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Tableau de Pissaro spolié : la Cour de Cassation valide définitivement sa restitution à l’héritier du collectionneur. Par Béatrice Cohen, Avocat.
Parution : vendredi 24 juillet 2020
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Dans un arrêt en date du 1er juillet 2020, la première chambre civile de la Cour de Cassation met un terme à une saga judiciaire qui aura duré plus de trois ans et qui opposait le petit fils d’un collectionneur juif spolié pendant la guerre aux acquéreurs du tableau litigieux.

Cet article s’inscrit dans le prolongement d’un précédent article consacré aux œuvres d’art spoliées pendant la seconds guerre mondiale et intitulé Œuvres d’art spoliées : comment en obtenir la restitution ? Par Béatrice Cohen, Avocat. et s’intéresse plus particulièrement à la notion d’« acquéreur de bonne foi ».

Dans cette affaire, pour rappel, c’est lors de l’exposition « Pissaro, le premier des impressionnistes » au musée Marmottan en janvier 2017, que Jean-Jacques Bauer, petit fils du collectionneur Simon Bauer, retrouve la trace de « La cueillette des pois », peint par Pissaro en 1887.

Simon Baueur possédait plus d’une centaine de toiles impressionnistes. Sa collection avait été saisie le 1er octobre 1943 par Jean-François Lefranc, marchand de tableaux, désigné administrateur et séquestre de la collection Bauer par le commissaire aux questions juives.

Certains tableaux ont été vendus par Jean-François Lefranc, notamment « La cueillette des pois ». Simon Bauer obtint à l’issue de la guerre une ordonnance du président du Tribunal de la Seine constatant la nullité des ventes frauduleuses effectuées par Lefranc et ordonnant la restitution immédiate des toiles.

Ayant été revendu, « La cueillette des pois  » n’avait pas pu être restitué à Simon Bauer, décédé en 1947.

C’est en 1965 que Jean-Jacques Bauer retrouve la trace de ce tableau qui doit être vendu à une galerie new-yorkaise. Bien que figurant au registre des biens spoliés pendant la seconde guerre mondiale, la toile est vendue et disparaît.

Elle réapparaît au Musée Marmottan en 2017, prêtée par les époux Toll, collectionneurs américains qui avaient acquis cette toile chez Christie’s à New York en 1995.

Jean-Jacques Bauer obtient que cette toile soit placée sous séquestre, dans les caves du Musée d’Orsay.

Commence alors un long périple judiciaire.

Dans un jugement en date du 7 novembre 2017, le Tribunal de Grande Instance de Paris a reconnu les droits des descendants de Simon Bauer et ordonnée la restitution de la toile à la famille Bauer.

Ce jugement est confirmé par la Cour d’appel dans un arrêt en date du 2 octobre 2018.

Les époux Toll, acquéreurs de bonne foi, forment un pourvoi en cassation et déposent une Question prioritaire de Constitutionnalité (QPC) soutenant que l’Ordonnance du 21 avril 1945 serait contraire aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen en ce qu’elle portait atteinte au droit de propriété et qu’elle instituait une présomption à caractère irréfragable de mauvaise foi, sans condition de délai, à l’encontre du tiers acquéreur.

La Cour de cassation, dans un arrêt en date du 11 septembre 2019, a rejeté cette QPC, au motif qu’elle serait dénuée de sérieux.

Dans l’arrêt qui vient d’être rendu, la Cour de Cassation tranche définitivement la question d’« acquéreur de bonne foi » en affirmant.

« L’ordonnance n°45-770 du 21 avril 1945 assure la protection du droit de propriété des personnes victimes de spoliation, de sorte que, dans le cas où une spoliation est intervenue et où la nullité de la confiscation a été irrévocablement constatée et la restitution d’un bien confisqué ordonnée, les acquéreurs ultérieurs de ce bien, même de bonne foi, ne peuvent prétendre en être devenus légalement propriétaires. Ils disposent de recours contre leur auteur, de sorte que les dispositions de l’ordonnance précitée, instaurée pour protéger le droit de propriété des propriétaires légitimes, ne portent pas atteinte au droit des sous acquéreurs à une procédure juste et équitable ».

Cette décision semble conforme à l’esprit de l’Ordonnance de 1945 et aux objectifs définis par les alliés dans leur déclaration de 1943, qui avait conduit le législateur à adopter cette législation exceptionnelle à l’issue de la guerre afin de faciliter la restitution des œuvres aux victimes des mesures de spoliation, et ce en quelques mains qu’elles se trouvaient, quand bien même les sous-acquéreurs étaient de bonne foi.

Les acquéreurs d’œuvres d’art ne peuvent donc plus exciper de leur bonne foi pour faire échec aux demandes de restitution des œuvres par les légitimes propriétaires d’œuvres d’art spoliées.

Les époux Toll, qui ne peuvent plus agir en responsabilité contre Christie’s pour cause de prescription de leur action, semblent déterminés à aller plus loin. Ils envisageant de poursuivre la France devant la Cour européenne des droits de l’homme pour violation du droit de propriété et des droits de la défense et obtenir réparation de leur préjudice qu’ils évaluent à 1,7 million de dollars.

Il est vivement recommandé aux collectionneurs d’être particulièrement vigilant avant l’acquisition d’une œuvre et de vérifier que l’œuvre ne figure pas dans le registre des biens spoliés pendant la guerre.

Maître Béatrice COHEN www.bbcavocats.com
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