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L’incidence de l’ordonnance du 20 décembre 2017 "dite ordonnance Macron" sur l’obligation de motiver la lettre de licenciement. Par Philippe de Niort, Avocat.
Parution : jeudi 9 juillet 2020
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Un coup d’épée dans l’eau.

Contrairement à ce que l’on a pu lire ou entendre, ici ou là, la possibilité donnée à l’employeur, par l’ordonnance du 20 décembre 2017, de préciser les motifs du licenciement après la notification de la lettre de licenciement, à certaines conditions, n’a qu’une incidence toute relative sur la solution du litige né de la rupture du contrat de travail.

L’ordonnance du 20 décembre 2017, dite ordonnance Macron, et le décret du 15 décembre 2017 ont donné à l’employer la possibilité de préciser les motifs énoncés dans la lettre de licenciement, dans les quinze jours suivants sa notification au salarié ou, lorsque ce dernier en a fait la demande dans ce délai et par lettre recommandée avec accusé de réception, pendant les quinze jours qui suivent la réception de cette demande.

L’article L1235-2, alinéa 1er, du Code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 20 décembre 2017, dispose que les motifs énoncés dans la lettre de licenciement peuvent, après la notification de celle-ci, être précisés par l’employeur, soit à son initiative soit à la demande du salarié, dans des délais et conditions fixés par décret en Conseil d’Etat.

Ces conditions dans lesquelles l’employeur peut préciser les motifs énoncés dans la lettre de licenciement sont prévues à l’article R1232-13 du Code du travail, dans sa rédaction issue du décret du 15 décembre 2017.

Cependant, l’énoncé dans la lettre de licenciement d’un grief matériellement vérifiable pouvait, avant la réforme, être précisé et discuté devant les juges du fond, ainsi que l’avait décidé la Cour de cassation [1].

Lorsque la lettre de licenciement n’énonçait pas de motifs précis et matériellement vérifiables, il est vrai que le licenciement fut, de facto, considéré comme sans cause réelle et sérieuse par la jurisprudence qui estimait, alors, que l’imprécision de ladite lettre équivalait à une absence de motifs et que le licenciement était donc sans cause réelle et sérieuse [2].

Il n’en demeure pas moins que ce principe a ensuite été abandonné par la Cour de cassation, car elle a estimé qu’il était possible pour l’employeur, lorsque la lettre de licenciement n’énonçait pas un motif précis et matériellement vérifiable, d’invoquer toute circonstance de fait permettant de justifier ce motif [3].

De ce point de vue, l’ordonnance du 20 décembre 2017 n’a pas changé "grand chose" par rapport au régime antérieur résultant de la jurisprudence de la Cour de cassation, l’employeur pouvant toujours préciser le motif de licenciement qui ne l’était pas dans la lettre de licenciement et donc justifier ce dernier par une cause réelle et sérieuse.

En effet, l’article L1235-2, alinéa 3, du Code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 20 décembre 2017, dispose qu’à défaut pour le salarié d’avoir formé auprès de l’employeur une demande en application de l’alinéa premier, l’irrégularité que constitue une insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne prive pas, à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse, et ouvre droit à une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire.

Il en résulte donc que le licenciement est susceptible d’être justifié par une cause réelle et sérieuse, en dépit de l’imprécision de la motivation de la lettre de licenciement, dès lors que le salarié n’a pas demandé à l’employeur de préciser celle-ci dans le quinze jours suivants sa notification.

La nouveauté est que la carence de la motivation de la lettre de licenciement est, désormais, sanctionnée par une indemnité spécifique dont le montant ne peut excéder un mois de salaire, lorsque le licenciement est ensuite justifié par une cause réelle et sérieuse et que le salarié n’a pas demandé à l’employeur de préciser le ou les motifs de licenciement dans les quinze jours suivants ce dernier et par lettre recommandée avec accusé de réception.

Le motif imprécis énoncé dans la lettre de licenciement qui pouvait, avant la réforme, être précisé et discuté devant les juges du fond, peut toujours l’être mais en étant sanctionné par la condamnation de l’employeur au paiement d’une indemnité au salarié qui ne lui a pas demandé de préciser le motif énoncé dans la lettre de licenciement.

A cet égard, il est quelque peu paradoxal qu’un licenciement justifié par une cause réelle et sérieuse soit sanctionné par une indemnité en réparation d’un vice de motivation qui a ensuite été couvert.

La question qui se pose est celle de savoir à quelle condition l’énonciation d’un motif imprécis dans la lettre de licenciement peut justifier par la suite ce dernier par une cause réelle et sérieuse ? Cela n’est pas précisé par l’article L1235-2 du Code du travail, alors que son alinéa 3 envisage pourtant un tel cas de figure.

En cas d’énonciation d’un motif imprécis dans la lettre de licenciement, ce dernier peut-il être justifié par une cause réelle et sérieuse à la condition que l’employeur l’ait précisé dans les quinze jours suivants la notification de cette lettre ou à la demande du salarié effectuée dans ce délai par lettre recommandée avec accusé de réception, ou à tout moment devant les juges du fond ?

La Cour de cassation n’a pas encore statué sur l’application des dispositions nouvelles de l’article L1235-2 du Code du travail, l’ordonnance du 22 septembre 2017 dont sa rédaction est issue n’étant applicable qu’à compter du 1er janvier 2018, ni donc sur celles de R1232-13 du Code du travail.

Cependant, il semble se déduire de l’interprétation a contrario de l’alinéa 3 de l’article L1235-2, que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse dès lors que le motif imprécis énoncé dans la lettre de licenciement n’a pas été précisé par l’employeur dans les quinze jours suivants la demande que lui a faite le salarié en ce sens, par lettre recommandée avec accusé de réception.

En revanche, selon ce troisième alinéa, le licenciement est susceptible d’être justifié par une cause réelle et sérieuse, en dépit du caractère imprécis du motif énoncé dans la lettre de licenciement, dès lors que le salarié n’a pas demandé à l’employeur, par lettre recommandée avec accusé de réception, de préciser ce motif dans les quinze jours suivant la notification de ladite lettre, ce qui ne change donc rien par rapport au régime antérieur à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 20 décembre 2017.

Reste la question de savoir ce qu’il advient lorsque l’employeur, après avoir insuffisamment précisé le motif énoncé dans la lettre de licenciement a, de son propre chef, rectifié son erreur en précisant ce motif par un courrier ultérieur adressé au salarié dans les quinze jours suivants ladite lettre, comme l’y autorise le premier alinéa de l’article L1235-2 du Code du travail.

Cette question n’a que peu d’intérêt, dès lors que le motif de licenciement s’en trouve ainsi précisé, sauf dans l’hypothèse où l’employeur aurait, à nouveau, manqué de précision. Cependant, même dans ce cas, il pourrait encore préciser le motif de licenciement dès lors que, ainsi que cela résulte des observations précédentes, le salarié ne lui a pas demandé de le faire, l’employer ayant lui-même pris cette initiative.

En conclusion, le motif imprécis énoncé dans la lettre de licenciement semble, comme cela était possible avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 20 décembre 2017, pouvoir être précisé et discuté devant les juges du fonds, si le salarié n’a pas demandé à l’employeur de le faire dans la forme et le délai susvisés, ce qui a pour effet de limiter la portée de la réforme aux rares cas dans lesquelles une telle demande est formée.

Philippe de Niort Avocat au Barreau de Paris [->de-niort.philippe@orange.fr] https// : www.philippedeniortavocat.com.

[1Soc. 23 mai 2000, Bull. civ. V, n° 194.

[2Soc. 17 janvier 2006, Bull. civ. V, n° 16 ; Soc. 23 mai 2000, Bull. civ. V, n° 195.

[3Soc. 15 octobre 2013, Bull. civ. V, n° 232.