Village de la Justice www.village-justice.com

Déchéance du terme, obligation de mise en garde et moyens de contestation contre la banque. Par Laurent Latapie, Avocat.
Parution : lundi 17 août 2020
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/decheance-terme-obligation-mise-garde-moyens-contestation-contre-banque,36306.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Quels sont les moyens de contestation que l’on peut opposer à la banque qui vous poursuit en paiement ? entre validité de la déchéance du terme, contestation des intérêts du prêt et responsabilité de la banque au titre de son obligation de mise en garde, les moyens sont nombreux. Pourtant cette jurisprudence rappelle que ces moyens ne sont pas acquis de droit, à charge pour l’emprunteur de faire preuve de pugnacité.

Il convient de s’intéresser à une décision qui a été rendue par la Cour d’Appel de Bastia qui vient aborder la problématique du choix des bons axes de défense du consommateur et emprunteur contre la banque.

Surtout lorsque ces derniers axes de défense ne fonctionnent pas.

Cette jurisprudence amène justement à prendre conscience des obstacles auxquels le débiteur peut se heurter, ce dernier devant justement anticiper non seulement la résistance de la banque qui va combattre cette argumentation, mais également et surtout, la confiance naturelle que peut porter la juridiction saisie à l’encontre de l’établissement bancaire, qui semble etre naturellement comprise par les juges du fond.

Dans cette affaire, suivant un acte sous seing privé en date du 12 juin 2009, la banque avait consenti à Monsieur C et à son épouse, un prêt d’un montant en principal de 235 000 euros destiné à l’acquisition d’un appartement, au taux d’intérêt de 4,35 % remboursable en 240 mensualités de 1 467,77 euros, hors assurance.

Après une première mise en demeure de régularisation des échéances impayées en date du 31 juillet 2015 demeurée infructueuse, et une nouvelle mise en demeure valant déchéance du terme en date du 7 juin 2016, sans régularisation, laquelle intervenait par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 juillet 2016, la banque a alors saisi le Tribunal de Grande Instance afin de voir Monsieur et Madame C condamnés en paiement.

Un jugement est alors rendu.

En effet, par jugement en date du 5 avril 2018, le Tribunal avait :

Déclaré irrecevable car prescrite la demande de dommages et intérêts formée par les époux C au titre de l’obligation de mise en garde par la banque,

Dit que la clause de déchéance du terme du contrat de crédit immobilier du 12 juin 2009 n’est pas abusive,

Rejeté la demande de déchéance de la stipulation du droit aux intérêts formée par les époux C,

Condamné solidairement les époux C au paiement des sommes de :
- 184 434,93 euros au titre du capital restant dû, avec intérêts au taux nominal de 4,35 %,
- 7 864, 78 euros au titre des intérêts échus mais non payés, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 7 juin 2016,
- 12 910,45 euros au titre de l’indemnité de 7%, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
- Rejeté les demandes des époux C.

Dit n’y avoir lieu à indemnité en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamné solidairement les époux C au paiement des dépens,

Ordonné l’exécution provisoire du présent jugement.

Les époux C ont relevé appel de l’ensemble des chefs de la décision sauf en ce qu’elle a déclaré irrecevable leur demande de dommages et intérêts au titre de l’obligation de mise en garde pesant sur la banque.

Ils ont soulevé devant la Cour d’Appel l’ensemble des arguments de première instance visant à contester les prétentions de la banque.

Malheureusement la Cour d’Appel vient sanctionner les époux C.

Elle souligne que sur le caractère abusif de la clause d’exigibilité anticipée du crédit, les appelants ont soutenu que la rédaction en termes généraux de la clause contractuelle de déchéance du terme prévoyant l’exigibilité anticipée des sommes exigées qui laisse selon eux une marge discrétionnaire à la banque dans sa mise en œuvre lui confère un caractère abusif.

L’approche était pertinente, la jurisprudence est quand même présente en la matière.

Pourtant il convient d’y regarder de plus près.

Dans cette affaire, si la banque a cru bon adresser une mise en demeure en juillet 2015, ce n’est qu’en juin 2016 qu’elle a prononcé la déchéance du terme ce qui n’a pas été relevé par les juges.

La Cour d’Appel précise que la clause contractuelle qui prévoit effectivement que « le remboursement du prêt pourra être exigé immédiatement et en totalité en cas de survenance de l’un ou l’autre des événements ci-après en cas de non-paiement des sommes exigibles » ne sanctionne que le non-respect de l’obligation principale du contrat de prêt, c’est à dire le remboursement des échéances, conformément au mécanisme de la condition résolutoire, sans créer aucun déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment des époux C, ni n’entraîne une quelconque modification majeure de l’économie du contrat.

Pour la Cour d’appel, ce moyen soulevé n’étant pas sérieux, le jugement qui l’a justement rejeté, sera confirmé sur ce point.

La question qui se pose est de savoir si tout a été correctement soulevé en défense par l’emprunteur dans cette affaire.

En effet, il aurait été à mon sens judicieux pour les époux C de soulever l’idée que la mise en demeure de juillet 2015 ne pouvait être la base initiale de la déchéance du terme prononcée en juin 2016, soit 11 mois plus tard.

Ceci d’autant qu’il y a dû y avoir des évènements pendant cette période qui ont justifié le fait que la banque ne prononce pas la déchéance du terme.

Il aurait été à mon sens pertinent de soulever le fait que la banque aurait dû adresser une nouvelle mise en demeure au titre des échéances impayées avant de prononcer la déchéance du terme.

Ceci est d’autant plus vrai que les époux C ont tenté de contester la validité de la notification de la déchéance du terme.

Pour autant, la Cour d’Appel précise qu’en retenant, à partir de l’examen de l’ensemble des pièces produites se rapportant au prêt consenti le 12 juin 2009 aux époux C, qu’à la suite d’incidents de paiement, non discutés, la banque a justifié d’une première mise en demeure du 31 juillet 2015 de régulariser sous huit jours, demeurée cependant infructueuse, suivie d’une seconde en date du 7 juin 2016 adressée aux deux époux, de régler les échéances impayées dues dans un délai de 10 jours, leur rappelant qu’aux termes du contrat, la déchéance du terme sera appliquée, sans autre avis, rendant immédiatement exigible les engagements en principal, frais et accessoires.

Pour la Cour d’appel, c’est par une exacte appréciation des circonstances de la cause à nouveau débattues en cause d’appel que le premier juge a retenu que la déchéance du terme était régulièrement intervenue le 20 juin 2016, et l’exigibilité anticipée du prêt régulièrement acquise.

Elle considère que contrairement à ce que ne peuvent pas sérieusement soutenir les appelants, le courrier en date du 4 juillet 2016 qui leur a été adressé en commun et dont l’un des époux a accusé réception a visé uniquement à les informer que la déchéance du terme avait été prononcée, et non pas à la leur notifier.

Elle considère dès lors qu’il convient de confirmer le jugement qui a débouté les époux C de leur demande de mise en place d’un nouvel échéancier.

Pour autant, cette jurisprudence est contestable et il appartenait aux époux C de mettre en avant le fait que 11 mois entre les deux correspondances étaient insuffisants pour justifier l’applicabilité de la déchéance du terme.

Je pense que ce point aurait dû être revu et il est regrettable que la Cour d’Appel dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation n’ait pas pris soin de le développer.

Les époux C venaient également contester la déchéance du droit aux intérêts.

Ils soutenaient, au visa des articles L341-27 et L34 1 -34 du Code de la Consommation alors applicable, qu’en n’ayant pas pu bénéficier du tableau d’amortissement postérieurement à la remise des fonds, ils n’avaient pas pu avoir connaissance du paiement effectif des échéances dont ils s’étaient acquittés.

Il convient de rappeler à cet égard, les dispositions de l’article L312-8 du Code de la Consommation qui précise :

« L’offre définie à l’article précédent :
1° Mentionne l’identité des parties, et éventuellement des cautions déclarées ;
2° Précise la nature, l’objet, les modalités du prêt, notamment celles qui sont relatives aux dates et conditions de mise à disposition des fonds ;
2° bis Pour les offres de prêts dont le taux d’intérêt est fixe, comprend un échéancier des amortissements détaillant pour chaque échéance la répartition du remboursement entre le capital et les intérêts ;
2° ter Pour les offres de prêts dont le taux d’intérêt est variable, est accompagnée d’une notice présentant les conditions et modalités de variation du taux d’intérêt et d’un document d’information contenant une simulation de l’impact d’une variation de ce taux sur les mensualités, la durée du prêt et le coût total du crédit. Cette simulation ne constitue pas un engagement du prêteur à l’égard de l’emprunteur quant à l’évolution effective des taux d’intérêt pendant le prêt et à son impact sur les mensualités, la durée du prêt et le coût total du crédit. Le document d’information mentionne le caractère indicatif de la simulation et l’absence de responsabilité du prêteur quant à l’évolution effective des taux d’intérêt pendant le prêt et à son impact sur les mensualités, la durée du prêt et le coût total du crédit ;
3° Indique, outre le montant du crédit susceptible d’être consenti, et, le cas échéant, celui de ses fractions périodiquement disponibles, son coût total, son taux défini conformément à l’article L313-1 ainsi que, s’il y a lieu, les modalités de l’indexation ;
4° Enonce, en donnant une évaluation de leur coût, les stipulations, les assurances et les sûretés réelles ou personnelles exigées, qui conditionnent la conclusion du prêt ;
4° bis Sauf si le prêteur exerce, dans les conditions fixées par l’article L312-9, son droit d’exiger l’adhésion à un contrat d’assurance collective qu’il a souscrit, mentionne que l’emprunteur peut souscrire auprès de l’assureur de son choix une assurance équivalente à celle proposée par le prêteur ;
5° Fait état des conditions requises pour un transfert éventuel du prêt à une tierce personne ;
6° Rappelle les dispositions de l’article L312-10.
Toute modification des conditions d’obtention d’un prêt dont le taux d’intérêt est fixe, notamment le montant ou le taux du crédit, donne lieu à la remise à l’emprunteur d’une nouvelle offre préalable.
 »

Comme le précise la Cour d’Appel, il résulte des énonciations mêmes de l’offre, non contestées par l’appelant, que l’offre de prêt acceptée le 12 juin 2009 porte les mentions relatives au taux effectif global de 4,683 %, avec la prise en compte dans son calcul, du montant de l’assurance décès obligatoire de 3 995 euros, des montants du coût total de l’assurance de 11 221,25 euros et de celui du crédit de 131 449,15 euros, ainsi que le montant de l’échéance, hors assurance, de 1 467,77 euros, dont les parts en capital et en intérêts sont précisées pour chaque période clans le tableau d’amortissement annexé à l’offre de prêt, paraphée par les époux C, lesquels ont déclaré l’avoir reçu avec l’offre ainsi que la notice d’assurance proposée par le prêteur.

Là encore il est regrettable que les époux C n’aient pas cru bon contester la validité du TEG en imaginant procéder à une analyse actuarielle visant à démontrer que ce dernier était erroné.

Enfin, sur l’obligation de mise en garde du prêteur, la Cour d’Appel indique que l’action en responsabilité pour manquement de la banque à ses obligations d’information, et de mise en garde est soumise à la prescription quinquennale telle que modifiée par la loi du 17 juin 2008.

Le délai court à compter de la réalisation du dommage, constitué par la perte de chance de ne pas contracter, qui se manifeste lors la conclusion du contrat de prêt sauf si l’emprunteur établit qu’il a pu légitimement l’ignorer jusqu’au jour où le dommage s’est révélé à l’emprunteur comme soutenu par les époux C.

En l’occurrence, lors de la signature du contrat de prêt, les époux C connaissaient leurs revenus et charges de remboursement qu’allait entrainer l’emprunt, et d’ailleurs s’en sont acquittés régulièrement et sans difficultés pendant près de six ans, de sorte que le dommage allégué s’est manifesté au jour de la conclusion du contrat, sans qu’ils ne démontrent qu’ils pouvaient, à cette date, légitimement ignorer ce dommage.

Il s’ensuit que la prescription de leur action en responsabilité ayant été acquise le 13 juin 2014, le jugement qui les a déboutés de leur demande sera confirmé.

Il convient de rappeler au débiteur que le manquement à l’obligation de conseil et de mise en garde doit être soulevé dans un délai de 5 ans et qu’il est important au moment de la conclusion du contrat de faire un point précis de ses revenus et charges.

Cette jurisprudence est également intéressante sur la demande de remboursement du prêt.

La Cour d’appel souligne que la banque ne fournit un historique de compte complet permettant de procéder à une vérification du calcul des sommes exigées, et le décompte qu’elle produit à la suite de la déchéance du terme fait uniquement apparaitre en les prenant en compte des versements des époux C à hauteur de 21 359,29 euros.

Ceci est à mon sens parfaitement scandaleux car non seulement la banque ne donne pas les informations de rigueur mais la Cour d’Appel s’en passe pour prendre sa décision.

On peut s’interroger sur la partialité de la Cour qui donne raison à la banque alors que les époux C ont fait des efforts de règlements.

La Cour souligne qu’elle est amenée à rendre une décision en l’absence même de décompte de la banque qui vient solliciter la condamnation des époux C et qui a la charge de la preuve de la somme qu’elle réclame,

Il appartenait donc à la Cour d’Appel de rejeter les prétentions de la banque si celle-ci ne fournissait pas les éléments de rigueur.

Par ailleurs la Cour d’Appel souligne qu’en l’état des pièces produites, c’est à juste titre que le premier juge a retenu à partir de la date de défaillance non contestée de juin 2015, que :
- le capital restant dû, selon le tableau d’amortissement annexé au contrat de prêt s’élevait à la somme de 184 434,93 euros,
- les intérêts échus non payés entre la défaillance de juin 2015 et la déchéance du terme s’élevait à la somme de 7 864,78 euros,
- l’indemnité de 7% du capital restant dû s’élevait à la somme de 12 910,45 euros, somme qu’il y a lieu de ramener à de plus justes proportion en la réduisant à 1 euro.

Cependant, ce point mérite d’être relevé.

Si la Cour d’Appel considère que compte tenu de la reconnaissance par la banque des versements effectués par les époux C en juillet et août 2016 pour un montant de 21 359,29 euros, il y a lieu d’imputer cette somme sur le montant du capital restant dû conformément à leur demande, soit pour ce poste un solde de 163 075,64 euros.

Le jugement est par conséquent infirmé sur ce point.

Il est quand même regrettable de constater que c’est la Cour d’Appel qui va procéder aux calculs qu’il appartient à la banque de faire.

Le seul point positif est, qu’in fine, la Cour d’Appel a décidé d’impacter la somme de 21 358,29 euros sur le capital alors que la banque avait en priorité ce paiement sur les intérêts.

Cette jurisprudence est intéressante car elle rappelle au débiteur que ce dernier est tenu à une argumentation en défense pugnace, tant la lecture de certaines décisions de justice laisse à penser que les juges, pourtant impartiaux, optent pour une présomption de droits acquis évidents au profit de l’établissement bancaire.

Fort heureusement, les moyens de contestation demeurent nombreux, et fort heureusement bon nombre de jurisprudence consacrent aussi les droits des emprunteurs face à l’établissement bancaire.

Laurent Latapie, Avocat à Fréjus et Saint-Raphaël, Docteur en Droit, Barreau de Draguignan www.laurent-latapie-avocat.fr
Comentaires: