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Focus sur l’indemnisation du retard dans le paiement d’une dette de l’administration. Par Julie Verger, Avocat.
Parution : jeudi 9 juillet 2020
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Le retard dans le paiement d’une dette de l’administration expose celle-ci au paiement d’un intérêt au taux légal, qui indemnise le préjudice qui en résulte. Le préjudice alors indemnisé résulte de l’indisponibilité, pour le créancier victime, d’une somme d’argent que le débiteur responsable, en l’occurrence l’administration, a été condamné à verser.

La détermination du montant de ces intérêts (1) et de ce qui relève de l’exécution de la décision juridictionnelle peut poser des difficultés, ou à tout le moins interroger, et ce, d’autant plus que la décision juridictionnelle n’est pas toujours explicite sur le sujet (2).

1- La détermination du montant des intérêts dus par l’administration créancière.

Les intérêts de retard dus par l’administration créancière sont régis par les dispositions du Code civil et du Code monétaire et financier. A cet égard, il convient de distinguer les intérêts de retard dus en application des dispositions de l’article L1231-6 du Code civil, de ceux dus en application des dispositions de l’article 1231-7 du même code.

a) Les intérêts moratoires dus dans l’article L1231-6 du Code civil.

L’article L1231-6 du Code civil [1] dispose que :

« les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d’aucune perte. (…) ».

Cet article, régulièrement mis en œuvre par les juridictions administratives, concerne l’hypothèse de l’application d’un intérêt au taux légal dit moratoire à compter de la mise en demeure de payer.

Le taux d’intérêt appliqué est celui défini à l’article L313-2 du Code monétaire et financier.

Il est fixé chaque année par décret. Il comprend un taux applicable lorsque le créancier est une personne physique n’agissant pas pour des besoins professionnels et un taux applicable dans tous les autres cas (3,11% en 2020 pour les créances des particuliers et 0,84% en 2020 pour les autres créanciers).

La créance détenue sur l’administration existe, en principe, à la date à laquelle se produit le fait qui en est la cause. Il en résulte que, saisie d’une demande tendant au paiement de cette créance, l’administration est tenue d’y faire droit dès lors que celle-ci est fondée.

En conséquence, il est jugé que les intérêts moratoires dus en application de l’article 1231-6 du Code civil, lorsqu’ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l’absence d’une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine [2].

Ainsi, dès que la dette est exigible et que son paiement est demandé à l’administration, elle fait tourner le compteur des intérêts moratoires.

Le juge administratif met alors à la charge de l’administration, sur demande du créancier/victime, un intérêt au taux légal, à compter de la réception de la réclamation préalable indemnitaire [3], ou à défaut de la saisine du juge.

Il est jugé que le débiteur peut en demander le paiement à tout moment, y compris pour la première fois en appel [4].

Il est même jugé que :

« lorsqu’ils ont été demandés, ces intérêts doivent être versés par l’administration, quelle que soit la date de cette demande y compris lorsqu’elle est postérieure au versement, en exécution d’une décision de la juridiction administrative, de la somme due au principal » [5].

Autrement dit, le débiteur peut même demander le versement des intérêts moratoires après une décision de la juridiction administrative se prononçant exclusivement sur la somme due au principal.

Il en résulte que même si l’administration est condamnée par jugement au versement d’une somme d’argent, sans condamnation au paiement des intérêts moratoires, le requérant/victime ayant omis de le demander, elle pourra, des années plus tard, avoir à verser des intérêts moratoires, si la victime le demande. Le montant des intérêts moratoires pouvant être réclamé n’est pas à négliger puisqu’il s’écoule le plus souvent plusieurs années entre la réclamation préalable indemnitaire, et le jugement rendu par la juridiction administrative.

La situation de l’administration à cet égard peut donc s’avérer inconfortable car incertaine, la seule limite temporelle opposable étant la prescription quadriennale.

Les intérêts moratoires sont alors non seulement dus en cas de condamnation par le juge au paiement de ces intérêts, mais également en dehors de toute condamnation en ce sens. Ils ne seront néanmoins versés par l’administration que s’ils sont demandés et accordés au contentieux, ou directement demandés à l’administration condamnée au principal, et c’est la différence avec les dispositions de l’article suivant.

b) Les intérêts dus dans l’article 1231-7 du Code civil.

L’article 1231-7 du Code civil [6] concerne l’application d’un intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement.

Cet article prévoit en effet :

« qu’en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide autrement ».

Ainsi, toute condamnation pécuniaire prononcée par une juridiction emporte intérêts de droit, c’est-à-dire même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement.

Autrement dit, l’exécution d’une décision de la juridiction administrative implique nécessairement le versement de ces intérêts, et ce, même en l’absence de demande du créancier, ou de disposition spéciale du jugement sur ce point.

Les intérêts au taux légal s’appliquent de plein droit, à compter de la lecture du jugement.

La collectivité débitrice doit alors verser ces intérêts spontanément, indépendamment de toute condamnation spécifique sur ces intérêts.

C’est ce qui explique qu’il est jugé que les conclusions du créancier/victime tendant à ce que les sommes qui lui ont été allouées portent intérêt à compter de la date de lecture de la décision juridictionnelle en application des dispositions de l’article 1231-7 du Code civil sont dépourvues de tout objet et doivent être rejetées puisque même en l’absence de demande tendant à l’allocation d’intérêts, tout jugement prononçant une condamnation à une indemnité fait courir les intérêts du jour de son prononcé jusqu’à son exécution [7].

Le taux d’intérêt applicable est également le taux d’intérêt légal défini à l’article L313-2 du Code monétaire et financier, fixé chaque année par décret. Ce taux est toutefois majoré de 5 points deux mois après que le jugement soit devenu exécutoire [8], c’est-à-dire dans le cas d’une décision de la juridiction administrative, deux mois après sa notification.

Il en résulte que même si l’administration dispose d’un délai de deux mois pour exécuter un jugement, elle a tout intérêt à l’exécuter immédiatement.

2- Le recouvrement des intérêts de retard à l’égard de l’administration.

Le recouvrement des intérêts de retard dus par l’administration peut interroger sur le choix de la procédure à mettre en œuvre pour parvenir à ce recouvrement, dans l’hypothèse où le jugement ne se prononce pas sur ces intérêts.

Pour rappel, la procédure d’exécution forcée d’une décision adoptée par la juridiction administrative est fixée par l’article L911-4 du Code de justice administrative.

Cet article dispose que :

« En cas d’inexécution d’un jugement ou d’un arrêt, la partie intéressée peut demander à la juridiction, une fois la décision rendue, d’en assurer l’exécution.
Si le jugement ou l’arrêt dont l’exécution est demandée n’a pas défini les mesures d’exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d’exécution et prononcer une astreinte
 ».

Le recouvrement des intérêts dus en application de l’article L1231-7 du Code civil passe nécessairement par cette procédure.

Tel est également le cas du recouvrement des intérêts moratoires si le jugement se prononce sur ces intérêts.

Le choix de la procédure de recouvrement des intérêts moratoires s’avère cependant plus délicat dans l’hypothèse où le jugement ne se prononce pas sur ces intérêts.

Pour obtenir le recouvrement des intérêts moratoires sur une créance dont le principal n’est plus discutable, peut-on procéder par voie d’exécution forcée sur le fondement d’une décision de justice qui ne fait pas mention de ces intérêts ?

La question n’est pas théorique puisque l’expérience démontre que les juges oublient parfois ce chef de condamnation, tout comme les parties ne pensent pas toujours à le demander dans leurs requêtes.

Dans la mesure où les intérêts légaux sont de droit, l’on peut assez naturellement penser que toute condamnation aux intérêts légaux présente le caractère d’une condamnation accessoire qui accompagne nécessairement la condamnation au paiement d’une somme d’argent, sans qu’il soit nécessaire de le préciser.

Il en résulterait alors que lorsque le juge n’intègre pas dans son jugement (par oubli du juge ou du demandeur) un chef de condamnation sur les intérêts moratoires, la résistance du débiteur à les payer spontanément obligerait simplement le créancier à saisir le juge d’une procédure d’exécution du jugement. L’intérêt serait d’éviter l’engagement d’ une nouvelle procédure.

Le juge judiciaire considère que le juge de l’exécution peut se prononcer sur la demande de versement des intérêts de retard et leur point de départ, qu’il s’agisse tant des intérêts moratoires dus en applications des dispositions de l’article 1231-6 du Code civil que des intérêts dus en application des dispositions de l’article L1231-7 du même code, et ce, même si le juge du fond ne s’était pas prononcé sur ces questions [9].

Le juge administratif adopte la même position.

Il est en effet jugé que le paiement des intérêts correspondant à une condamnation prononcée par la juridiction administrative présente le caractère d’une mesure d’exécution de la décision juridictionnelle prononçant cette condamnation, y compris lorsque le paiement des intérêts n’avait pas été demandé devant le juge [10].

Aucune distinction n’est alors opérée entre les intérêts moratoires dus en exécution de l’article 1231-6 du Code civil et ceux dus en exécution de l’article L1231-7 du même code.

Ce point de vue est particulièrement discutable puisqu’il a pour effet d’anéantir la distinction qui existe entre ces intérêts. Si les intérêts de retard dus en application de l’article 1231-7 du Code civil sont dus de plein droit, y compris en l’absence de demande du créancier/victime, et en l’absence de disposition spécifique dans la décision juridictionnelle, il en va différemment des intérêts moratoires dus en application des dispositions de l’article L1231-7 du Code civil.

L’intérêt moratoire n’est pas systématique puisqu’il convient pour le créancier/victime d’en faire la demande expresse. L’exécution d’un jugement de condamnation pécuniaire n’implique pas le paiement de ces intérêts par l’administration s’ils n’ont pas été demandés devant le juge.

Il est donc difficile de comprendre en quoi le recouvrement de ces intérêts pourrait relever de la procédure d’exécution du jugement en l’absence de disposition spécifique à ce sujet dans le jugement, cette absence étant justifiée par l’absence de demande au contentieux présentée par le créancier/victime.

Cette solution est discutable d’un point de vue juridique puisqu’elle aboutit à une confusion entre les règles qui gouvernent le fond, et le titre exécutoire requis pour engager la procédure d’exécution forcée. Or, ce n’est pas parce que la somme est due sur le fond, que cela justifie pour autant le recours à la procédure d’exécution forcée du jugement, silencieux sur l’exigibilité de ces intérêts.

Certes, le débiteur qui paie les intérêts indépendamment de toute condamnation, ne fait que payer une somme qu’il doit, sur le fond (les intérêts sont effectivement dus de plein droit pour les intérêts dus en application de l’article L1231-7 du Code civil, et les intérêts moratoires sont dus en application de l’article L1231-6 du même code s’ils sont demandés). La question de l’exécution forcée est toutefois une question distincte, et sans mention dans le jugement du montant de l’intérêt moratoire, aucune exécution forcée n’apparaît possible.

Cette solution a néanmoins le mérite de faciliter le recouvrement des intérêts dus, sans distinction, par la possibilité de recourir à la procédure d’exécution forcée du jugement fondée sur l’article L911-4 du Code de justice administrative.

Il est vrai que la nécessité de recourir à une procédure nouvelle aurait présenté un intérêt limité puisque le débat juridique aurait lui-même été limité, pour ne pas dire inexistant, dans la mesure où les intérêts moratoires sont dus dès lors qu’ils sont demandés.

Julie VERGER Avocat associé - pôle droit public Cabinet DROUINEAU 1927

[1Ancien article 1153.

[2CE, 5 janvier 2011, n°334905 : Pour un exemple plus récent : CAA de Bordeaux, 23 juin 2020, n°18BX01316.

[3Pour un exemple récent : CAA de Nantes, 3 juillet 2020, n° 18NT04018.

[4CE, 16 mai 2007, n°285514.

[5Ordonnance du TA de Poitiers, 9 octobre 2019, n°1902033.

[6Ancien article 1153-1 du Code civil.

[7CAA de Bordeaux, 23 juin 2020, n° 18BX01316.

[8Article L313-3 du Code monétaire et financier.

[92ème Civ., 17 juin 1999, n° 97-15151.

[10Ordonnance du TA de Poitiers, 9 octobre 2019, 1902033.

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