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Délais en contentieux du droit du travail et fin de la période juridiquement protégée. Par Noémie Caperon, Avocat.
Parution : jeudi 23 juillet 2020
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Attention, les délais de prescription et de recours ont recommencé à courir le 24 juin 2020 !

La loi n°2020-290 du 23 mars 2020 a décrété l’état d’urgence sanitaire en France à compter du 24 mars 2020 pour une durée de 2 mois, puis jusqu’au 10 juillet 2020, face à la pandémie de Covid-19.

Par ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, il a été décrété que la période du 12 mars 2020 jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire était juridiquement protégée.

Par ordonnance modificative n°2020-560 du 13 mai 2020, la période juridiquement protégée a été modifiée en étant arrêtée dans le temps : du 12 mars au 23 juin 2020 inclus.

Autrement dit, la période du 12 mars au 23 juin 2020 inclus est soumise à un régime spécial, notamment en contentieux du droit du travail.

Ce principe souffre bien entendu d’exceptions.

Principe général.

Conformément à l’article 2 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période et modifiée par l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 :

« Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ».

Autrement dit, la prorogation des délais devant s’achever pendant la période juridiquement protégée s’applique notamment à toutes les actions pouvant être portées devant le Conseil de Prud’hommes (contestation de la rupture du contrat de travail, rappel de salaires, heures supplémentaires, harcèlement, discrimination…), à la faculté d’interjeter appel d’une ordonnance de référé ou d’un jugement du Conseil de Prud’hommes.

Ces délais ont recommencé à courir le 24 juin 2020 :
- Soit pour leur durée initiale (si celle-ci est inférieure à 2 mois),
- Soit pour une durée de 2 mois (si la durée initiale est supérieure à 2 mois) : jusqu’au 24 aout 2020 inclus.

Exemples :

Un jugement du Conseil des Prud’hommes est notifié le 18 février 2020. Le délai d’appel est d’1 mois, soit jusqu’au 18 mars 2020. Or, il expire pendant la période juridiquement protégée. Le délai est donc prorogé d’un mois à compter du 24 juin 2020, soit jusqu’au 24 juillet 2020.

Le salarié ou l’employeur pourra faire appel jusqu’au 24 juillet 2020 inclus.

Un contrat de travail est rompu le 17 juin 2019 (quel que soit le mode de rupture : licenciement, rupture anticipée du CDD, départ ou mise à la retraite, démission, rupture de période d’essai, prise d’acte…).

Le délai afin contester la rupture est d’un an à compter de ladite rupture, soit jusqu’au 17 juin 2020. Le délai expire pendant la période juridiquement protégée. Il est donc prorogé de 2 mois à compter du 24 juin 2020, soit jusqu’au 24 août 2020.

Le salarié ou l’employeur pourra contester la rupture du contrat de travail jusqu’au 24 août 2020 inclus.

Exceptions.

Exception générale.

En revanche, sont exclus de ce régime, selon ce même article 2 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 :

« Les délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement, (…) délais prévus pour le remboursement de sommes d’argent en cas d’exercice de ces droits ».

Ainsi, la prorogation des délais arrivant à échéance pendant la période juridiquement protégée ne s’applique notamment pas au délai de rétractation de 15 jours calendaires dont disposent le salarié et l’employeur dans le cadre d’une rupture conventionnelle.

Exemple :

Une rupture conventionnelle est conclue le 4 juin 2020. Le délai de réflexion de 15 jours calendaires court du 5 juin suivant jusqu’au 19 juin 2020 à 00h. Le délai expire bien pendant la période juridiquement protégée, mais il n’est pas pour autant prorogé. Il n’est donc plus possible de revenir sur le principe ou les modalités de la rupture conventionnelle à compter du 20 juin 2020.

Le droit pénal du travail.

Par ailleurs, selon l’article 3 de l’ordonnance n°2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale :

« Les délais de prescription de l’action publique et de prescription de la peine sont suspendus à compter du 12 mars 2020 jusqu’au terme prévu à l’article 2 ».

Cet article 2 précise que ces dispositions sont applicables jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

L’état d’urgence sanitaire a cessé le 11 juillet 2020 (sauf en Guyane et à Mayotte).

Ainsi, la période du 12 mars au 11 août 2020 inclus n’est pas prise en compte dans le calcul des délais de prescription ayant commencé à courir avant ou pendant la période juridiquement protégée.

Ceux-ci recommenceront donc à courir en principe (sauf décret le modifiant) le 12 août 2020.

En outre, conformément à l’article 4 de l’ordonnance susvisée :

« Les délais fixés par les dispositions du Code de procédure pénale pour l’exercice d’une voie de recours sont doublés sans pouvoir être inférieurs à dix jours.

Les dispositions de l’alinéa qui précède sont sans effet sur le délai de quatre heures mentionné à l’article 148-1-1 du même code ».

Autrement dit, toute voie de recours (appel, pourvoi en cassation) dont le délai commencerait à courir le 11 août prochain au plus tard voit ce délai multiplié par deux (tout en étant au minimum de 10 jours).

L’exception à cette règle concerne le délai d’appel dont dispose le parquet à l’encontre d’une ordonnance de mise en liberté du juge des libertés et de la détention ou du juge de l’instruction rendue contrairement aux réquisitions.

Exemples :

Un (dernier) fait de harcèlement sexuel est commis le 2 juin 2019. Le délai de prescription de ce délit est de 6 ans à compter de ce dernier ou unique fait, soit jusqu’au 2 juin 2025. La période juridiquement protégée est incluse dans ce délai de prescription. Le délai de prescription est donc suspendu pendant la période juridiquement protégée. L’employeur ou le salarié pourra être valablement poursuivi jusqu’au 3 novembre 2025.

Un jugement du tribunal correctionnel en matière de travail dissimulé est notifié le 10 juillet 2020. Le délai d’appel est en principe de 10 jours, soit jusqu’au 20 juillet 2020. Il est né pendant la période juridiquement protégée. Le délai d’appel est donc doublé.

L’employeur pourra faire appel jusqu’au 30 juillet 2020 inclus.

Enfin, il convient de rappeler, qu’en application des dispositions des articles 642 du Code de procédure civile et 801 du Code de procédure pénale : tout délai expirant un samedi, un dimanche, ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant.

En résumé :

En droit du travail :
- Période juridiquement protégée : du 12 mars au 23 juin 2020 inclus,
- 24 juin 2020 : les délais de prescriptions et de recours qui auraient dû expirer pendant la période juridiquement protégée ont recommencé à courir :
- Soit pour la durée initiale de ce délai si celui-ci est inférieur à 2 mois,
- Soit pour une durée de 2 mois - jusqu’au 24 août 2020 inclus - si la durée initiale est de 2 mois ou plus.

En droit pénal du travail :
- Période juridiquement protégée : du 12 mars au 11 août 2020 inclus,
- Suspension de la prescription de l’action publique (poursuite pour une infraction) et de la prescription de la peine (en cas de condamnation) pendant la période juridiquement protégée,
- Doublement de la durée pour l’exercice d’une voie de recours dont le délai a commencé à courir pendant la période juridiquement protégée.

Noémie CAPERON, Avocat