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Les maladies iatrogènes : de quoi parle-t-on ? quels sont les recours ? Par Patrick Lingibé, Avocat.
Parution : mardi 7 juillet 2020
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Cet article traite d’un sujet peu abordé, celui concernant les affections iatrogènes qui sont liées à un traitement ou un acte médical. Pourtant les accidents iatrogènes seraient responsables chaque année de plus de 10 000 décès et de 130 000 hospitalisations.

Les maladies iatrogènes désignent l’ensemble des effets néfastes qui peuvent être provoqués par un traitement ou un acte médical. On parle d’effets iatrogènes lorsque le traitement déclenche de nouveaux symptômes, distincts de ceux qu’il est censé soigner. L’effet iatrogène peut intervenir avec ou sans mauvais usage du médicament, que ce mauvais usage soit le fait d’un professionnel de santé ou du malade lui-même. Il ne faut donc pas confondre affection iatrogène et erreur médicale. L’affection iatrogène est une conséquence de la prise d’un médicament même si l’indication était correcte et la posologie bonne. Il est donc possible d’être victime d’une affection iatrogène en dehors de toute faute du médecin prescripteur.

Le risque iatrogène doit notamment être pris en compte dans le traitement des personnes âgées et des enfants qui sont les personnes les plus touchées par les accidents iatrogènes c’est-à-dire lorsque l’effet iatrogène met en danger la vie du patient.

Pour donner des exemples d’affections iatrogènes, nous pouvons citer l’allergie à un médicament pouvant aller jusqu’au choc anaphylactique, hépatite médicamenteuse ou encore la cardiopathie médicamenteuse.

Le médicament : un produit technico-réglementaire ?

L’article L5111-1 du Code de la santé publique définit le médicament comme étant une « substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales, [...] pouvant être utilisée chez l’homme ou chez l’animal ou pouvant leur être administrée, en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique ». Le médicament n’est pas un produit de consommation comme les autres, il n’est pas sans risque et peut provoquer des effets secondaires. C’est pourquoi il est soumis à une réglementation stricte.

Tous les médicaments répondent aux mêmes exigences de sécurité et de qualité.

Le médicament est un produit technico réglementaire de sa mise sur le marché à sa surveillance. Depuis 2011, c’est l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui délivre les autorisations de mise sur le marché (AMM) des médicaments au niveau national et européen. L’AMM intervient après une procédure d’évaluation qui comprend des volets technico-réglementaire et scientifique. Elle porte également sur l’information du patient et des professionnels de santé.

Cette évaluation interne est ensuite complétée par une expertise externe concernant le rapport bénéfice/risque du produit. Cette expertise est réévaluée périodiquement. Le médicament peut être retiré du marché à tout moment et son AMM suspendue en cas de doute sur la balance bénéfice/risque de la molécule. Le médicament fait l’objet, même après sa commercialisation, d’une surveillance de la part des autorités et des professionnels de santé des pays dans lesquels il est autorisé.

Quelles réparations pour les dommages causés par les médicaments ?

L’indemnisation au titre de la solidarité nationale.

Toute victime d’une affection iatrogène ainsi que ses ayants droits en cas de décès peuvent être indemnisés. La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 modifiée relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé dite loi Kouchner pose le principe d’une responsabilité sans faute des professionnels et établissements de santé qui réalisent des actes de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences de ces actes qu’en cas de faute. Il appartient donc à la victime de prouver la faute. En l’absence de faute, la solidarité nationale se substitue à la responsabilité : l’ONIAM (Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales) est saisi par un juge ou une commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CRCI).

En France, une procédure de règlement amiables des litiges relatifs aux accidents médicaux a été mise en place :
- Si la responsabilité d’une firme ou d’un professionnel de santé est engagée, la victime peut solliciter une procédure contentieuse devant les tribunaux ou saisir la commission de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CCI) pour effectuer une conciliation ou un règlement amiable ;
- En l’absence de responsabilité pour faute ou lorsque la responsabilité du producteur du produit de santé ne peut pas être engagée, la victime peut se tourner vers l’Oniam.

L’ONIAM a une double mission :
- Organiser de manière effective le règlement amiable des accidents médicaux ;
- Indemniser les victimes d’accidents médicaux pour lesquels aucune faute n’a été rapportée.

Les victimes d’effets iatrogènes peuvent saisir l’ONIAM. Cette saisine suppose toutefois la réunion de certaines conditions :
- L’acte en cause doit être directement imputable à une action de prévention, de diagnostic ou de soins ;
- L’acte en cause doit avoir pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé et de l’évolution prévisible de celui-ci.
Par deux arrêts du 12 décembre 2014 n° 355052 et n° 365211, le Conseil d’Etat a précisé les « conséquences anormales » du dommage subi par le patient. Ainsi, le critère d’anormalité doit être retenu par les juges dès lors « l’acte médical entraîne des conséquences notablement graves que celles auxquelles le patient s’exposait en l’absence de traitement » ;
- L’acte en cause doit présenter un caractère de gravité apprécié au regard de la perte des capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie professionnelle.

Le taux d’incapacité permanente ouvrant droit à réparation est fixé à 24%. La solidarité nationale joue également lorsque la durée de l’incapacité temporaire de travail est au moins égale à six mois ou lorsque l’acte en cause entraîne des troubles particulièrement graves.

L’instruction des dossiers est assurée par les commissions régionales de conciliation et d’indemnisation (CRCI). Les CRCI sont chargées de faciliter le règlement amiable des litiges d’affections iatrogènes. La commission compétente est celle du lieu où l’acte litigieux a été réalisé. Les CRCI peuvent être saisi en vue d’une conciliation ou en vue d’un règlement amiable du litige lorsque le dommage est imputable à un acte de prévention, de diagnostic ou de soin réalisé après le 5 septembre 2001.

En cas de faute, la victime peut également rechercher la responsabilité du producteur du médicament ou celle du prescripteur du médicament.

Quelle est la responsabilité du producteur de médicament ?

En l’absence de faute la responsabilité du producteur se prescrit par dix ans à compter de la mise en circulation du produit ayant causé le dommage c’est-à-dire à compter de la première vente.

L’action en réparation se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage.

La responsabilité du producteur de médicament peut ainsi être engagée sur le terrain de la responsabilité des produits défectueux. Pour engager la responsabilité du fabricant de médicament sur ce fondement, la victime doit rapporter la preuve de la défectuosité du produit. Le Code civil précise qu’un produit est dit défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre [1]. Le danger du produit doit cependant provenir de son défaut car un produit peut être dangereux sans être défectueux. De plus, le défaut doit attendre un degré de gravité suffisant pour porter atteinte à la sécurité des utilisateurs. S’agissant d’un médicament, cette attente légitime est appréciée en fonction du bilan coût/avantages.

L’article 1386-9 du Code civil, reprend presque à l’identique la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, transposée par la loi n°98-389 du 19 mai 1997 : la victime doit prouver le défaut, le dommage et le lien de causalité. Cette preuve du défaut est cependant difficile à rapporter. Afin d’aider les victimes, les juges reconnaissent facilement qu’une obligation de sécurité pèse sur les fabricants de médicaments qui sont tenus de communiquer toutes les informations obligations sur l’utilisation du produit. Ainsi la victime peut se prévaloir d’un défaut d’information. A ce titre, la Cour de cassation a validé la position de la Cour d’appel de Lyon qui a reconnu la défectuosité du vaccin parce que la notice ne mentionnait pas la poussée de sclérose en plaque comme effet secondaire indésirable Cass, civ, 9 juillet 2009, n°08-11.073 :

« Mais attendu qu’ayant relevé, d’abord, que si les études scientifiques versées aux débats par la société Sanofi Pasteur MSD n’ont pas permis de mettre en évidence une augmentation statistiquement significative du risque relatif de sclérose en plaque ou de démyélinisation après vaccination contre l’hépatite B, elles n’excluent pas, pour autant, un lien possible entre cette vaccination et la survenance d’une démyélinisation de type sclérose en plaque ; qu’ayant, ensuite, relevé que les premières manifestations de la sclérose en plaque avaient eu lieu moins de deux mois après la dernière injection du produit ; que ni Mme X... ni aucun membre de sa famille n’avaient souffert d’antécédents neurologiques, et que dès lors aucune autre cause ne pouvait expliquer cette maladie, dont le lien avec la vaccination relevait de l’évidence selon le médecin traitant de Mme X..., la Cour d’appel, qui a souverainement estimé que ces faits constituaient des présomptions graves, précises et concordantes, a pu en déduire un lien causal entre la vaccination de Mme X..., et le préjudice subi par elle ; ».

De jurisprudence constante, ce raisonnement a également permis aux juges de reconnaître la défectuosité d’un produit du fait du défaut d’information de sa notice, l’effet indésirable ayant été signifiée dans la notice fournie au médecin mais pas dans celle remise aux patients Cass, civ, 22 novembre 2007, n° 06-14.174 :

« Mais attendu qu’aux termes de l’article 1386-4, alinéa 2, du Code civil, le défaut d’un produit, au sens de ses articles 1386-1 et suivants, s’apprécie en tenant compte de toutes les circonstances, et notamment de sa présentation ; que, par motifs propres et adoptés, la Cour d’appel a relevé que, si la notice d’utilisation du Dermalive, remise aux seuls médecins, mentionnait le risque d’effets indésirables tels que ceux survenus, la plaquette d’information, communiquée préalablement à Mme X..., n’en faisait aucun état, malgré leur présence dans la littérature médicale et leur incidence sur un éventuel renoncement de la patiente aux soins ; que par ces seuls motifs, qui rendent surabondantes les critiques des deux premières branches, et mal fondées celles de la troisième, elle a légalement justifié sa décision ; ».

La charge de la preuve est encore plus lourde pour la victime lorsque plusieurs fabricants sont concernés par le médicament ayant causé le dommage. Ce fût notamment le cas dans l’affaire du Distilbène, médicament destiné aux femmes enceinte. Après avoir constaté que la molécule était bien la cause directe du syndrome, les juges ont inversé la charge de la preuve et ordonné aux deux laboratoires de démontrer que leur produit n’était pas à l’origine du dommage Cass, civ, 24 septembre 2009, n° 08-16.305. La responsabilité des fabricants peut ainsi être engagé in solidum.

En cas de graves séquelles ou de décès du patient, la responsabilité du fabricant peut être engagée devant le juge pénal sur le fondement de l’article 221-6 du Code pénal (atteinte involontaire à la vie). La victime devra cependant rapporter la preuve d’un manquement du fabricant à son obligation de sécurité pour défaut d’information.

Enfin, les articles 1386-10 et 1386-14 du Code civil prévoient que le fabricant ne peut pas invoquer le fait que le produit ait été fabriqué dans le respect des normes existantes ou qu’il ait fait l’objet d’une autorisation administrative, ni le fait d’un tiers pour diminuer ou s’exonérer de sa responsabilité. En revanche, l’article 1386-11 du Code civil prévoit un certain nombre de causes d’exonération si le producteur rapporter la preuve :
- Qu’il n’a pas mis le produit en circulation ;
- Que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d’estimer que le défaut ayant causé le dommage n’existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement ;
- Que le produit n’a pas été destiné à la vente ou toute autre forme de distribution ;
- Que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation n’a pas permis de déceler l’existence du défaut ;
- Que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives législatives ou réglementaires.

Quelle est la responsabilité du médecin prescripteur du médicament ?

Depuis l’arrêt Mercier du 20 mai 1936 par la Cour de cassation, la responsabilité du médecin peut être engagée sur le fondement de la responsabilité délictuelle en cas d’inexécution ou de mauvaise exécution de son obligation de moyen [2]. Comme lorsqu’il existe plusieurs fabricants, la responsabilité du médecin prescripteur et du pharmacien d’officine peuvent être engagée in solidum Cass, civ, 1ère, 14 octobre 2010, n° 09-68471 :

« Mais attendu que la Cour d’appel, qui n’avait pas à s’expliquer sur les éléments de preuve qu’elle avait décidé d’écarter, appréciant souverainement la teneur du rapport d’expertise, a motivé sa décision en faisant siennes les constatations de l’expert selon lesquelles les salicylés, déconseillés en raison de la perturbation de la coagulation sanguine qu’ils entraînent, du fait qu’ils peuvent favoriser des maladies neurologiques graves voire induire un syndrome de Reyne, maladie rare mais très grave quand ils sont administrés dans un contexte de pathologie virale, ne constituaient plus, depuis plusieurs années au moment des faits, le médicament antithermique de référence et de première intention chez le nourrisson, tandis que d’autres principes actifs, tels le paracétamol, offraient la même efficacité et présentaient moins d’inconvénients ; qu’elle a pu en déduire, le principe de liberté de prescription ne trouvant application que dans le respect du droit de toute personne de recevoir les soins les plus appropriés à son âge et à son état, conformes aux données acquises de la science et ne lui faisant pas courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté, que M. Y... avait manqué à son obligation contractuelle de moyens ; qu’ayant ensuite retenu que la mention sur l’ordonnance, obligatoire en toute hypothèse, de l’âge et du poids du malade, correspondait en outre, dans le domaine de la pédiatrie, à un standard de qualité en ce qu’elle mettait le pharmacien en mesure de disposer des éléments lui permettant de contrôler la prescription, elle a pu en déduire que la faute commise par M. Y..., en facilitant la commission d’une faute elle-même en relation directe avec le dommage, avait contribué à sa réalisation ; qu’aucun des griefs n’est fondé ; ».

La responsabilité du médecin naît de la violation de son obligation de moyen et suppose que la victime rapporte la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité. La faute retenue permettra ensuite au Conseil de l’ordre d’engager la responsabilité professionnelle du professionnel qui n’a pas respecté le Code de déontologie médicale mais peut également entraîner une responsabilité pénale.

En matière de prescription médicamenteuse, la faute du médecin peut prendre trois formes. Elle peut tout d’abord se produire lors de l’indication thérapeutique (le médecin se trompe dans le choix du médicament) ou utilise une thérapeutique inadaptée causant un dommage au patient. Le médecin peut ensuite commettre une faute dans la prescription du médicament (posologie trop élevée par exemple).

De même, l’indication thérapeutique peut être mal comprise par le pharmacien et le médecin peut ainsi engager sa responsabilité. Enfin, une autre faute du médecin peut résider dans sa mauvaise surveillance du traitement. Il se doit d’être attentif à toutes les remarques du patient notamment les effets secondaires et lui indiquer la marche à suivre.

Pour que la responsabilité du médecin soit engagée, la victime doit rapporter la preuve d’un lien de causalité entre la faute et le dommage ainsi que d’un préjudice direct et certain. Le préjudice peut être corporel ou moral et la perte de chance est également prise en compte. Le lien de causalité est, quant à lui, laissé à l’appréciation des juges du fonds.

Enfin, le médecin peut s’exonérer de sa responsabilité s’il rapporter la preuve d’une faute du pharmacien d’officine ou du pharmacien fabricant. La réparation du dommage peut ainsi être attribuée à plusieurs auteurs.

Patrick Lingibé Membre du Conseil National des barreaux Ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de France Avocat associé Cabinet Jurisguyane Spécialiste en droit public Diplômé en droit routier Médiateur Professionnel Membre de l’Association des Juristes en Droit des Outre-Mer (AJDOM) www.jurisguyane.com

[1Article 1386-4.

[2Article 1382 du Code civil devenu l’article 1240 du Code civil.