Village de la Justice www.village-justice.com

Portée de l’effet dévolutif au regard d’une demande d’annulation du jugement. Par Romain Laffly, Avocat.
Parution : mardi 30 juin 2020
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/portee-effet-devolutif-regard-une-demande-annulation-jugement,35925.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Encourt la cassation l’arrêt qui juge que l’appelant qui a fait le choix de ne poursuivre que l’annulation du jugement ne peut étendre ultérieurement son appel à une demande de réformation dès lors qu’il avait réitéré les moyens qu’il avait soumis au premier juge.

Civ. 2e, 19 mars 2020, F-P+B+I, n° 19-11.387.

Une partie relève appel d’une décision d’un tribunal des affaires de sécurité sociale statuant sur une contrainte émise à son encontre par la caisse du régime social des indépendants, devenue caisse locale déléguée à la sécurité sociale des indépendants de Bourgogne-Franche-Comté.

L’appelant mentionne sur l’acte d’appel « appel-nullité » puis, lors de l’audience, sollicite de la cour l’annulation de la contrainte pour les mêmes motifs invoqués devant le tribunal. La Cour d’appel de Dijon le déboute de sa demande d’annulation et dit que le jugement produira tous ses effets dès lors que l’appelant avait fait le choix de ne poursuivre que l’annulation du jugement par la voie de son appel et ne pouvait donc plus, ultérieurement, en solliciter la réformation en l’absence d’appel incident.

Une telle motivation ne pouvait résister au pourvoi et la deuxième chambre civile casse et annule l’arrêt en renvoyant l’affaire devant la Cour d’appel de Besançon en relevant, au visa des articles 561 et 562, alinéa 2, du code de procédure civile, ensemble l’article 549 du même code, qu’« En statuant ainsi, alors qu’elle était saisie d’un appel tendant à l’annulation du jugement, ce dont il résultait qu’en réitérant les moyens qu’il avait soumis au premier juge l’appelant ne formait pas un appel incident, la cour d’appel, qui n’a pas statué sur le fond, a violé les textes susvisés ».

En cette affaire de sécurité sociale, donc sans représentation obligatoire par avocat devant la cour, on dira que l’appelant avait payé tribut à l’ignorance des règles de procédure en utilisant - ce que les moyens du pourvoi enseignent - un formulaire type d’une association mentionnant qu’il formait appel-nullité dès lors que le tribunal avait fait preuve, selon lui, de partialité systématique. Déjà, bien que la discussion ne portât finalement pas sur ce point, l’appel était improprement qualifié puisque le terme d’appel-nullité, qui sanctionne effectivement le recours pour excès de pouvoir du premier juge, ne couvre que celui ouvert contre une décision contre laquelle un appel immédiat n’est pas possible.

Bien qu’il ne s’agisse pas d’une voie de recours autonome, l’appel-nullité n’est pas l’appel en annulation du jugement. Dans cette dernière hypothèse, le droit d’appel n’est pas en l’état différé et l’appelant n’est pas contraint de démontrer l’excès de pouvoir du tribunal pour être recevable devant la cour, ce qui ne lui interdit pas non plus de le caractériser. Pratiquement, l’appelant poursuivait juste l’annulation du jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale en raison de sa partialité supposée et il avait développé, ultérieurement, les mêmes moyens que ceux précédemment avancés en première instance. Mais pour la Cour de Dijon, l’appelant qui avait fait le choix de ne poursuivre que l’annulation du jugement ne pouvait étendre ultérieurement son appel à une demande de réformation et seul un appel incident de l’intimé, qui se contentait logiquement de demander la confirmation du jugement, pouvait l’autoriser à étendre cet appel à une demande de réformation.

Curieux raisonnement de la cour d’appel dès lors, comme le rappelle la deuxième chambre civile, qu’elle était saisie d’un appel tendant à l’annulation du jugement et que l’appelant avait réitéré les moyens qu’il avait soumis au premier juge. En effet, dans cette procédure orale, l’appelant avait demandé l’annulation de la contrainte (et pas seulement du jugement !) pour les motifs qu’il avait invoqués en première instance. Le débat au fond qui avait eu lieu était tout aussi intéressant que connu puisqu’il était demandé que la contrainte soit examinée notamment à l’aune du principe de mise en concurrence du RSI au regard des directives communautaires assurances, de la liberté de chaque Etat d’organiser son propre système de protection, de la protection sociale obligatoire et de l’affiliation à un régime de sécurité sociale.

Et dans cette procédure orale, cette même discussion avait été reprise à l’audience par l’appelant. Rien donc n’interdisait à l’appelant de solliciter l’annulation du jugement puis de soumettre, jusqu’à l’audience, une demande d’infirmation au regard des moyens précédemment développés en première instance. Il n’était pas même besoin de s’interroger, dans cette procédure sans représentation obligatoire et compte tenu de la date de l’appel, sur la conséquence d’une absence de concentration des prétentions [1]. Point besoin non plus, pour raisonner, de s’attacher aux problématiques propres à l’appel-nullité ou à l’appel incident. Ce n’était pas le sujet. Il s’agissait juste de savoir si la cour, saisie d’une demande d’annulation du jugement, devait statuer sur le fond du litige puisque l’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d’appel.

Or, que la cour annule ou non le jugement, elle était saisie de moyens au soutien de l’appel développés à l’audience, et elle avait ainsi l’obligation de statuer au fond. C’est une conséquence directe de l’effet dévolutif de l’appel, encore récemment rappelé par arrêt publié : « la cour d’appel qui annule un jugement, pour un motif autre que l’irrégularité de l’acte introductif d’instance, est, en vertu de l’effet dévolutif de l’appel, tenue de statuer sur le fond de l’affaire » [2]. Ce n’est que dans l’unique hypothèse où la cour annule l’exploit introductif d’instance qu’elle ne peut, jamais, statuer au fond. Et cela quel que soit le contentieux puisque le seul bastion de résistance que consistait les procédures collectives a cédé depuis longtemps depuis un revirement de la Cour de Cassation [3].

De même, ce n’est que s’il sollicite la nullité de l’exploit introductif d’instance, et s’il est certain de « faire mouche », que l’appelant peut s’autoriser à ne pas conclure au fond puisque la cour sera privée de facto de la possibilité de statuer au fond en raison de l’irrégularité de l’acte de saisine même du premier juge. Mais, écartant l’exception de nullité de l’exploit introductif, elle pourra statuer sans inviter l’appelant à conclure au fond s’il a cru bon de s’en dispenser, toujours en raison de l’effet dévolutif de l’appel.

Et toujours en raison de l’effet dévolutif de l’appel, l’annulation seule de la décision du premier juge oblige la cour à statuer au fond. C’est pour cette raison qu’annulation du jugement ou non par la cour d’appel, l’appelant doit toujours conclure au fond et développer des moyens de réformation lorsqu’il sollicite, non pas la nullité de l’exploit introductif, mais seulement celle de la décision. Dans ce cas, à la différence de la demande de nullité de l’assignation, le développement des moyens au fond est tout sauf un subsidiaire.

Pas d’atermoiement devant le menu. Ici, c’est la formule complète : principal et subsidiaire !

Article paru initialement sur Dalloz Actualité.

Romain Laffly, Avocat Associé chez Lexavoue Lyon.

[1C. pr. civ., art. 910-4 en vigueur depuis le 1er sept. 2017 dans les procédures avec représentation obligatoire.

[2Civ. 2e, 17 mai 2018, n° 15-17.112, Dalloz actualité, 14 juin 2018, obs. R. Laffly.

[3Com. 4 janv. 2005, n° 03-11.465, D. 2005. 280, obs. A. Lienhard ; ibid. 2006. 545, obs. P. Julien et N. Fricero ; RTD civ. 2005. 636, obs. R. Perrot.