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Attention à la proposition de la mairie de Paris aux loueurs illégaux Airbnb ! Par Lorène Derhy, Avocat.
Parution : mardi 28 juillet 2020
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Le 19 juillet 2020, l’adjoint à la Maire de Paris chargé du logement, Ian Brossat, a annoncé que la Ville de Paris souhaitait prochainement proposer un accord aux 300 propriétaires contre lesquels elle aurait engagé un contentieux pour avoir loué une résidence secondaire sur une plateforme de type Airbnb. Cet accord sera également proposé à l’égard de ceux qui se feront prochainement épinglés.

Ian Brossat a déclaré le 19 juillet 2020 dans le journal du dimanche que la Ville proposerait une levée des poursuites à l’encontre des propriétaires à condition qu’ils remettent leurs bien sur le marché locatif traditionnel avec un loyer 20% en dessous du prix plafond via un bail longue durée de trois ans.

Au soutien de son argumentation, il précise que « les propriétaires hors la loi risquent une amende de 50 000 euros, assortie d’une astreinte de 1 000 euros par jour tant que perdure l’infraction » sur le fondement de l’article L651-2 du Code de la construction et de l’habitation.

Outre que cette déclaration semble bien trop prématurée dès lors que nous sommes dans l’attente de la décision de la Cour Européenne qui doit intervenir le 22 septembre 2020 -laquelle doit se prononcer sur la validité de l’article L631-7 du CCH - , il convient de constater que la proposition de Ian Brossat suscite de nombreuses interrogations, que je vous fais part succinctement au travers de cet article.

1. Sachez, que vous n’êtes pas condamnés automatiquement à une amende de 50 000 euros !

Aux termes de sa déclaration, Ian Brossat semble s’abstenir volontairement de préciser que l’amende de 50 000 euros à laquelle peut être exposé un potentiel fraudeur à la réglementation de la location saisonnière, et notamment à la procédure de changement d’usage imposée par l’article L631-7 du CCH, constitue un plafond maximal et non-automatique, destiné uniquement aux cas les plus graves.

En effet, en analysant les décisions qui ont pu être rendues avant que le sursis à statuer ait été ordonné par la Cour de Cassation aux termes de son arrêt du 15 novembre 2018 dans l’attente de la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne - qui doit intervenir le 22 septembre 2020 -, l’amende maximum était réservée principalement à l’encontre des multipropriétaires, ou des propriétaires qui avaient continué leur activité en dépit de l’opération de contrôle qui avait pu être diligentée à leur encontre ou la signification d’une assignation à ce sujet.

Pour les propriétaires isolés, à savoir ceux qui ont mis au maximum deux biens en courte durée, l’étude de la jurisprudence démontre que les juges sont très sensibles au comportement du fraudeur pour fixer le montant de l’amende à son encontre.

Ainsi, les juges ont pu retenir bien souvent une amende avoisinant les 10 000 euros dès lors qu’ils constataient un faible enrichissement sans cause du contrevenant, sa coopération lors de l’opération de contrôle, la mise en vente de l’appartement litigieux ; la mise en location du bien litigieux au moyen d’un bail mobilité ou meublé classique ou encore la cessation de l’infraction à réception de la signification de l’assignation ou à l’issue de l’opération de contrôle diligentée par un agent de la ville.

Sur ce point, je vous invite à lire mon article pour connaître les critères retenus par les juges pour fixer le montant de l’amende à l’encontre des loueurs Airbnb illégaux.

2. Quel accord propose la ville de Paris ?

Aux termes de sa déclaration, Ian Brossat indique la Ville de Paris entend abandonner ses poursuites contre les fraudeurs au régime de la location meublée touristique s’ils s’engagent à remettre leurs bien sur le marché locatif traditionnel, via un bail longue durée de trois ans et 20% en dessous du prix plafond de l’encadrement des loyers. S’ils se refusent de le signer, les poursuites seront alors reprises.

3. Est-ce que le fraudeur a un intérêt à accepter un tel accord ?

La déclaration de Ian Brossat suscite de nombreuses interrogations, notamment sur le loyer de référence retenu par la ville (3.1.), sur la date de prise d’effet du protocole (3.2.), mais également sur la date à laquelle sera proposée un tel accord (3.3).

3.1. Sur le loyer de référence retenu par la ville.

Depuis le 1er juillet 2019, l’encadrement des loyers a fait son retour à Paris. Les bailleurs sont désormais soumis à des règles strictes pour fixer leurs loyers d’habitation, sauf dans des cas limitativement énumérés.

Il s’agit dès lors de savoir à quel plafond de l’encadrement des loyers la Ville de Paris fait référence ? Le loyer de référence minoré ? médian ? majoré ?

Sachant que la loi prévoit une possibilité de dépasser la limite de 20% à condition d’appliquer un complément de loyer selon les caractéristiques exceptionnelles du logement, est-ce que la ville de Paris offre une marge de négociation selon les caractéristiques du bien, son emplacement et les prestations qu’il offre au contrevenant présumé ?

3.2. Sur la date de prise d’effet du protocole.

En ce qui concerne la date de prise d’effet du protocole, se pose la question de savoir si la date de signature doit coïncider obligatoirement avec sa date de prise d’effet ou celle-ci peut être reportée à une date ultérieure ?

C’est un point qui mérite d’être relevé. En effet, suite à l’opération de contrôle ou de la réception d’une assignation, un grand nombre de propriétaires ont décidé de cesser l’infraction pour privilégier la location meublée classique d’un an ou le bail mobilité. Si la Ville propose un tel accord, alors même qu’un locataire occupe les lieux, se pose la question de savoir si le potentiel fraudeur est éligible à signer l’accord transactionnel ?

Dans l’affirmative, pourra-t-il reporter les effets du Protocole lors de la signature du prochain bail ou à la date d’anniversaire du bail ? Ou conviendra de lui faire signer un avenant prévoyant un loyer minoré qui devra être d’application immédiate ?

Concernant ceux qui ont été contraint de vendre l’appartement litigieux ou ont décidé d’y habiter, la Ville de Paris a-t-elle prévu de conclure un accord intermédiaire avec ceux dès lors qu’ils auraient manifestement cessé l’infraction ?

3.3. A quel moment cet accord sera proposé ?

Est-ce que cet accord sera proposé à l’issue de l’opération de contrôle diligentée par l’agent de la Ville, avant l’assignation/après celle-ci ? Une fois que le jugement sera rendu ? Le fraudeur présumé aura accès aux pièces qui seront dressées à son encontre et notamment au constat d’huissier ?

4. Quid des inconvénients d’une telle proposition ?

En acceptant une telle proposition, il existe des inconvénients majeurs.
Il est nettement plus contraignant de mettre fin à un bail classique dès lors que les seules options pour le bailleur sont celles de donner congé pour vente ou pour reprise, ou motif grave.

Egalement, il ne faut pas écarter le risque de ne plus pouvoir supporter le crédit immobilier en raison de la faible rentabilité locative qui en découlera et donc de se retrouver contraint à vendre l’appartement litigieux.

La fiscalité ayant trait aux loueurs meublés non professionnels est nettement plus intéressante.

Enfin, le bailleur peut se retrouver contraint d’être confronté à la trêve hivernale en cas de procédure d’expulsion avec des loyers impayés qu’il peut ne jamais recouvrer.

5. Le formulaire H2 : un outil redoutable pour rejeter en justice les assignations de la ville de Paris.

Par un arrêt en date du 28 mai 2020 n°18-26.366, la Cour de cassation a une nouvelle marqué un véritable coup dur pour la ville de Paris, dès lors qu’elle a rejeté le pourvoi en cassation qu’elle avait formé à l’encontre d’un fraudeur Airbnb au motif qu’elle n’aurait pas rapporté la preuve que le bien litigieux était à usage d’habitation au 1er janvier 1970.

Par cet arrêt, la Haute cour confirme que c’est à la ville de Paris de rapporter la preuve que le local litigieux était affecté à usage d’habitation au 1er janvier 1970. Toute pièce postérieure à cette date attestant de l’usage d’habitation du bien litigieux est inopérante, sauf s’il s’agit d’une autorisation d’urbanisme attestant de son usage.

En pratique, lorsque la ville de Paris assigne un potentiel fraudeur Airbnb, elle tente de rapporter la preuve de l’affectation à usage d’habitation de l’appartement litigieux au moyen d’un document appelé « Formulaire H2 ». Celui-ci doit être impérativement clair, lisible, daté et signé au 1er janvier 1970. A défaut, les juges rejette désormais cette pièce maîtresse et donc déboute la Ville de Paris de son action.

Par conséquent, avant de croire que le protocole proposé par la ville de Paris est un cadeau offert aux propriétaires, l’assistance d’un avocat spécialisé en location meublée touristique est indispensable pour estimer vos chances de succès.

En effet, l’opportunité de signer un tel protocole doit s’apprécier au cas par cas. Aller en justice peut être souvent plus bénéfique dès lors que vous disposez de nombreux moyens pour faire valoir votre défense.

Lorène Derhy, Avocat spécialisé en location touristique www.derhy-avocat.com