’article 682 du Code civil : "Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue, ou qu’une issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner".

3. D’une part, le permis de construire, qui est délivré sous réserve des droits des tiers, a pour seul objet d’assurer la conformité des travaux qu’il autorise avec la réglementation d’urbanisme. Dès lors, l’autorité compétente et, en cas de recours, le juge administratif doivent, pour l’application des règles d’urbanisme relatives à la desserte et à l’accès des engins d’incendie et de secours, s’assurer de l’existence d’une desserte suffisante de la parcelle par une voie ouverte à la circulation publique et, le cas échéant, de l’existence d’un titre créant une servitude de passage donnant accès à cette voie.

4. D’autre part, l’administration ne peut assortir une autorisation d’urbanisme de prescriptions qu’à la condition que celles-ci, entraînant des modifications sur des points précis et limités et ne nécessitant pas la présentation d’un nouveau projet, aient pour effet d’assurer la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le terrain d’assiette du projet de la société Compagnie Immobilière Méditerranée ne disposait d’aucun accès à une voie ouverte à la circulation publique et qu’un tel accès devait être créé sur des parcelles appartenant à des tiers. Le maire de Fréjus lui a néanmoins accordé le permis de construire sollicité en mentionnant à l’article 3 de son arrêté que "le présent arrêté est conditionné à la production, par le bénéficiaire, de l’acte authentique de servitude de passage (...) au plus tard au dépôt de la déclaration d’ouverture de chantier". En jugeant que cette réserve ne saurait pallier l’absence de titre créant une servitude de passage à la date de l’arrêté attaqué alors que la création d’une servitude de passage entraîne seulement une modification portant sur un point précis et limité qui ne nécessite pas la présentation d’un nouveau projet, le tribunal administratif a entaché son arrêt d’erreur de droit.

Précisions que la prescription est une réserve émise par l’autorité compétente sur des points précis et limités n’appelant la présentation d’aucun nouveau projet et qui a pour objet la conformité des travaux envisagés aux dispositions dont l’autorisation doit assurer le respect [7].

La solution retenue par le Conseil d’Etat, dans la présente affaire, présente un double avantage. D’une part, elle offre le temps au pétitionnaire d’établir une servitude de passage au profit de son terrain. L’absence d’accès au moment de la délivrance du permis n’est donc plus un motif de refus. D’autre part, elle offre à l’autorité administrative un moyen réel de contrôler l’existence effective d’un accès au tènement enclavé. Si l’inobservation des prescriptions du permis de construire est sans influence sur la légalité de ce permis [8], la méconnaissance des de celles-ci constitue une infraction pénale [9].

Ainsi, si le titre créant la servitude de passage n’était pas produit à l’ouverture du chantier, un procès-verbal de constat d’infraction pourrait être dressé. Il est fort à parier que la menace d’une procédure pénale conduira le propriétaire à régulariser au plus vite sa situation ou à abandonner son projet, faute de pouvoir bénéficier d’une servitude de passage pour son terrain.

Maître Apolline Larcher, avocat au barreau de Grenoble www.avocat-larcher.fr

[1CE 9 mai 2012, Bartolo, n°335932.

[2CE 8 oct. 2008, SARL Régionale de construction, n° 295972.

[3Art. 682 C. civ.

[4CE 19 juin 1992, Mouilleron, n° 90109.

[5CE 23 juin 1982, Gerbier, n° 28987.

[6CE 21 mars 1986, n° 61817, Copropriété de l’immeuble « les Périades ».

[7Conseil d’Etat, sect., 13 mars 2015, n° 358677.

[8CE 10 mars 1976, SCI Le Porquerolles, n° 90551 ; CE 4 nov. 1994, Mme Fortin et a., n° 132654.

[9Crim. 26 avr. 2000, no 99-83.024.

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