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Vers une souplesse en faveur des emprunteurs dans le cadre de l’année lombarde. Par Virginie Audinot, Avocat.
Parution : vendredi 26 juin 2020
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La Cour d’appel de Chambéry, dans un arrêt très récent du 25 juin 2020, si elle n’a, in fine, pas fait droit aux demandes des emprunteurs, a toutefois déclaré ces derniers recevables en leurs demandes, en dépit du délai de prescription invoqué par la Banque, en se fondant sur le caractère profane des emprunteurs.

Dans cette espèce, les emprunteurs avaient assigné la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie aux fins de faire constater le recours à l’année lombarde dans trois contrats de prêt, et obtenir la nullité de la stipulation d’intérêts et subsidiairement la déchéance du droit de la Banque aux intérêts, la substitution du taux d’intérêt légal au taux conventionnel et le remboursement des intérêts trop versés suite à la substitution ordonnée.

En l’espèce, deux des trois prêts contenaient une clause dite "lombarde", prévoyant expressément un recours à l’année bancaire de 360 jours pour le calcul des intérêts.

Le troisième ne contenait pas de clause en ce sens.

Les prêts dataient respectivement de 2008, 2009 et 2010.

Les époux avaient fait expertiser leurs trois contrats de prêts le 16 février 2016 par la société européenne d’expertise et d’analyse.

En première instance, le Tribunal de Grande Instance d’Annecy, dans un jugement du 5 décembre 2018, a déclaré prescrites et irrecevables les demandes des emprunteurs et les a condamnés à verser à la banque une somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens de l’instance.

Le Tribunal a notamment déclaré prescrite l’action au motif que le point de départ du délai de prescription d’une action ne peut être la date à laquelle ses titulaires se décident à l’introduire mais doit reposer sur un élément objectif, indépendant de la volonté des parties, de sorte que la date à laquelle les emprunteurs en l’espèce ont décidé de faire analyser leurs prêts, qui n’a dépendu que de leur bon vouloir, ne pourrait être retenue.

La juridiction de première instance a estimé alors que les mentions contenues dans les offres de prêt permettaient en outre de connaître les erreurs prétendues, de solliciter cette analyse et d’assigner la banque avant l’expiration du délai de prescription quinquennale.

Cette décision suit de nombreuses autres prises par différentes juridictions en la matière.

Dans ce domaine, et plus largement en matière d’année lombarde, la jurisprudence est loin d’être unanime et linéaire et varie selon les juridictions, et les Juges.

Les emprunteurs en l’espèce ont interjeté appel du jugement du Tribunal de Grande Instance d’Annecy.

La décision rendue par la Cour d’appel de Chambéry est très intéressante et particulièrement favorable aux emprunteurs, et démontre bien que les portes ne sont pas encore fermées à une indemnisation des emprunteurs en cas de recours à l’année lombarde par les établissements bancaires.

Sur la prescription de l’action en effet, la Cour a relevé que certes les deux crédits souscrits en 2008 et 2009 stipulaient expressément à la rubrique "Taux du prêt" des "Conditions financières et particulières du prêt" que "les intérêts sont calculés sur le montant restant dû en capital du prêt en devises (les prêts avaient été souscrits en francs suisses) et sur la base d’une année égale à 360 jours conformément aux usages commerciaux" mais a ensuite déclaré à juste titre, en faveur des emprunteurs, que les emprunteurs en l’espèce n’étaient pas des professionnels du crédit ni de la finance, les prêts litigieux ayant pour finalité de financer leur acquisition du terrain sur lequel ils ont fait construire leur résidence principale, de sorte que n’ayant pas non plus de compétence particulière en mathématiques financières, lesdites clauses même visibles n’étaient pas de nature à leur permettre d’appréhender l’illicite et le surcoût dont le calcul des intérêts sur la base d’une année de 360 jours pouvait être la source.

Cette prise de position en faveur des emprunteurs, en présence même de clauses "lombardes" dans les contrats de prêt, doit être remarquée et correspond bien à la réalité de la situation : quel emprunteur profane signant un contrat de prêt contenant une telle clause peut-il comprendre en quoi elle consiste vraiment et quelles en sont les éventuelles conséquences sur le calcul de ses intérêts ?

Concernant le troisième prêt, qui ne contenait pas de clause "lombarde", la Cour a indiqué que les emprunteurs n’étaient pour celui-ci pas à même, à la seule lecture du contrat, d’appréhender sur quelle base étaient calculés les intérêts.

Ainsi, la Cour a jugé que quelles que soient les prétentions des emprunteurs et le régime de prescription qui leur est applicable, il ne peut être retenu que le point de départ de leur délai pour agir est la date de signature de chacun des contrats de prêt.

La Cour relève ainsi que les emprunteurs ont fait réaliser une analyse financière de chacun des trois prêts souscrits, qui leur a révélé l’erreur affectant le taux effectif global, et qu’il ne peut être soutenu, comme l’a fait le tribunal, que le recours à cette analyse ne peut être le point de départ du délai de prescription dans la mesure où ce qui constitue le jour où les époux ont connu les faits leur permettant d’exercer leur action n’est pas le recours à l’analyse financière mais le résultat de cette analyse, qui ne dépend pas de leur bon vouloir.

Aussi, la Cour a jugé recevables les emprunteurs en l’intégralité de leurs demandes.

Sur le fond maintenant, la Cour a débouté les emprunteurs de leurs demandes.

Toutefois la décision rendue, là encore, laissait entrevoir une possibilité d’indemnisation des emprunteurs.

En effet, la Cour a déclaré tout d’abord que l’emprunteur, consommateur ou non professionnel, doit, pour obtenir l’annulation ou la déchéance du taux conventionnel d’un prêt en raison de son calcul sur la base d’une année de 360 jours, apporter une double preuve : d’une part, démontrer que le taux conventionnel a effectivement été calculé sur la base d’une année de 360 jour et d’autre part, établir que ce calcul a généré à son détriment un surcoût d’un montant supérieur à la décimale prévue à l’article R313-1 et son annexe relative au calcul des intérêts conventionnels des prêts immobiliers.

Or, la Cour a considéré que s’il était parfaitement établi que les trois prêts étaient bien calculés sur la base d’une année de 360 jours, en revanche, rien ne mettait en évidence dans le rapport d’analyse le surcoût subséquent aux calculs des intérêts sur la base d’une année de 360 jours en lieu et place de l’année civile.

A contrario donc, si le rapport rendu avait mis en exergue le surcoût ainsi engendré, les emprunteurs auraient alors été bien fondés en leurs demandes.

Ce qui est par exemple incontestablement le cas en matière d’échéances brisées...

Le débat n’est donc pas clos.

Virginie Audinot, Barreau de Paris Audinot Avocat www.audinot-avocat.com