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La levée du secret médical en cas de violences conjugales ou d’emprise. Par Myriam Abdallaoui, Juriste.
Parution : samedi 25 juillet 2020
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Le Parlement a adopté une proposition de loi visant à mieux protéger les « victimes de violences conjugales ». Ces nouvelles dispositions vont permettre aux médecins de déroger au secret médical en cas de « danger immédiat ».
Perçus par certains comme une avancée, ces nouvelles dispositions risquent au contraire, de verrouiller la parole des victimes sur le long terme.

Le secret médical est un droit du patient et un devoir du médecin.

Le secret médical consiste pour le médecin à garder le secret sur les informations que lui révèle son patient. Le secret médical est un principe fondateur, au cœur de la confiance qui lie le médecin et son patient.

Néanmoins, le secret médical, qui est un droit fondamental pour les patients, vient d’être mis à mal avec les nouvelles dispositions qui ont été définitivement adoptées par le Parlement.

A titre liminaire, il convient de rappeler que des dérogations au secret médical étaient déjà prévues dans le Code pénal concernant les mineurs et les personnes vulnérables.

En outre, l’article 226-14 du Code pénal autorise les médecins, avec l’accord de la victime, à dénoncer les sévices ou privations qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Le projet de loi vise ainsi à introduire une nouvelle exception à cet article en prenant en compte la situation des femmes victimes de violences conjugales ou sous emprise.

Les nouvelles mesures vont autoriser, sous certaines conditions, les professionnels de santé à porter à la connaissance du procureur de la République des informations relatives à des violences exercées au sein du couple à deux conditions cumulatives :
- si le professionnel de santé a l’intime conviction que la victime est en danger immédiat ;
- et que la victime se trouve sous l’emprise de l’auteur des violences.

Ainsi, si les deux conditions se trouvent réunies, le professionnel de santé pourra procéder à un signalement auprès du procureur de la république nonobstant l’accord de la victime.

L’objectif de cette loi étant de protéger les victimes de violence conjugales et garantir leur sécurité.

Cette proposition de loi déposée par les députés LREM Bérangère Couillard et Guillaume Gouffier-Cha s’inscrit dans la lutte contre les violences conjugales, qui ont fait au moins 144 victimes au cours de l’année 2019.

Mais ces mesures qui avaient pour ambition de protéger les femmes victimes de violences conjugales risquent au contraire de leur porter préjudice.

Il convient de s’interroger sur les conséquences de ces nouvelles dispositions au regard de la lutte contre les violences conjugales.

Ces nouvelles mesures risquent, dans un premier temps, de rompre le lien de confiance existant entre les médecins et leurs patients, victimes de violence conjugales. Le médecin étant souvent le seul interlocuteur de ces victimes, cette disposition va renforcer l’isolement de toutes ces victimes. Si les victimes de violences conjugales ne trouvent pas d’interlocuteurs en qui elles ont confiance, elles seront ainsi désarmées.

Comme l’écrivait Emile Garçon à la fin du siècle dernier dans son commentaire de l’article 378 du Code pénal :

« Le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur un défenseur, le catholique un confesseur, mais ni le médecin, ni l’avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n’étaient assurées d’un secret inviolable.
Il importe donc à l’ordre social que ces confidents nécessaires soient astreints à la discrétion et que le silence leur soit imposé sans condition ni réserve, car personne n’oserait plus s’adresser à eux si l’on pouvait craindre la divulgation du secret confié
 ».

Il faut rassurer les victimes quant à la confidentialité des échanges qu’elles auront avec leur médecin afin d’instaurer une relation de proximité. Les victimes n’accorderont leur confiance en leur médecin que si elles ont la certitude de la confidentialité des révélations. Il n’est donc pas certain que les victimes se précipiteront chez leur médecin au vu de ces nouvelles dérogations.

En sus de rompre le lien de confiance existant entre un médecin et son patient, cette loi va permettre aux médecins d’avertir les autorités compétentes contre le gré des victimes alors que l’objectif étant d’encourager les victimes à dénoncer d’elles même ces actes de violence et non les y contraindre. On ne peut pas voler la parole des femmes subissant des actes de violences sans tenir compte de leur consentement.

En conclusion, ces nouvelles mesures tendant à la lutte contre les violences conjugales risquent de ne pas rencontrer l’effet escompté.

Myriam Abdallaoui, Juriste