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Agents commerciaux : La CJUE se prononce en faveur des agents commerciaux ! Par Charlyves Salagnon, Avocat.
Parution : lundi 22 juin 2020
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Les intermédiaires n’ayant pas le pouvoir de modifier les prix de vente sont tout de même des agents commerciaux !
Voilà l’enseignement essentiel de cet arrêt rendu très récemment par la Cour de justice de l’Union Européenne, qui condamne une jurisprudence jusqu’ici restrictive de la Cour de cassation.

Arrêt du 4 juin 2020 de la CJUE C828/18 Trendsetteuse c/ DCA.

Pour la Cour, la mission de « négociation » de l’agent commercial n’implique pas nécessairement la faculté pour l’agent de modifier les prix de vente du mandant.

Par cet arrêt du 4 juin 2020, la Cour de justice de l’Union Européenne rend une décision fondamentale pour tous les agents commerciaux.

Elle estime que la Directive 86/653/CEE, laquelle directive est directement à l’origine du droit des agents commerciaux tel qu’il est édicté dans le Code de commerce, doit être interprété en ce sens qu’une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d’agent commercial, au sens de cette disposition.

Cette décision, très attendue, vient renverser à une jurisprudence mal cernée de la Cour de cassation, qui a donné lieu à de nombreuses protestations en raison de la vision restrictive qu’elle véhiculait de la qualité d’agent commercial, puisqu’elle supposait que le terme de « négocier », tel que prévu par la loi française, implique nécessairement que l’agent commercial ait le pouvoir de modifier les conditions du contrat et plus particulièrement, la faculté de fixer le prix de l’offre faite au client pour le compte du mandant.

Elle met fin à une controverse de plus de dix ans, en répondant à une question préjudicielle que lui a renvoyé le Tribunal de commerce de Paris par jugement du 19 décembre 2018.

Analyse de cette décision historique pour les agents commerciaux en 3 points.

1 - Pourquoi s’agit-il d’une décision historique pour les agents commerciaux ?

Cette décision est sans doute la décision la plus importante de la décennie pour les agents commerciaux.

En effet, jusqu’ici, la Cour de cassation semblait refuser l’accès à la qualification d’agent commercial lorsque l’agent commercial ne démontrait pas avoir le pouvoir de négocier les prix du mandant.

Or, les mandants, comprenant l’intérêt pour eux de ne pas se voir appliquer la qualification de contrat d’agent commercial, ont eu tôt fait de s’engouffrer dans cette brèche juridique, en stipulant dans les contrats d’agents commerciaux, ou autres contrats de distribution, que leur cocontractant n’avait pas de pouvoir de négociation des prix.

Ce stratagème permettait aux mandants, soit de justifier de contrats voisins, qui étaient en réalité des contrats d’agents commerciaux déguisés (tel que contrat de courtage ou encore contrat de d’intermédiaire en distribution…), soit de réfuter la qualification d’agent commercial, alors même que le contrat avait été intitulé contrat d’agent commercial dès l’origine par les parties.

2 - Pourquoi cette décision était-elle très attendue ?

Cette décision était particulièrement attendue, car jusqu’ici, bon nombre d’agents commerciaux se voyait refuser la qualité d’agent commercial, faute de pouvoir prouver qu’ils avaient un réel pouvoir de modification des prix de leur mandant.

Or, exiger une telle faculté de motivation des prix de la part de l’agent commercial relevait de la triple erreur : erreur juridique, erreur économique, et erreur commerciale.

En effet, juridiquement, le pouvoir de négocier pour le compte de quelqu’un n’implique pas nécessairement la possibilité de modifier les offres qu’elle fait, et d’ailleurs, lorsqu’on se réfère au contrat de mandat (le contrat d’agent commercial n’étant qu’une forme de mandat) on ne peut que constater qu’aucun mandat ne permet naturellement une telle faculté, qui pourrait aller directement à l’encontre des intérêts du mandant et engager la responsabilité du mandataire.

Economiquement, l’on sait que les domaines de la distribution sont variés, et si par exemple une telle faculté de négociation est très présente en matière industrielle, en revanche, en matière de commerce alimentaire, ou vestimentaire, il est bien plus rare qu’une telle faculté existe. En réalité les secteurs de la distribution ne se ressemblent pas, et la pratique de négocier les prix, qui est admises dans certains secteurs, ne l’est pas nécessairement dans tous, sans que cela ne suffise à considérer que les mandataires qui respectent les consignes de leurs agents ne sont pas des agents commerciaux. Au contraire, ce sont des agents loyaux et respectueux du contrat signé et des politiques de prix du mandant.

Enfin, du point de vue commercial, il était aberrant d’exiger de l’agent commercial de modifier les prix du mandant, car cela aurait pu l’amener à prendre, dans des domaines où les prix sont négociés par avance et où les contrats sont des contrats d’adhésion, des positions contraires aux intérêts économiques du mandant, ou même à ses propres intérêts. Dans beaucoup de situations, l’enjeu pour le mandant n’est pas que ses prix soient négociés, mais qu’ils soit représenté, que ses produits soient présentés, que ses contrats soient renouvelés, et qu’ils soit visible sur des événements par exemple. Or, l’agent commercial, qui poursuit ce rôle de représentant, tout en étant tiers indépendant à la société mandante, et parfaitement susceptible de remplir ce rôle de représentation auprès de la clientèle.

La doctrine s’était d’ailleurs très largement positionnée en faveur d’une interprétation large du terme de « négocier », qui ne suppose pas nécessairement la conclusion des contrats de vente ou de prestations de service, et donc qui, en toute logique, ne devait pas non plus impliquer un pouvoir unilatéral de modification du prix.

Certaines cours avaient déjà pris une position nettement contraire à celle de la Cour de cassation, comme par exemple la Cour d’appel de Rennes, pour qui la négociation s’entend, non pas de la faculté de réduire les prix des marchandises ou services, mais de présenter les produits du mandant et de recueillir les commandes à des conditions conformes aux instructions du mandant et à sa capacité de production et aux exigences des clients [1].

Toutefois, de nombreuses juridictions se refusaient à partager cette analyse, ce qui était particulièrement préjudiciable aux agents commerciaux.

3 - Quelle portée et quels avantages directs pour les agents commerciaux ?

Cette décision met fin à une jurisprudence qui, dans les faits, privait bon nombre d’agents commerciaux d’indemnité de cessation de contrat.

En effet, en refusant la qualité d’agent commercial, la jurisprudence désormais obsolète privait les agents commerciaux de l’indemnité compensatrice de préjudice prévue par l’article L134-12 du Code du Commerce, et dont l’usage majoritaire convient qu’il doit être calcul par référence à 2 années de commissionnements.

Les conséquences de ces décisions sont multiples :
- D’abord, il s’agit d’une décision visant à interpréter la directive relative européenne relative aux agents commerciaux, ce qui signifie que cette analyse est rétroactive et qu’elle s’applique à l’ensemble des contrats (contrats de courtage, contrats d’agents commerciaux ou autres), y compris ceux antérieurs à cette décision de la CJUE ;
- Ensuite cette décision est applicable à tous les contrats de distribution qui pourraient se voir requalifier en contrat d’agent commercial au vu de la pratique des parties, peu important par ailleurs l’intitulé de la convention ou l’étendue du pouvoir de négociation de l’agent commercial ;
- Enfin, cette décision doit permettre aux agents commerciaux de ne plus se voir priver de la qualification d’agent commercial au seul motif qu’ils n’auraient pas le pouvoir de modifier les prix de leur mandant, et de bénéficier ainsi plus facilement de leur droit à indemnité compensatrice en cas de rupture du contrat d’agent commercial à l’initiative du mandant.

Les agents commerciaux, et autres bénéficiaires de contrats d’intermédiation sont donc encouragés à se prévaloir des avantages du statut d’agent commercial.

Charlyves SALAGNON, Avocat Associé (Cabinet BRG Nantes-Paris) Avocat au Barreau de Nantes [->salagnon@brg-avocats.fr]

[1CA Rennes 26 février 2013 RG n°12/00480.