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De l’importance de la notification de l’acte de constitution. Par Romain Laffly, Avocat.
Parution : vendredi 26 juin 2020
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L’appelant qui n’a pas reçu de dénonciation de la constitution de l’avocat de l’intimé n’a pas à lui notifier ses conclusions mais doit les signifier dans le délai d’un mois qui court à compter de l’expiration du délai de trois mois prévu pour la remise de ses conclusions au greffe.

Civ. 2e, 4 juin 2020, F-P+B+I, n° 19-12.959.

Le 13 décembre 2017, une partie relève appel d’un jugement du tribunal de grande instance dans une affaire l’opposant au directeur général des finances publiques d’Île-de-France et du département de Paris. Un nouvel avocat se constitue en lieu et place de celui de l’appelant et l’avocat de l’intimé informe le greffe et le premier avocat de sa constitution. Le conseiller de la mise en état déclare caduc l’acte d’appel faute de notification des conclusions de l’appelant à l’intimé dans le délai de l’article 908 du Code de procédure civile. Sur déféré, la Cour d’appel de Paris confirme l’ordonnance dès lors que les conclusions déposées via le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) n’avaient pas été notifiées, dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel, à l’avocat de l’intimé, régulièrement et préalablement constitué, mais signifiées à l’intimé par exploit d’huissier dans le mois suivant la remise des conclusions.

Saisie du pourvoi de l’appelant, la deuxième chambre civile casse et annule l’arrêt au visa des articles 908, 911 et 960 du Code de procédure civile et rappelle que :

« l’appelant qui n’a pas reçu de notification de la constitution d’un avocat par l’intimé, dans les conditions prévues par le dernier de ces textes, satisfait à l’obligation de notification de ses conclusions à l’intimé, prévue par les deux premiers textes, en lui signifiant ses conclusions dans le délai d’un mois, courant à compter de l’expiration du délai de trois mois prévu pour la remise de ses conclusions au greffe »

et

« qu’en statuant ainsi, sans constater la notification par l’intimé de son acte de constitution à l’avocat alors constitué par l’appelant, préalablement à la signification par ce dernier de ses conclusions à l’intimé, la Cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Afin de confirmer l’ordonnance de caducité de son conseiller de la mise en état, la Cour d’appel de Paris s’était affranchie des exigences légales qui gouvernent, en procédure avec représentation obligatoire, la dénonciation des actes de constitution pour ne retenir qu’une application pratique de l’usage du RPVA. La Cour d’appel relevait en effet que, depuis la date à laquelle l’avocat avait été régulièrement constitué par l’intimé, le nom de cet avocat était nécessairement apparu dans la case « copie à : », que l’appelant ne démontrait pas que le nom de l’avocat de l’intimé n’était pas apparent et qu’il ne justifiait pas d’une défaillance technique ou d’une cause étrangère ayant empêché la mise en copie des conclusions au conseil de l’administration fiscale.

Pour simplifier la compréhension de l’arrêt, procédons pas ellipse narrative. La cause étrangère et la force majeure n’étaient vraiment pas un problème, et le fait qu’il y avait eu un changement d’avocat constitué pour l’appelant et que l’avocat de l’intimé l’avait informé de sa constitution reste sans incidence sur la portée de cet arrêt destiné à une large publication. Seule la question de la régularité de la notification de la constitution était en débat. L’avocat de l’intimé devait-il notifier sa constitution au second avocat de l’appelant et celui-ci ne pouvait-il pas, par simple consultation du RPVA, s’apercevoir de la constitution préalable de son confrère pour lui notifier ses conclusions d’appel ? C’est cette approche, plus pragmatique que juridique, que privilégia la Cour de Paris.

Pourtant, la réponse au problème posé, comme le plus souvent, était contenue dans le Code de procédure civile. En effet, l’article 960, alinéa 1er, du Code de procédure civile dispose que « la constitution d’avocat par l’intimé ou par toute personne qui devient partie en cours d’instance est dénoncée aux autres parties par notification entre avocats ». Et l’alinéa 2, qui évoque les mentions à renseigner, enseigne qu’il s’agit bien d’un acte de procédure. Ainsi donc, si l’article 903 du Code de procédure civile précise que, « dès qu’il est constitué, l’avocat de l’intimé en informe celui de l’appelant et remet une copie de son acte de constitution au greffe », cette formalité d’information entre avocats ne se fait pas de n’importe quelle manière. L’avocat de l’intimé doit dénoncer, selon la lettre de l’article 960, son acte de constitution à son confrère. Tandis qu’un nombre significatif d’avocats d’intimé se contente de se constituer, par voie électronique [1], auprès de la chambre devant laquelle l’affaire est distribuée sans dénoncer leur acte de constitution à l’avocat de l’appelant, la Cour d’appel avait finalement consacré cette pratique en procédant, curieusement, non seulement par voie de déduction et sans égard au texte, mais aussi en inversant la charge de la preuve puisqu’elle relevait que l’avocat de l’appelant était nécessairement apparu dans la case « copie à :  » et ne démontrait pas que le nom de l’avocat de l’intimé n’était pas apparent…Pourtant, l’article 960 est sans ambiguïté : la dénonciation de la notification par l’avocat de l’intimé est un acte de procédure, ce qui suppose un acte positif.

L’avocat de l’intimé ne peut compter sur le fait que son confrère se référera au RPVA le moment venu, c’est-à-dire au moment de dénoncer ses conclusions. En l’espèce, l’avocat de l’appelant avait parfaitement agi. Puisqu’aucun acte de constitution de l’intimé ne lui avait été dénoncé, il avait procédé à la signification de ses conclusions selon les termes mêmes de l’article 911 du Code de procédure civile, visé là aussi à raison par la deuxième chambre civile. Dans pareil cas, les conclusions sont signifiées, dans le délai maximal d’un mois à compter de l’expiration du délai de trois mois pour conclure et à peine de caducité, « aux parties qui n’ont pas constitué avocat ». Et l’on ajoutera désormais : ou aux parties qui n’ont pas dénoncé leur acte de constitution…

Cet arrêt, qui mérite d’être salué car il est finalement source de sécurité juridique dans l’information donnée aux parties, s’inscrit dans la lignée de la toute dernière jurisprudence de la Cour de cassation qui rappelle, toujours au visa de l’article 911 du Code de procédure civile, que la notification par l’appelant de conclusions à un avocat non constitué en appel est entachée d’une irrégularité de fond et ne répond pas à l’objectif de garantir l’efficacité de la procédure et les droits de la défense [2]. Dans cette hypothèse, il faut signifier ses conclusions. Mais si l’acte de constitution a été préalablement et régulièrement dénoncé, la notification s’impose sur la signification. Ainsi encourt la caducité de sa déclaration d’appel, l’avocat de l’appelant qui fait signifier, même dans les délais impartis, ses conclusions à l’intimé qui a déjà constitué avocat [3].

On le voit avec ce nouvel arrêt, cette sécurité juridique à laquelle la deuxième chambre civile semble de plus en plus attachée, fonctionne donc dans les deux sens ! La dénonciation de l’acte de constitution, dans une procédure d’appel déjà jalonnée de pièges procéduraux, apparaît comme une garantie commune des droits de la défense. A la fois protectrice des intérêts de l’appelant et de ceux de l’intimé, la dénonciation de l’acte de constitution est tout sauf un acte inutile.

Article paru initialement sur Dalloz Actualité.

Romain Laffly, Avocat Associé chez Lexavoue Lyon.

[1C. pr. civ., art. 930-1 oblige.

[2Civ. 2e, 27 févr. 2020, n° 19-10.849, Dalloz actualité, 15 avr. 2020, obs. R. Laffly.

[3Civ. 2e, 5 sept. 2019, n° 18-21.717, Dalloz actualité, 8 oct. 2019, obs. R. Laffly ; D. 2019. 1656 ; ibid. 2020. 576, obs. N. Fricero ; Procédures n°11, novembre 2019, obs. H. Croze.