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Les dernières évolutions de la protection des victimes de violences conjugales. Par Cédrine Raybaud, Avocat.
Parution : mercredi 8 juillet 2020
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Véritable fléau des sociétés, les violences conjugales entraines son lot de drames régulièrement. Face à un constat alarmant et à la mobilisation de nombreuses associations de victimes, le législateur a du régulièrement intervenir pour proposer des mesures de protection de plus en plus efficaces.
La protection des violences conjugales désigne l’ensemble du dispositif juridique mis en place à l’échelle de la France afin de lutter contre les violences conjugales qui peuvent alors être physiques, sexuelles, verbales, psychologiques ou encore économiques. Voyons de quelles manières les victimes peuvent désormais se protéger.

La protection des violences conjugales désigne l’ensemble du dispositif juridique mis en place à l’échelle de la France afin de lutter contre les violences conjugales [1].

Celles-ci peuvent prendre différentes formes et ainsi renvoyer à des actes de diverses natures. Les violences conjugales peuvent alors être physiques, sexuelles, verbales, psychologiques ou encore économiques [2].

Ces violences ne faiblissant pas, le gouvernement a organisé un Grenelle des violences conjugales du 3 septembre au 25 novembre 2019.
L’objectif poursuivi par cette initiative était de prendre des engagements concrets et collectifs pour lutter contre les violences conjugales, et ce au moyen de la réunion de plusieurs acteurs concernés par le sujet comme des ministres, des parlementaires mais également des victimes ou des associations.

Ce Grenelle a été suivi de trente mesures destinées à accroître la protection des violences conjugales ainsi que d’une loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille.

Le 28 janvier 2020, la garde des sceaux a adressé une circulaire aux juridictions afin de présenter les dispositions civiles et pénales immédiatement applicables de la loi et indiquer des instructions de politique pénale provenant des réflexions du Grenelle à propos de l’accompagnement des victimes, du suivi des auteurs de violences conjugales et de l’organisation des juridictions en faveur d’une filière d’urgence dédiée au traitement des violences conjugales.

Le confinement national associé à la crise sanitaire du coronavirus ne s’est d’ailleurs pas appliqué aux juridictions chargées de la protection des violences conjugales [3]. La période de quarantaine imposée par le gouvernement en raison de la pandémie a en effet entraîné une augmentation significative du nombre de ces violences (Isabelle Rome, Les suites du Grenelle des violences conjugales, AJ Famille, 2020).

Par la loi du 28 décembre 2019, le législateur a entendu marquer une avancée notable dans la protection des violences conjugales, en particulier en ce qui concerne les violences faites aux femmes. La proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale le 28 août 2019 indiquait d’ailleurs que, bien que plusieurs grandes lois aient installé des outils au cours des dix dernières années, le déficit de protection des victimes de violences conjugales, notamment les femmes, est toujours d’actualité.
La loi de 2019 est donc présentée comme le moyen de combler le manque d’efficacité de l’arsenal législatif français en la matière.

I. L’élargissement de la protection des violences conjugales.

A. La prise en compte de la protection des enfants comme victimes indirectes.

De manière évidente, les enfants faisant l’objet de violences de la part de l’un ou de ses deux parents sont reconnus comme étant des victimes directes de violences conjugales. Il est alors possible de mettre un terme aux relations parentales qui unissent l’enfant à ses parents, voire de retirer aux parents leur autorité parentale ou de placer l’enfant hors du foyer.

Pour autant, avant la loi de 2019, les enfants qui ne subissaient pas d’atteintes directes ne bénéficiaient d’aucune protection juridique, malgré les séquelles de nature psychologique que sont susceptibles d’engendrer des violences commises par l’un des parents sur l’autre (Isabelle Corpart, Pour une famille, véritable havre de paix, de nouveaux renforcements de la lutte contre les violences conjugales, Hebdo édition privée n°809, 16 janvier 2020).

Désormais, les violences commises par un parent sur l’autre peuvent aboutir à la suppression de la coparentalité. En ce sens, les parents peuvent se voir retirer totalement l’autorité parentale ou l’exercice de celle-ci par une décision expresse du jugement pénal lorsqu’ils sont condamnés comme auteurs, coauteurs ou complices d’un crime ou délit commis sur la personne de leur enfant, mais également comme auteurs, coauteurs ou complices d’un crime sur la personne de l’autre parent [4].

La condamnation pénale de l’un des parents n’est toutefois pas une condition du retrait de l’autorité parentale. En effet, dès lors que l’enfant est témoin de pressions ou de violences de nature physique ou psychologique exercées par l’un des parents sur l’autre, le retrait total de l’autorité parentale peut être prononcé (Code civil, article 378-1).

La violence psychologique peut se définir comme « le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale » [5].

L’action en retrait de l’autorité parentale peut être portée par le ministère public mais aussi par un membre de la famille ou par le tuteur de l’enfant. De plus, si l’enfant a été recueilli par un particulier, un établissement ou le service départemental de l’aide social à l’enfance, ceux-ci peuvent saisir le juge aux fins de se faire déléguer totalement ou partiellement l’exercice de l’autorité parentale dans l’hypothèse où un parent est poursuivi ou condamné pour un crime commis sur la personne de l’autre parent ayant entraîné la mort de celui-ci [6].

Néanmoins, même si le parent se voit retirer son autorité parentale, il n’en est pas pour autant libéré de ses obligations à l’égard de son enfant. Ainsi, le parent doit contribuer à l’entretien et à l’éducation de son enfant en fonction de ses ressources, de celles de l’autre parent et des besoins de l’enfant, même en cas de retrait de l’autorité parentale [7].

B. La consolidation de la protection des victimes directes.

Depuis la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence une ordonnance de protection lorsque les violences exercées au sein du couple mettent en danger la personne qui en est victime ou un ou plusieurs des enfants. Cela est possible même lorsqu’il n’y a pas de cohabitation [8].

Plusieurs nouveautés résultent cependant de la loi de 2019. Ainsi, dès qu’il reçoit une demande d’ordonnance de protection, le juge convoque les deux parties, leurs avocats ainsi que le ministère public dans le cadre d’audiences. Celles-ci peuvent se tenir séparément, en particulier lorsque la partie demanderesse le requiert. De plus, aucune plainte pénale préalable n’est requise pour que l’ordonnance de protection puisse être délivrée [9].

En outre, l’ordonnance doit être délivrée dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date de l’audience, si le juge aux affaires familiales estime qu’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblable la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés [10].

L’article 1136-3 du code de procédure civile modifiée par le décret du 27 mai 2020portant application des articles 2 et 4 de la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille précise que l’ordonnance doit être non seulement signifiée au demandeur mais également au défendeur, éventuellement en empruntant la voie administrative s’il existe un danger grave et imminent pour la sécurité d’une personne concernée par l’ordonnance de protection ou qu’il s’agisse du seul moyen de notification.

Il est également impératif que l’acte de signification soit remis au greffe dans un délai de vingt-quatre heures à compter de l’ordonnance qui fixe la date de l’audience, à peine de nullité de la requête [11].

Le juge peut également enjoindre à la partie défenderesse de ne pas recevoir ni rencontrer certaines personnes que le juge aura préalablement désignées.

De la même manière, le juge peut interdire à la partie défenderesse de se rendre dans des lieux où se trouve de façon habituelle la partie demanderesse, ou encore proposer à la partie défenderesse une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique, voire un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences sexistes et les violences faites au sein du couple de manière générale.

Si la personne concernée refuse ce type de mesures, le juge informe immédiatement le procureur de la République de cette opposition.

II. La protection des violences conjugales par l’instauration de mesures concrètes.

A. La mise en place du bracelet anti-rapprochement.

Dans le cadre de l’interdiction faite au défendeur de recevoir ou de rencontrer certaines personnes désignées par le juge, celui-ci a la possibilité d’ordonner aux deux parties de porter un dispositif électronique mobile anti-rapprochement.

Il s’agit d’un bracelet permettant de détecter la violation de son interdiction par l’auteur des faits de rester à distance de la victime en signalant sa présence du conjoint violent lorsque celui-ci se situe à proximité de l’autre partie [12].

En ce sens, pendant toute la durée du placement, le juge peut ordonner au conjoint violent de porter un bracelet intégrant un émetteur permettant à tout moment de déterminer à distance sa localisation sur l’ensemble du territoire français [13].

La pose du bracelet anti-rapprochement peut s’effectuer à la demande de la victime ou, à défaut d’une telle demande, avec son consentement exprès. En principe, le consentement de la personne placée sous contrôle judiciaire est également requis.

Cependant, en cas de refus de sa part, cela sera considéré comme une violation des obligations qui lui incombent, ce qui pourra impliquer la révocation de la mesure puis le placement de la personne en détention provisoire.

Le code de procédure pénale précise tout de même que l’instauration du dispositif du bracelet anti-rapprochement ne peut être réalisée de n’importe quelle manière. Il est ainsi nécessaire que le procédé soit mis en œuvre de sorte à garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne concernée. En outre, le bracelet ne doit pas constituer un frein à l’insertion sociale de l’individu.

B. L’assouplissement du recours au téléphone grave danger.

Le téléphone grave danger est un procédé qui consiste en l’obtention par la victime d’un dispositif de téléprotection lui permettant d’alerter les autorités publiques dans les cas où elle est menacée d’un danger grave en provenance de son conjoint, de son concubin ou de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité.
Aux termes de l’article 41-3-1 du Code de procédure pénale modifié par la loi du 28 décembre 2019, le procureur de la République peut attribuer un tel dispositif à la victime si celle-ci ne cohabite pas avec l’auteur des violences commises.

De plus, il faut que ce dernier ait été ciblé par une interdiction judiciaire d’entrer en contact avec la victime dans le cadre d’une ordonnance de protection, d’une alternative aux poursuites, d’une composition pénale d’un contrôle judiciaire, d’une assignation à résidence sous surveillance électronique, d’une condamnation, d’un aménagement de peine ou encore d’une mesure de sûreté.

Si ces dernières conditions ne sont pas remplies, le téléphone grave danger peut tout de même être attribué à la victime s’il existe un danger avéré et imminent, lorsque l’auteur des violences est en fuite ou n’a pas encore pu être interpellé, ou quand l’interdiction judiciaire d’entrer en contact avec la victime n’a pas encore été prononcée.

L’objectif de ce dispositif de téléprotection est de minimiser les actes de violence, notamment lorsque les circonstances font craindre un danger de mort pour les victimes.

En pratique, l’attribution du téléphone grave danger est précédée par une analyse de la situation de la victime par une association spécialisée ou un bureau d’aide aux victimes.

Le dispositif se manifeste par la délivrance d’un téléphone pourvu d’un bouton d’alerte situé à son verso. L’activation du téléphone permet ainsi de localiser la personne qui en fait l’usage, puis de mobiliser les forces de police sur place.

Du côté des tribunaux, ceux-ci sont dotés en moyenne de trois téléphones par ressort. Ce chiffre relativement faible implique dès lors une nécessaire hiérarchisation des demandes afin de s’occuper en premier lieu des victimes pour lesquelles le risque est particulièrement élevé.

L’intervention d’un avocat sensibilisé aux comportements des auteurs de violences est nécessaire pour appréhender de la meilleure façon que ce soit ce type d’affaires. N’hésitez pas à nous consulter si vous avez besoin d’aide.

Cédrine RAYBAUD Avocat Associé Tel : 04 90 54 58 10 http://divorce.lexvox-avocat.fr/

[1Voir l’article ici.

[2Elisabeth Moiron-Braud, La politique publique en matière de violences conjugales, AJ Famille, 2020.

[3Pour aller plus loin lire cet article.

[7Code civil, article 371-2.

[8Code civil, article 515-9.

[10Code civil, article 515-11.

[11Code de procédure civile, article 1136-3.

[12Anne Sannier, Bilan des principaux outils juridiques de lutte contre les violences conjugales, AJ Famille, 2020.