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Le subventionnement des associations à discours politiques par les collectivités locales. Par Pierrick Salen, Avocat et Antoine Fernandez, Stagiaire.
Parution : lundi 24 août 2020
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Par un arrêt du 8 juillet 2020, le Conseil d’Etat a validé la position de la Cour administrative d’appel qui a validé la subvention versée par une collectivité territoriale à une association militante LGBT, malgré le discours politique de cette dernière. Il importe seulement que la subvention finance exclusivement les activités de l’association en lien avec l’intérêt public local.

Dans un article de 2001, Serge Koulytchizky et Laurent Pujol soulignent que « les subventions font désormais partie du paysage associatif » [1]. En effet, les collectivités locales peuvent octroyer des aides à des associations, en faisant usage de leur droit à l’autonomie financière qui découle du principe de libre administration.

Le principe de libre administration des collectivités territoriales trouve son assise à l’article 72 de la Constitution et fait partie des libertés fondamentales consacrées par le Conseil d’Etat [2].

Pourtant, cela ne veut pas dire que les collectivités locales sont libres d’agir à leur guise, un certain nombre de conditions doivent être réunies pour leur permettre d’entrer en jeu et d’engager leurs finances.

Les collectivités peuvent intervenir seulement dans le but de répondre à une affaire locale [3] présentant un intérêt public local, à condition de ne pas empiéter sur les compétences exclusives d’une autre collectivité ou de l’Etat [4]. Il n’existe pas à ce jour de définition précise de l’intérêt public local, c’est donc au juge administratif de rechercher son existence dans les actions entreprises par les différentes collectivités. Les juridictions ont tendance à adopter une approche assez large de l’intérêt public et n’hésitent pas à détecter sa présence quand cela n’est pas évident. A ainsi été jugée comme répondant à un intérêt public local l’organisation d’un voyage pour les habitants d’une commune, car cela permettait de fédérer l’esprit d’un petit village de montagne [5].

De plus, les actions des collectivités doivent observer une neutralité à la fois politique [6] et religieuse, ce qui est bien sûr contrôlé par le juge administratif.

Ces limitations s’imposent donc logiquement aux subventions octroyées par les collectivités territoriales aux associations, notamment en ce qui concerne l’obligation de neutralité. Cela ressort d’une jurisprudence constante, que ce soit pour le financement d’association à but politique ou cultuel. Dans ses conclusions relatives à un arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 4 avril 2005 [7], le commissaire du gouvernement Emmanuel Glaser liste les conditions d’intervention des collectivités locales et rappelle que :

« Il faut enfin que l’action de la collectivité respecte le principe de neutralité du service public. Elle ne doit donc témoigner d’aucune prise de parti dans un conflit national ou international ou dans un conflit collectif du travail ».

Dès lors, l’équation semble simple : l’action politique empêcherait la subvention.

Pourtant, le droit prend un malin plaisir à transformer les équations simples en équations simplistes. En effet, il n’est pas rare que des associations lient le politique et l’intérêt public local, ce qui complique la décision quant à une éventuelle aide de la part de la collectivité. On parle d’associations mixtes. Mais peut-on subventionner une association agissant dans l’intérêt public local malgré des discours ou des actions politiques ? C’est à cette question qu’a dû répondre le Conseil d’Etat lors d’une affaire ayant secoué les juridictions nantaises.

En février 2016, la ville de Nantes décida d’attribuer, par le biais d’une convention, une subvention de 22 000 euros à l’association « centre lesbien, gay, bisexuel et transidentitaire de Nantes », devenue en 2017 l’association « Nos orientations sexuelles et identités de genre (NOSIG) ». Cette association accomplie de nombreuses missions sur le territoire nantais, allant de l’information et de la prévention contre les maladies sexuellement transmissibles à l’organisation de la pride locale et d’un festival de cinéma LGBT+ [8], en passant par l’accueil et l’aide des réfugiés ayant quitté leur pays du fait de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.

Cette subvention est cependant attaquée par une contribuable nantaise et est annulée par le tribunal administratif de Nantes, au motif que les collectivités locales ne peuvent subventionner une association ayant une activité politique. Le juge de première instance estime que le centre LGBT+ de Nantes est une association politique en ce qu’elle a pris position en faveur d’un élargissement de l’accès à la procréation médicalement assistée et de la légalisation de la gestation pour autrui qui est toujours pénalement sanctionnée en France.

Un appel est interjeté et la cour administrative d’appel de Nantes revient sur le jugement en se basant sur un raisonnement venant tout juste d’être validé par le Conseil d’Etat.

La cour d’appel estime dans son arrêt du 5 octobre 2018 [9] que la subvention versée par la Mairie vise à aider l’association dans l’exécution de ses diverses missions d’information, d’accompagnement et de promotion culturelle, comme le stipule d’ailleurs la convention conclue entre la ville et le centre LGBT+. Le fait que l’association ait un discours politique n’interdit pas à la commune de lui verser une subvention, dès lors que celle-ci n’a pas pour but de promouvoir des idées politiques. De plus, le fait de militer en faveur de la légalisation de la GPA n’est pas illégal tant que cela ne bascule pas dans l’aide au contournement de la législation française en vigueur [10].

Saisi à son tour, le Conseil d’Etat va valider le raisonnement de la Cour d’appel mariligérienne dans un arrêt rendu le 8 juillet 2020 [11].

Dans un considérant de principe particulièrement clair, la juridiction suprême va rappeler les conditions permettant la subvention d’associations :

« Si une commune ne peut, en attribuant une subvention, prendre parti dans des conflits, notamment de nature politique, la seule circonstance qu’une association prenne des positions dans des débats publics ne fait pas obstacle à ce que la commune lui accorde légalement une subvention, dès lors que ses activités présentent un intérêt public local. Lorsqu’une association a un objet d’intérêt public local, mais mène aussi des actions, notamment à caractère politique, qui ne peuvent être regardées comme revêtant un tel caractère, la commune ne peut légalement lui accorder une subvention, en particulier lorsqu’il s’agit d’une subvention générale destinée à son fonctionnement, qu’en s’assurant, par des engagements appropriés qu’elle lui demande de prendre, que son aide sera destinée au financement des activités d’intérêt public local ».

Ainsi, ce n’est pas une, mais deux équations, alternatives, que propose le Conseil d’Etat pour résoudre la question des subventions. En premier lieu, si l’association a seulement un discours politique et exécute des missions d’intérêt public local, elle peut bénéficier d’une subvention. Dans un second temps, si l’association mène en parallèle des actions politiques et des activités d’intérêt général, seules ces dernières pourront faire l’objet d’une aide publique. De plus, la collectivité devra s’assurer, notamment par voie contractuelle, que la subvention ne sert bien qu’à la réalisation de missions apolitiques. Dans le cas où une association aurait pour seul but la réalisation d’actions politiques, les collectivités publiques ne pourraient bien sûr pas les subventionner.

En l’espèce, la convention conclue entre Nantes et le centre LGBT+ stipule clairement que la subvention ne doit servir qu’à la réalisation des missions d’intérêt général de l’association, à savoir l’information, l’aide ou la promotion de la culture LGBT+. Elle est donc parfaitement légale et conforme au principe de libre administration et d’autonomie financière.

Si cette clarification est la bienvenue en matière de neutralité politique des subventions, elle n’est pas surprenante en ce qu’elle existait déjà s’agissant de l’obligation neutralité religieuse.

En effet, dans un arrêt de 2012 [12], le Conseil d’Etat a reconnu la possibilité de subventionner une association ayant par ailleurs des activités cultuelles dès lors que la subvention ne servait qu’à financer des agissements sans lien avec une quelconque religion et qui présentent un intérêt public local, en l’espèce l’organisation de la 19e rencontre internationale pour la paix. Là encore, la collectivité doit sécuriser l’étanchéité de cette séparation par le biais d’une convention réservant la subvention aux activités non cultuelles.

Ainsi, il apparaît que le Conseil d’Etat a développé une approche pragmatique et intelligente du principe de neutralité de l’action locale, permettant une analyse au cas par cas, propice aux développements des liens indispensables entre les acteurs publics locaux et les associations.

Pierrick Salen, Avocat et Antoine Fernandez, Stagiaire. Cabinet Salen Avocat au Barreau de Saint-Etienne Docteur en droit public www.cabinet-salen.com

[1Les associations et la gestion publique locale, S. Koulytchizky et L. Pujol ; Annuaire des collectivités locales ; p125-142 ; 2001.

[2CE, 18 janvier 2001, n°229247, Commune de Venelles.

[3CE, 11 juin 1997, n°170069, Département de l’Oise.

[4CE, 29 juin 2001, n°193716, Commune de Mons-en-Baroeul.

[5CE, 7 juillet 2004, n°254165, Commune de Céloux.

[6CE, 25 avril 1994, n°155874, Président du conseil général du Territoire de Belfort.

[7CE, 4 avr. 2005, n°264596, Commune d’Argentan, AJDA 2005.1295, concl. Glaser.

[8Lesbiennes Gays, Bisexuels et Transgenres.

[9CAA Nantes, 5 oct. 2018, n°18NT01408, Commune de Nantes et NOSIG.

[10Le fait de promouvoir la légalisation de la GPA n’est pas illégal. Cependant, l’association qui veut réaliser ou a réalisé des GPA en violation de la loi française peut être dissoute (CE, 22 janv. 1988, n°80936, Association « Les Cigognes »).

[11CE, 8 juillet 2020, n°425926, Association Centre Lesbien, Gay, Bi et Transidentitaire (Centre LGBT) de Nantes.

[12CE, 4 mai 2012, n°336464, Fédération de la libre pensée et d’action sociale du Rhône.