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[Côte d’Ivoire] La gouvernabilité des réseaux sociaux. Par Désiré Allechi, Juriste.
Parution : mardi 18 août 2020
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Les réseaux sociaux, en plus de leur fonction éducative, constituent un outil incontournable pour la mise en oeuvre de la liberté d’expression des individus. Ils constituent également pour les Etats un importantissime moyen pour l’affirmation de leur souveraineté numérique.

Les faits le montrent, il est pratiquement impossible de vivre en société sans une organisation, d’ailleurs l’idée de société sous-tend une certaine organisation. Toute société aussi archaïque ou moderne qu’elle soit, repose sur une certaine organisation laquelle garantit son bon fonctionnement.

En clair, si la vie en société est inhérente à la vie humaine alors, l’organisation de cette société est l’un des fondements de la stabilité de ladite société. Dans les organisations modernes qualifiées d’Etat et même dans celles classiques, l’on assiste à une dépossession soit volontaire soit involontaire des individus de certains de leurs pouvoirs pour les conférer aux instances dirigeantes qu’ils choisissent selon des procédés qui diffèrent d’une société à une autre.

S’agissant du mode de gouvernance d’une société, il en existe diverses façons en fonction du système politique utilisé par les Etats. En tout état de cause, est-il important de noter qu’en ce 21ème siècle les systèmes de gouvernance des Etats sont fortement influencés par les réseaux sociaux. Un réseau social est un espace permettant aux personnes inscrites de communiquer entre elles. Toutefois, est-il important de préciser que ces dernières années, l’usage des réseaux sociaux s’est accru à tel enseigne qu’ils sont devenus un outil très influent dans presque tous les domaines.

En effet, faut-il signifier que les réseaux sociaux en plus de leur fonction première de communication entre les individus, sont un espace d’exercice de commerce notamment pour les entreprises commerciales, mais aussi pour la collecte frauduleuse de données à caractère personnel comme en témoigne l’affaire Cambridge Analytica [1]. Pour rappel, les données à caractère personnel sont en substance toute information relative à une personne physique susceptible d’être identifiée directement ou indirectement [2]. L’objet du présent article n’étant pas de mettre principalement en exergue le traitement frauduleux ou non des données à caractère personnel par le biais des réseaux, nous souhaitons donc traiter de l’impact des réseaux sociaux sur la gouvernance des administrés notamment dans les démocraties mais aussi évoquer la question de la liberté d’expression des administrés sur lesdits réseaux.

Avec l’évolution des TIC de façon générale et des réseaux sociaux en particulier, beaucoup de dirigeants et non des moindres ont cerné l’importance de l’utilisation des plateformes électroniques pour atteindre leur cible, c’est notamment le cas de D. Trump. En effet, le président des Etats-Unis a fait du réseau Twitter, son canal privilégié pour ses communications. Ainsi, toutes les informations peu importe leur nature sont communiquées via ce canal qui est l’un des réseaux sociaux les plus utilisés dans son pays. Les réseaux sociaux sont marqués par le caractère virtuel des échanges entre les personnes inscrites.

Ils constituent un puissant moyen d’expression de volonté pour le peuple même si les dérives ou la plupart des infractions dans notre monde connecté du 21ème se constatent de plus en plus sur ces plateformes de communication électronique.

Son usage est illimité suivant le domaine dans lequel l’on s’inscrit car tout type d’individu peu importe son domaine d’activité y a la possibilité d’atteindre son auditoire. Ainsi, son rôle éducatif est sans précédent car nous avons la possibilité d’avoir les informations suivant nos centres d’intérêts en temps réel. Cela dit, avec les réseaux sociaux et internet chacun a ce qu’il recherche. Ce puissant outil mis à la disposition de la population moderne est diversement utilisé et parfois détourné de son objectif ou de sa finalité tant par la population que par les gouvernements surtout en Afrique.

S’agissant des populations nous avons un problème de partage d’informations sans vérification préalable des sources ou de la véracité des informations surtout en période de crise ou en période électorale alors que la publication de fausses informations est punie par la loi. Il convient toutefois de préciser que lorsqu’un individu partage une publication par exemple sur Facebook alors que ladite publication contient des données à caractère personnel il s’érige en responsable de traitement car prenant d’une part l’initiative du traitement et d’autre part déterminant les finalités du traitement. En dehors de l’aspect protection des données et donc dans le domaine de la presse en ligne particulièrement, nous notons très souvent un manque de professionnalisme de la part des personnes chargées d’informer les populations.

En effet, l’on assiste surtout en période de crise à une certaine intoxication de la population par la diffusion de fausses informations et donc de fake news alors que de tels agissements sont punis tant avec les journaux sur support physique qu’avec ceux électroniques. L’utilisation accrue de la presse en ligne ou le partage des informations de presse donne une fois de plus l’impression que cette zone échappe au droit. Contrairement à ces conceptions erronées, l’article 97 de la loi (n°2017-867 du 27 décembre) portant régime juridique de la presse en Côte d’Ivoire dispose que : « la publication, la diffusion, la divulgation ou la reproduction par voie de presse de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers, est punie d’une amende de 1 000 000 à 10 000 000 de francs ». Il ressort de cette disposition que le partage d’informations doit se faire avec un peu de jugeote pour ne pas tomber sous le coup de la rigueur de la loi. Au-delà, il est important de retenir de façon définitive qu’il n’existe pas de zone de non droit car en l’absence d’un texte spécifique ou spécial il existe le droit commun qui est susceptible de s’appliquer. Les réseaux sociaux sont donc un carrefour où l’on assiste à un foisonnement ou une rencontre de textes juridiques applicables suivant la qualification retenue et qui est imputable au fait commis.

C’est l’occasion de mettre en évidence la notion d’éducation aux médias, laquelle notion est insuffisamment connue ou totalement inconnue du champ lexical des internautes en Afrique généralement et particulièrement en Côte d’Ivoire. La notion d’éducation aux médias pourrait être définie comme : « toute démarche visant à permettre à l’élève de connaitre, de lire, de comprendre et d’apprécier les représentations et les messages issus de différents médias auxquels il est quotidiennement confronté, de s’y orienter et d’utiliser de manière pertinente, critique et réfléchie ces grands supports de diffusion et les contenus qu’ils véhiculent » [3]. Il ressort de l’interprétation de la notion d’éducation aux médias que la recherche ou l’analyse de l’information est certes une affaire des professionnels des médias toutefois l’internaute a un rôle non négligeable à jouer.

En effet, le non professionnel ou disons l’internaute ne doit rien prendre pour vrai dès la lecture. Il lui incombe la mission d’analyser avec un esprit critique les informations reçues dans une certaine mesure pour s’assurer de la véracité et de la source avant tout partage ou toute divulgation. En effet, les réseaux sociaux se caractérisant par la virtualité des rapports et donc les relations entre absents ou par correspondance mais aussi par une accessibilité sans précédent du fait de ses fonctionnalités qui sont sans cesse mises à jour aux fins d’en faciliter l’usage, constituent un couteau à double tranchant car permettant d’informer mais aussi de désinformer. Dans une telle configuration, un minimum d’attention et d’esprit critique s’impose chez les internautes pour éviter de se faire sanctionner inutilement.

Du fait de leur puissance, les réseaux sociaux sont désormais et plus que jamais un outil d’expression de suprématie des Etats. Les grandes puissances l’ont cerné et l’utilisent pour montrer à qui veut le voir leur pouvoir. Gouverner par les réseaux sociaux au 21ème siècle peut paraître anodin ou dépourvu de sens mais son efficacité n’est plus à démontrer car permettant d’affirmer sa souveraineté numérique. Cette préservation de la souveraineté numérique a été démontrée une fois de plus par D. Trump qui a signé un décret obligeant le groupe chinois ByteDance à vendre les activités américaines de TikTok son réseau social international, d’ici 90 jours, formalisant ainsi les menaces maintes fois répétées [4].

Cet acte du Président Trump est bien évidemment sujet à interprétation car au-delà de ce qui est vu se cachent d’autres intérêts inavoués mais là n’est pas la question.

Ce qu’il convient de retenir ou de constater c’est l’intérêt accordé à l’usage d’un réseau social. Au-delà des intérêts politiques qui guident les Etats, cet acte montre l’importance des réseaux sociaux à notre époque dans le respect de la souveraineté d’un Etat. En clair le domaine technologique avec tout ce qui l’accompagne fait partie intégrante de la souveraineté d’un Etat. Cela dit, il est temps que nos dirigeants africains cessent de voir en l’usage des réseaux sociaux un moyen de brimer les droits des citoyens par la terreur qu’ils infligent, laquelle (terreur) constitue un obstacle à la liberté d’expression des citoyens.

En effet nous constatons cela avec l’acte posé par le gouvernement Togolais en 2017 au où il à été procédé à la coupure d’Internet pour empêcher l’opposition de faire-valoir ses droits. Cet acte montre la puissance de ces outils technologiques sauf que dans un tel cas de figure l’on s’en sert pour empêcher le peuple de s’exprimer ce qui est illégal. D’ailleurs la Cour de justice de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) a eu à pointer du doigt ce jeudi 25 juin 2020 le caractère illégal de ces agissements [5].

Pour conclure, les réseaux sociaux, moyen privilégié d’expression de la population à l’ère du numérique doivent être encadrés de sorte à mettre en balance la notion de liberté d’expression, droit constitutionnel [6] reconnu au citoyen et la souveraineté de l’Etat.

En clair la gouvernance des réseaux sociaux est un aspect très important à prendre en considération pour un équilibre social interne et pour une affirmation de l’Etat sur le plan international.

Désiré Allechi, Juriste Spécialiste du Droit des TIC

[1William Audureau, « Ce qu’il faut savoir sur Cambridge Analytica, la société au cœur du scandale Facebook », consulté en ligne sur : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/03/22/ce-qu-il-faut-savoir-sur-cambridge-analytica-la-societe-au-c-ur-du-scandale-facebook_5274804_4408996.html le 08/06/20

[2Art.1 de la loi ivoirienne n°2013-450 relative à la protection des données à caractère personnel.

[3Education aux médias et à l’Internet, consulté en ligne le 16/08/2020 à 16h37 sur le site https://eduscol.education.fr/numerique/dossier/competences/education-aux-medias/notion

[4Le Figaro avec AFP, « Trump signe un décret forçant le chinois ByteDance à se séparer de TikTok », consulté en ligne sur le site https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/trump-signe-un-decret-forcant-bytedance-a-se-separer-de-tiktok-20200815

[5Togo. La décision de la Cour de justice de la CEDEAO envoie un message clair que les coupures volontaires d’Internet violent la liberté d’expression, consulté en ligne le 16/08/2020 à 22h08 sur https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2020/06/togo-envoie-un-message-clair-que-les-coupures-volontaires-internet-violent-la-liberte/

[6Article 19 de la Loi n°2016-886 du 8 novembre portant constitution de la République de Côte d’Ivoire.