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Le préjudice d’anxiété chez les travailleurs exposés à l’amiante. Par Arthur Humez, Etudiant.
Parution : jeudi 13 août 2020
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La révélation de la toxicité de l’amiante, à l’origine de nombreuses maladies pour les travailleurs, a déclenché un contentieux important. De celui-ci fut issue de nombreuses jurisprudences sur la question du préjudice d’anxiété par rapport à l’exposition des travailleurs face à l’amiante mais aussi les possibilités d’indemniser ce préjudice.

L’existence même du préjudice d’anxiété remonte à la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale modifiée par la loi n°2016-1827 du 23 Décembre 2016-art.34 a instauré pour les travailleurs exposés à l’amiante, sans être atteints d’une maladie professionnelle consécutive à cette exposition, un mécanisme de départ anticipé à la retraite. L’article 41 de cette loi prévoit l’existence de l’allocation de départ anticipé :

« I.- Une allocation de cessation anticipée d’activité est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l’amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l’amiante ou de construction et de réparation navales, sous réserve qu’ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu’ils remplissent les conditions suivantes :
1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante. L’exercice des activités de fabrication de matériaux contenant de l’amiante, de flocage et de calorifugeage à l’amiante de l’établissement doit présenter un caractère significatif ;
2° Avoir atteint l’âge de soixante ans diminué du tiers de la durée du travail effectué dans les établissements visés au 1°, sans que cet âge puisse être inférieur à cinquante ans ;
3° S’agissant des salariés de la construction et de la réparation navales, avoir exercé un métier figurant sur une liste fixée par arrêté conjoint des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget.
Le bénéfice de l’allocation de cessation anticipée d’activité est ouvert aux ouvriers dockers professionnels et personnels portuaires assurant la manutention sous réserve qu’ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu’ils remplissent les conditions suivantes :
1° Travailler ou avoir travaillé, au cours d’une période déterminée, dans un port au cours d’une période pendant laquelle était manipulé de l’amiante ; la liste de ces ports et, pour chaque port, de la période considérée est fixée par arrêté conjoint des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale, des transports et du budget ;
2° Avoir atteint l’âge de soixante ans diminué du tiers de la durée du travail effectué dans les ports visés au 1°, sans que cet âge puisse être inférieur à cinquante ans.
Ont également droit, dès l’âge de cinquante ans, à l’allocation de cessation anticipée d’activité les personnes reconnues atteintes, au titre du régime général ou du régime d’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles des salariés agricoles, d’une maladie professionnelle provoquée par l’amiante et figurant sur une liste établie par arrêtés des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et de l’agriculture.
[…] »

Ainsi, l’article 41 de la loi ajoute la possibilité d’un départ à la retraite anticipé pour les salariés qui ont été particulièrement exposés à l’amiante sans qu’ils aient pour autant développé une maladie professionnelle liée à cette exposition. Ce dispositif est financé par le Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante.

Ce dispositif leur accorde une allocation dont le montant est en général égal à 65% de leur salaire antérieur, jusqu’à ce qu’ils puissent obtenir la liquidation d’une pension de retraite à taux plein, mais à condition qu’ils n’exercent aucune activité professionnelle ou qu’ils démissionnent de leur emploi.

Par un arrêt du 11 mai 2010 la Cour de cassation a reconnu aux salariés ayant travaillé dans un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, le droit d’obtenir réparation d’un préjudice spécifique d’anxiété tenant à l’inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment, d’une maladie liée à l’amiante [1].

La loi a mis en place au bénéfice des salariés éligibles à l’ACAATA un régime de preuve dérogatoire, ce qui permis une dispense de justifier à la fois de leur exposition à l’amiante, de la faute de l’employeur et de leur préjudice, en précisant toujours que l’indemnisation accordée au titre du préjudice d’anxiété réparait l’ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d’existence.
L’avantage du mécanisme d’exclusion de la preuve permet d’indemniser plus facilement les victimes.

Donc, il est à noter que le seul fait d’avoir exercé dans un établissement ACAATA fait présumer pour le salarié un préjudice d’anxiété sans pour autant avoir développé une maladie professionnelle liée à cette exposition. Il convient de citer sept arrêtés du 7 janvier 2020 sont venus modifier les listes ACAATA [2].

Ainsi, le salarié devait travailler dans un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi de 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel. D’un autre côté, le salarié devait prouver son inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante. Enfin, cette inquiétude permanente devait se confirmer par des contrôles médicaux et examens réguliers

Les examens médicaux qui était la dernière condition a été écartée par la Cour de cassation [3]. Donc ,après cet abandon, l’indemnisation du préjudice d’anxiété s’enclenchait en raison de la seule exposition des salariés face au risque de déclaration d’une maladie liée à l’amiante.

Ainsi , le salarié, se trouve, « par le fait de l’employeur, dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante, qu’il se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers » [4].

Mais en dehors de ces cas, les salariés ne pouvaient pas obtenir l’indemnisation de leur préjudice d’anxiété. Ils ne pouvaient pas non plus invoquer le droit commun pour manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur.

Par un arrêt du 26 avril 2017 de la chambre sociale de la cour de cassation n°15-19.037, la chambre sociale a précisé que les salariés n’entrant pas dans le champ de l’article 41 de la loi de 1998 ne peuvent pas bénéficier de la réparation du préjudice d’anxiété, même sur le fondement d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Par un arrêt en date du 5 Avril 2019, la Cour de cassation a énoncé que le salarié qui n’a pas travaillé dans un établissement classé ACAATA , mais qui justifie d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement à son obligation de sécurité, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements visés par la loi [5]. Ainsi, la cour de cassation par cet arrêt de la cour de cassation vient ouvrir l’indemnisation du préjudice d’anxiété à tous les travailleurs exposés à l’amiante.

Par un arrêt du 11 Septembre 2019, la Cour de cassation énonce que le salarié qui justifie d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité [6].

Concernant la charge de la preuve, cet arrêt vient énoncer qu’un salarié justifiant d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété résultant d’une telle exposition pourra demander réparation sur le fondement du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. En effet , il faut que le salarié justifie d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant de son exposition à la substance en cause.

Ensuite, l’employeur aura la charge de la preuve de l’exposition du salarié à une substance nocive ou toxique, du risque de développer une pathologie grave et de son préjudice ; dossier médical à l’appui.

L’employeur peut s’exonérer au niveau de sa responsabilité s’il rapporte la preuve qu’il a respecter son obligation de santé et de sécurité des travailleurs et qu’il a pris toutes les mesures prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail à titre préventif. En effet , depuis l’arrêt Air France du 25 novembre 2015 , l’entreprise peut s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’elle a mis en œuvre les mesures de santé et de sécurité imposées par le Code du travail.

Il peut également s’exonérer dans le cas où le préjudice d’anxiété n’est pas caractérisé. En effet, la cour de cassation exige du salarié qu’il prouve un préjudice d’anxiété personnellement subi et résultant du risque élevé de développer une pathologie grave.

Ensuite, la Cour de cassation a posé le principe de la preuve par le demandeur d’un préjudice d’anxiété qui a été subi personnellement. Donc le préjudice doit être évalué par rapport à la situation personnelle de chaque demandeur.

L’appréciation de la réalité, du degré et de la durée de l’anxiété ainsi que des éléments de preuve produits pour en justifier relève du pouvoir des juges du fond [7].

Concernant la prescription pour la reconnaissance du préjudice d’anxiété, selon les règles de prescription de droit commun des actions personnelles de l’article 2224 du Code civil, l’action en réparation du préjudice d’anxiété se prescrit en principe par 5 ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant d’exercer ce droit. La Cour de cassation l’a rappelé dans un arrêt du 29 janvier 2020 [8].

Mais, lorsqu’il s’agit de salariés exposés à l’amiante dans un établissement qui n’est pas dans le champ d’application de l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 ou exposés à toute autre substance nocive ou toxique, il est possible que la prescription biennale de l’article L1471-1 du Code du travail, applicable aux actions portant sur l’exécution du contrat de travail, soit préférée à la prescription quinquennale de droit commun.

La reconnaissance de ce préjudice est large et englobe toutes les conséquences psychologiques de la connaissance du risque de voir sa santé se détériorer.

Le « préjudice d’anxiété répare l’ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d’existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante » selon les arrêts de la chambre sociale de la cour de cassation en date du 25 septembre 2013 n°12-12.883 et du 3 mars 2015 n°13-21.865 et n°13-21.832

La perte d’espérance de vie est aussi incluse dans le préjudice d’anxiété (3 mars 2015, n°13-21.832).

Arthur Humez, Chargé d’études juridiques

[1Cass.Soc., 11 mai 2010, nº 09-42.241.

[2Texte n°9 JORF du 14.01.20 ; texte n°16 JORF du 11.01.20 ; texte n°17 JORF du 11.01.20 ; texte n°18 JORF du 11.01.20 ; texte n°19 JORF du 11.01.20 ; texte n°20 JORF du 11.01.20 ; texte n°21 JORF du 11.01.20.

[3Cass. Soc., 4 décembre 2012, n° 11-26294.

[4cass soc 3 mars 2015 n°13-20.4740 n°13-20485.

[5Cass.soc Ass plén 5 avril 2019 n°18-17.442, P+B+R+I.

[6Cass. soc., 11 septembre 2019, nº 17-24.879.

[7Cass. soc., 13 avr. 2016, n° 14-28.293 P + B + R + I ; 25 mai 2016, n° 14-20.578.

[8Cass.Soc.n°18-15.388.