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Harcèlement sexuel et moral : office du juge devant le conseil de prud’hommes et en appel. Par Frédéric Chhum, Avocat et Annaelle Zerbib, Juriste.
Parution : mardi 4 août 2020
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Dans un arrêt du 8 juillet 2020 (n°18-23410), la Cour de cassation affirme que le rôle du juge dans la preuve du harcèlement sexuel est le même que pour le harcèlement moral.

La Cour de cassation rappelle que la Cour d’appel doit prendre en considération tous les éléments présentés par la salariée, pris dans leur ensemble, pour établir l’existence du harcèlement sexuel, à l’instar du harcèlement moral.

Ainsi, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement sexuel, la Cour de cassation affirme qu’il « appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement ».

La Haute juridiction ajoute que « dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».

Enfin, elle conclut que « sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement ».

1) Les faits.

Madame Y a été engagée le 3 janvier 2012 par la société Alutil en qualité d’opératrice de saisie-accueil.

Monsieur X a été engagé le 1er avril 2008 par la société B’Plast en qualité d’ouvrier de production.

Par avenant du 1er juillet 2013 conclu avec la société Alutil venant aux droits de la société B’Plast, il a été engagé en qualité de chef d’atelier.

Madame Y et Monsieur X ont été licenciés pour faute grave par lettres du 14 mars 2014.

Les deux salariés saisissent la juridiction prud’homale, Madame Y soutenant avoir été victime de harcèlement sexuel et Monsieur X avoir été licencié pour avoir relaté le harcèlement sexuel subi par celle-ci.

La Cour d’appel de Caen, dans un arrêt du 2 août 2018, déboute les deux salariés de leurs demandes.

2) L’arrêt de la Cour de cassation du 8 juillet 2020 (n°18-23410).

2.1) L’obligation du juge de prendre en compte l’ensemble des éléments invoqués par le salarié s’estimant victime de harcèlement sexuel.

La salariée faisait grief à la Cour d’appel de Caen d’avoir dit qu’elle n’avait pas subi de harcèlement sexuel alors qu’elle avait fait état de ce que son supérieur hiérarchique avait « lors de l’entretien préalable reconnu l’avoir séduite et de la sanction disciplinaire notifiée à celui-ci pour comportement inapproprié ».

Madame Y considère ainsi qu’en « se refusant à examiner ces éléments de fait, comme elle y était pourtant invitée, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L1153-1 et L1154-1 du Code du travail ».

Aux visas des articles L1153-1 et L1154-1 du Code du travail, la Cour de cassation, dans l’arrêt du 8 juillet 2020 (n°18-23410), donne gain de cause à la salariée.

En effet, la chambre sociale rappelle qu’il résulte de ces textes que « pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement sexuel, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement ».

Ensuite, « dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».

La Cour de cassation affirme ensuite que « sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement ».

En l’espèce, la Haute juridiction relève que « pour dire que la salariée n’a pas subi de harcèlement sexuel et la débouter de ses demandes à titre de dommages-intérêts pour harcèlement sexuel et au titre de la nullité du licenciement et des indemnités afférentes, l’arrêt retient que les éléments présentés par l’intéressée, considérés dans leur ensemble, s’ils constituent un comportement inadapté sur le lieu de travail, ne laissent pas présumer l’existence d’un harcèlement sexuel ».

Les juges de cassation cassent l’arrêt de la Cour d’appel de Caen aux motifs qu’en « se déterminant ainsi, alors que la salariée soutenait que son supérieur hiérarchique avait reconnu avoir été entreprenant à son égard et que l’employeur avait sanctionné ce dernier par un avertissement pour comportement inapproprié vis-à-vis de sa subordonnée, la Cour d’appel, qui n’a pas pris en considération tous les éléments présentés par la salariée, n’a pas donné de base légale à sa décision ».

2.2) L’obligation du juge de répondre aux conclusions du salarié.

Au visa de l’article 455 du Code de procédure civile, la Cour de cassation rappelle que tout jugement doit être motivé.

Les juges de cassation affirment que pour dire le licenciement du salarié fondé sur une faute grave, l’arrêt retient qu’il n’est pas contesté que Madame Y a demandé à Monsieur X de lui confectionner deux garde-corps à l’aide de matériaux appartenant à l’entreprise.

Selon la Cour d’appel, il ressort des attestations produites que les salariés désireux de faire usage personnel des rebuts de l’entreprise sollicitaient l’autorisation de leur supérieur hiérarchique.

La Haute juridiction relève que les juges d’appel ont retenu que Monsieur X n’établit pas avoir sollicité ni obtenu oralement du supérieur hiérarchique de Madame Y une telle autorisation, que l’attitude du salarié ayant subtilisé le matériel de l’entreprise ne permettait pas le maintien de son contrat de travail.

Ainsi, selon la Cour de cassation, en statuant ainsi, « sans répondre aux conclusions du salarié qui soutenait que son licenciement constituait une mesure de représailles prononcé en réaction au refus opposé par [Madame Y] aux avances de son supérieur hiérarchique et au soutien apporté par [Monsieur X] à l’intéressé, la Cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ».

En conséquence, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Caen.

3) Analyse.

3.1) L’aménagement de la charge de la preuve en matière de harcèlement sexuel et moral.

L’article L1154-1 du Code du travail pose un aménagement de la charge de la preuve dans le cas d’un litige relatif à du harcèlement.

A ce titre, le salarié s’estimant victime de tels agissements de harcèlement moral ou sexuel « présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ».

Par la suite, « il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».

Enfin, « le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ».

De nombreux arrêts ont déjà précisé le contour de l’aménagement de la charge de la preuve en matière de harcèlement sexuel [1].

L’article L1154-1 du Code du travail précise que cet aménagement est mis en place pour « l’application des articles L1152-1 à L1152-3 » (sur le harcèlement moral) « et L1153-1 à L. 1153-4 » (harcèlement sexuel).

Ainsi, l’aménagement étant le même pour les situations de harcèlement moral et de harcèlement sexuel, la Cour de cassation a considéré au même titre que le contrôle du juge était identique.

3.2) L’obligation du juge de prise en compte de l’ensemble des éléments invoqués par le salarié s’estimant victime.

La Cour de cassation dans l’arrêt du 8 juillet 2020 (n°18-23410) rappelle que les juges du fond doivent prendre en considération l’ensemble des éléments présentés par le salarié à l’appui de ses demandes liées au harcèlement sexuel.

De ce fait, comme pour le harcèlement moral, le juge doit examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié s’estimant victime de harcèlement sexuel.

Le juge doit ensuite apprécier tous les éléments présentés par le salarié, sans pouvoir en écarter aucun, ni les apprécier séparément.

Les faits doivent ainsi être pris dans leur ensemble en ce que chacun des éléments, s’il ne constitue pas à lui seul une preuve, peut établir le harcèlement s’ils sont pris ensemble.

En l’espèce, alors même que le supérieur hiérarchique avait reconnu avoir été entreprenant avec la salariée et que l’employeur l’avait sanctionné à ce titre pour comportement inapproprié, la Cour d’appel de Caen avait considéré que la salariée n’avait pas subi de harcèlement sexuel, sans prendre en considération tous les éléments présentés par la salariée.

Cette approche avait déjà été censurée pour un cas de harcèlement moral dans un arrêt de la Cour de cassation du 24 septembre 2008 (n°06-45579) dans lequel la Cour d’appel, pour se déterminer, n’avait tenu compte que des certificats médicaux en délaissant les autres faits avancés par la plaignante (https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000019535904&fastReqId=1933474640).

3.3) L’obligation de réponse du juge aux conclusions du salarié.

La Cour de cassation a également censuré l’arrêt de la Cour d’appel du fait que celle-ci n’a pas répondu aux conclusions du salarié qui soutenait que son licenciement constituait une mesure de représailles de la dénonciation du harcèlement sexuel subi par la salariée.

Pour autant, la Cour d’appel avait considéré que le licenciement pour faute grave était constitué du fait de la subtilisation du matériel de l’entreprise.

Or, la Cour de cassation affirme ici que même si le fait évoqué dans la lettre de licenciement du salarié était constitué, il fallait rechercher si le motif véritable du licenciement n’était pas une réaction au soutien du salarié envers la salariée s’estimant victime de harcèlement sexuel, comme ceux-ci le demandait dans leurs conclusions.

Source :
- Cass. soc., 8 juil. 2020, n° 18-23410

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum
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