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Avis sur Internet : la législation est-elle bien respectée par les plateformes ? Par Romain Darriere, Avocat et Henri de Charon, Juriste.
Parution : vendredi 26 juin 2020
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Selon un sondage Opinion Way publié en janvier 2018 , près de 7 Français sur 10 consultent les avis sur Internet avant d’acheter un produit ou d’utiliser un service et plus de la moitié d’entre eux déclarent être influencés par ces avis.

Les avis des internautes jouent donc un rôle très important sur l’opinion des consommateurs sur internet. De fait, un trop grand nombre d’avis négatifs poussera de potentiels clients à se détourner des produits ou services proposés, ce qui peut générer une perte financière indirecte mais sensible pour l’entreprise concernée.

Le maintien d’une bonne e-réputation est donc un enjeu primordial, voir vital, dès lors que la santé économique de l’entreprise est en jeu.

Toutefois, sous couvert de la liberté d’expression, une pratique peu louable a vu le jour sur les plateformes d’avis en ligne : les faux avis de consommateurs.

Il s’agit d’une pratique à double face.

En effet, certains professionnels peu scrupuleux ne vont pas hésiter à publier de faux avis « positifs » ce qui aura pour résultat de fausser le jugement des consommateurs à l’égard de leur entreprise. C’est la raison pour laquelle cette pratique est réprimée par le Code de la consommation en tant que pratique commerciale trompeuse.

A l’inverse, certains individus vont utiliser les avis sur internet pour nuire aux professionnels : il s’agit des faux avis dits « négatifs ».

La pratique des faux avis « négatifs ».

A la suite d’une enquête réalisée en 2016, la DGCCRF a pointé du doigt une pratique qui pouvait sembler jusque-là peu médiatisée : les faux-avis « négatifs ». Rédigés par des concurrents malhonnêtes ou par des consommateurs déçus et malintentionnés, ces avis anonymes tendent à discréditer les produits et services proposés par un professionnel.

Toutefois, cette pratique ne date pas de 2016.

En effet, dès 2013, l’organisme de certification AFNOR s’était emparé du sujet afin de jeter les bases d’une régulation des avis par les plateformes elles-mêmes.

Le rôle certificateur de l’AFNOR.

En juillet 2013, l’AFNOR a publié la première norme relative aux avis de consommateurs, la norme NF Z74-501. Annulée par l’organisme certificateur le 22 septembre 2018, cette norme a été remplacée par la norme NF ISO 20488 , aujourd’hui en vigueur.

Cette dernière pose un certain nombre de principes et exigences dans la collecte, la modération et la restitution des avis de consommateurs sur internet, tels que l’interdiction d’acheter des avis, l’obligation de publier l’ensemble des avis positifs et négatifs ou encore, de publier les avis les plus récents en premier.

Il s’agit cependant d’une norme d’application volontaire, son observation est donc fondée sur le principe du volontariat.

N’étant pas juridiquement contraignante, l’efficacité de cette norme est donc relative.

L’apport de la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016.

Promulguée le 7 octobre 2016, la loi pour une République numérique , dite « LRN », a inséré un nouvel article L111-7-2 au sein du Code de la consommation. Cet article définit ce que l’on entend par « opérateurs de plateforme en ligne  » et quelles sont leurs obligations.

Ainsi, constitue un opérateur de plateforme en ligne « toute personne physique ou morale dont l’activité consiste, à titre principal ou accessoire, à collecter, à modérer ou à diffuser des avis en ligne provenant de consommateurs ». Des services comme Trustedshops, TripAdvisor ou encore Trustpilot sont donc directement concernés.

Sont également concernés des services qui ne font des avis en ligne qu’un service « secondaire ». On pense notamment à Google My Business ou Booking.com.

En termes d’obligations, l’article précise que l’opérateur doit « délivrer aux utilisateurs une information loyale, claire et transparente sur les modalités de publication et de traitement des avis mis en ligne ».

Ainsi, les plateformes d’avis en ligne de consommateurs doivent notamment :
- Préciser si les avis font ou non l’objet d’un contrôle et si tel est le cas, quelles sont les modalités de ce contrôle ;
- Afficher la date des avis et de leurs éventuelles mises à jour ;
- Indiquer, en cas de refus de publication, les raisons qui justifient ce rejet ;
- Mettre en place une fonctionnalité gratuite permettant aux professionnels visés de signaler, de manière motivée, un doute quant à l’authenticité d’un avis.

Si les exigences de l’article L111-7-2 sont globalement bien respectées par les plateformes, on observe néanmoins une entorse importante pour ce qui est de la date de publication des avis.

En effet, plusieurs plateformes n’indiquent pas cette date de manière claire et transparente.

On pense notamment au service Google My Business qui vise uniquement le nombre d’heures, de jours, de semaines, de mois ou d’années écoulés depuis la diffusion des avis, sans jamais préciser leur date exacte de publication.

Or, selon le dictionnaire Larousse, une « date » est une « indication précise du jour, du mois et de l’année où un fait s’est passé, se passera, où une lettre, un contrat sont rédigés, et qui permet de les situer dans le temps ».

Cette situation pose une difficulté dès lors que la précision de la date revêt un caractère primordial en ce qui concerne la computation des délais, notamment pour des délits soumis à courte prescription tels que la diffamation ou l’injure.

L’apport du décret du 29 septembre 2017 quant à l’obligation d’information.

Entré en vigueur le 1er janvier 2018, le Décret d’application n° 2017-1436 est venu définir la notion d’ « avis en ligne » et préciser l’étendue de l’obligation d’information pesant sur les opérateurs de plateformes d’avis en ligne, en insérant dans le Code de la consommation une série de dispositions [1].

Ainsi, au sens de l’article D111-16, al. 1er, un avis en ligne s’entend de « l’expression de l’opinion d’un consommateur sur son expérience de consommation grâce à tout élément d’appréciation, qu’il soit qualitatif ou quantitatif ».

Le deuxième alinéa de cet article précise que l’expérience de consommation s’entend « que le consommateur ait ou non acheté le bien ou le service pour lequel il dépose un avis ».

En ce qui concerne l’obligation d’information, l’article D111-17 dispose que les plateformes doivent indiquer, de manière claire et visible et à proximité des avis :
- L’existence ou non d’une procédure de contrôle des avis ;
- La date de publication de chaque avis ;
- La date de l’expérience de consommation concernée par l’avis ;
- Les critères de classement des avis parmi lesquels figurent le classement chronologique.
- De même, elles doivent indiquer de manière claire et visible et dans une rubrique spécifique facilement accessible : L’existence ou non de contrepartie fournie en échange du dépôt d’un avis.

Le délai maximum de publication et de conservation d’un avis.

Or, il apparaît que la plupart des exigences de l’article D111-17 ne sont pas respectées par les plateformes.

Il en va ainsi de la date de l’expérience de consommation. Par exemple, des sites internet comme Trustpilot ou encore le site d’e-commerce Amazon ne font nullement état de cette date.

Des services comme Google My Business ou Tripadvisor, qui indiquent la date de l’expérience de consommation dans des termes aussi vagues que « visité en mars » ou « visité en décembre 2019 », ne semblent pas non plus respecter la réglementation.

L’indication de la date d’expérience de consommation est pourtant primordiale. Elle permet en effet au professionnel concerné de vérifier la véracité des faits exposés dans l’avis, notamment au moyen de son fichier client.

Il s’agit d’ailleurs de l’une des raisons d’être de la législation, à savoir, lutter contre les « faux avis » de consommateurs.

Quelles conséquences pour les opérateurs de plateforme en ligne ?

Tout manquement aux dispositions destinées à endiguer la pratique des faux avis peut désormais leur coûter cher : 75 000 euros d’amende pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale.

Par ailleurs, des actions civiles pourraient être intentées par toute personne estimant subir un préjudice de réputation du fait d’avis publiés en violation des dispositions légales et réglementaires.

Voilà qui devrait, espérons-le, pousser les opérateurs à plus de diligence et de rigueur.

Romain Darriere, Avocat au Barreau de Paris Henri de Charon, Juriste SELARL ROMAIN DARRIERE www.romain-darriere.fr

[1Les articles D111-16, D111-17, D111-18 et D111-19.