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Le temps de la défense dans le procès pénal sénégalais à l’épreuve de l’équité processuelle. Par Sadou Wane, Docteur en Droit.
Parution : mercredi 1er juillet 2020
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Les mesures répétitives et inefficaces de justice pénale sénégalaise contribuent à des violations manifestes des droits de l’homme. L’humanisme du temps processuel autorise à redéfinir un cadre nouveau du procès pénal, respectueux des droits des victimes, des suspects et à même d’assurer l’ordre, d’administrer la justice de manière à protéger les droits individuels. À cet égard, il est utile de réfléchir le temps optimal de la défense pour se conformer aux principes du procès équitable.

Le principe du procès équitable est un des vecteurs d’appréciation de l’égalité des armes et de la qualité de la justice pénale dans la préservation de l’équilibre des parties au procès. Il est considéré comme le « schéma fondateur » de l’Etat de droit et des régimes démocratiques. L’humanisation du procès pénal suppose une organisation et une conduite équitable du processus judiciaire. Il convient, ce faisant, d’accorder le temps optimal à l’information de la personne mise en cause de ses droits et axer les réformes sur l’effectivité pour le suspect de voir son avocat dès les premières heures de son arrestation et lui consacrer le temps nécessaire pour la préparation de sa défense.

I. Le temps de l’information du mis en cause et de son conseil.

Le droit d’être informé est inscrit dans les principes du droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique, adoptant une formulation quasi-identique de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La loi précise que

« toute personne accusée d’une infraction pénale a le droit à être informée, dans le plus court délai, dès qu’une accusation est portée contre elle par une autorité compétente, dans une langue qu’elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l’accusation portée contre elle ».

Ainsi, l’information de la personne mise en cause doit lui parvenir en temps utile. L’ensemble de ces dispositions est traditionnellement présenté comme le socle des droits de la défense. Une gamme de droits non-exhaustifs, dont le droit d’être informé de la nature et de la cause de l’accusation doit être respecté pour garantir la présomption d’innocence et l’équilibre procédural. En d’autres termes, le suspect a le droit d’être informé sur les éléments de preuve recueillis. De façon simpliste, il s’agit d’étayer à la personne mise en cause les faits matériels qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde l’accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits et ce, d’une manière détaillée.

Cette exigence est une condition essentielle de l’équité de la procédure. Le respect de cette obligation est d’ordre public et s’apprécie au regard de la procédure dans sa globalité. L’information de la personne mise en cause et son conseil, concerne tout le processus judiciaire. En effet, dans le procès pénal, les droits de la défense s’entendent aussi bien au stade de l’enquête que de la phase d’instruction et de jugement.

Il est utile de relever que le premier réflexe de l’officier de police judiciaire doit être d’informer, immédiatement, le procureur de la République, son délégué ou le président du tribunal d’instance investi des pouvoirs de procureur de la République, de toute mesure de garde à vue. Cependant, la loi sénégalaise reste muette sur le moyen de communication qui se fait généralement par voie téléphonique. Si ce n’est pas un mutisme, en tout cas, le législateur forge de lire entre les lignes, ce qui dessert naturellement le suspect, pour la bonne et simple raison, que l’information de la nature de l’infraction sur laquelle porte l’enquête est sous entendue. Les seuls éléments de précision, vagues et incomplets, ressortent de la lecture combinée des articles 55 in fine et 56 du Code de procédure pénale sénégalais (Loi n° 99-06 du 29 Janvier 1999). Il est, aujourd’hui, impératif de retranscrire, sans allégorie aucune, de façon claire et précise ce droit primordial d’être informé de la nature et de la cause de l’accusation.

Aussi, il est de coutume que le justiciable soit convoqué à la police sans raison connue, distillant la formule « pour affaire te concernant ». Lorsque l’ouverture d’information est obligatoire, "l’infracteur" supposé est informé de chacun des faits dont le magistrat instructeur est saisi, tout en précisant, la qualification des faits. Dans le cas d’un renvoi devant une juridiction de jugement, le président de la juridiction doit faire « appel à un interprète si l’accusé ne parle ou ne comprend pas la langue française ». C’est ainsi, qu’au terme de chaque audience, le greffier signifie à l’accusé n’ayant pas comparu, copie des réquisitions du ministère public ainsi que tous les jugements réputés contradictoires. Il est de notoriété publique que l’absence totale des avocats à ce stade de la procédure favorise grandement les abus, face à des justiciables tendant à mésestimer l’appareil judiciaire.

Le Code de procédure pénale sénégalais ne prévoit pas la présence d’un avocat pour assister la personne gardée à vue dès les premières heures. Ce droit n’est reconnu qu’à l’expiration des quarante huit heures de durée légale de privation de liberté15 pour un entretien limité à trente minutes simplement, sans toutefois que l’avocat ait accès au dossier. Ce principe se heurte à des obstacles dans sa mise en œuvre, surtout lorsque certaines personnes poursuivies n’ont pas été assistées pendant la phase d’instruction et donc n’ont pu faire valoir leurs droits.

A l’évidence, la représentation d’une personne accusée par un avocat est considérée comme le meilleur moyen de se défendre contre les violations de ses droits humains et de ses libertés fondamentales.

II. Le droit de disposer du temps pour la préparation de sa défense.

Toute personne mise en cause dans un conflit pénal a le droit de communiquer avec son avocat et de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. La préparation d’une défense nécessaire et utile suppose bien inévitablement, au-delà de la simple prise de connaissance pointue du dossier, de mener des enquêtes, obtenir des contre expertises pertinentes déchiffrant les éléments techniques de la preuve à charge, afin de contester efficacement la preuve du ministère public.

La reconnaissance du droit de disposer du temps nécessaire à la préparation de se défense vise à permettre à un accusé de pouvoir prendre une décision mûre et non précipitée en ce qui concerne ses moyens et la conduite de son affaire. Les facilités de l’article 6, § 3-b de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’excluent nullement que les services de l’État incluent des détentions qui offrent la possibilité au mis en cause « de lire et écrire avec un degré raisonnable de concentration ». Les entraves permanentes à toutes ces règles posées par les juges européens sont clairement au-dessus des ambitieux des moyens de l’Etat. Dans une jurisprudence constante, les juges de la Cour européenne attirent l’attention sur le fait que le droit à un procès équitable, ne soit pas supposé garanti par le respect purement formel des règles de la procédure, ce droit doit se traduire par une effectivité du temps et des facilités nécessaires à la préparation de la défense de la personne mise en cause.

Le suspect doit pouvoir préparer sa défense, faire appel à un avocat, s’entretenir avec lui, consulter le dossier, rassembler les preuves de son innocence s’il conteste les faits qui lui sont reprochés ou les éléments à l’appui de sa demande d’indulgence s’il les reconnaît. Le temps nécessaire pour préparer une défense dépendait aussi d’une donnée, plus ou moins subjective, liée à la ligne de défense et aux parties de la preuve que la défense choisira de contester.

Le suspect a le droit de disposer de suffisamment de temps pour préparer sa défense, compte tenu de la complexité de l’affaire et de la nature de la procédure.

A cet effet, il est essentiel pour le suspect ou son conseil de se prévaloir du droit d’accès au dossier en vue de la prise de connaissance des éléments pertinents à charge résultants des investigations.

En vertu de ce principe, le suspect et son conseil doivent pouvoir organiser sa défense de manière appropriée et sans restriction aucune afin de présenter au juge un dossier qui favoriserait sa disculpation ou permettrait d’amoindrir, les charges retenues contre lui. Pour déterminer si le délai accordé à un accusé pour préparer sa défense est suffisant, il faut notamment tenir compte du volume du rapport d’expertise, de l’accès de l’accusé aux éléments de preuve. En matière criminelle, après l’interrogation de l’accusé par le président, les débats sont prévus dans les trois jours qui suivent, mais l’accusé et son conseil peuvent demander prorogation de ce délai pour mieux préparer leur défense.

Un principe, non moins important, abondant dans le même sens, est posé par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, stipule que « toute personne arrêtée, détenue ou emprisonnée doit disposer des possibilités, du temps et des facilités nécessaires, lui permettant de recevoir les visites d’un avocat et de communiquer avec lui, sans retard, sans être l’objet d’immixtion ou de censure et dans le respect le plus strict de la confidentialité de ces communications ». Pour ce faire, les autorités doivent créer les conditions pour que les avocats puissent apporter à leurs clients une aide juridique efficace sans entrave.

Le respect des droits fondamentaux de la personne, de la dignité du suspect en particulier occupe une place primordiale dans les législations modernes car la personne mise en cause, même quand sa culpabilité est établie, ne doit pas être réduite à l’acte qu’il a commis.

Il semble nécessaire de militer en faveur d’une sortie rationnelle du confinement textuel et rendre effectif ce droit fondamental.

Sadou WANE Docteur en Droit privé et Sciences Criminelles Université Paris 1Panthéon-Sorbonne ATER Université Alioune DIOP de Bambey
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