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L’ordonnance de protection : une procédure adaptée et renforcée. Par Nicolas Sakala-Tati, Juriste.
Parution : lundi 24 août 2020
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La loi n°2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille est venue souligner l’urgence inhérente aux requêtes en ordonnance de protection en prévoyant à l’article 515-11 du Code civil que l’ordonnance est délivrée dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date d’audience. Par deux décrets des 27 mai et 3 juillet 2020, le gouvernement est intervenu pour fixer les modalités de cette procédure d’urgence qui appelle les professionnels du droit à une vigilance accrue pour permettre au juge de rendre une ordonnance de protection. Afin de renforcer la sécurité du conjoint victime, la loi n°2020-936 du 30 juillet 2020 apporte des nouveautés et vient doter le juge aux affaires familiales de nouvelles prérogatives.

Dans le contexte du Grenelle sur les violences conjugales organisé par Marlène Schiappa du 03 septembre 2019 au 25 novembre 2019 et après la publication de la loi Pradié n°2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille à travers notamment l’ordonnance de protection, deux décrets (n°2020-636 du 27 mai 2020 et n°2020-841 du 3 juillet 2020) sont venus modifier le Code de procédure civile afin d’adapter la procédure en conséquence mais aussi ajouter de la cohérence dans le le parcours de la victime de violences conjugales. En effet, si la loi Pradié est venue fixer à l’article 515-11 du Code civil que " l’ordonnance de protection est délivrée, par le juge aux affaires familiales, dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date de l’audience ", le décret du mois de mai est apparu comme un frein, venant complexifier cette procédure d’urgence en imposant à la victime de violence conjugale un délai de 24h pour signifier par huissier l’ordonnance fixant l’audience au défendeur, à peine de caducité.

C’est dans ce contexte qu’est intervenu le Comité national de pilotage des ordonnances de protection [1] à partir du 23 juin 2020 afin de préconiser des pistes de réflexion efficaces et pérennes à destination du gouvernement dans le sens d’une meilleure protection du conjoint victime de violences conjugales. Modifiant profondément le travail les professionnels du droit et notamment du juge, une étude attentive des nouvelles dispositions régissant cette procédure d’urgence permet, s’il en était nécessaire, de constater qu’une nouvelle articulation a été privilégiée pour un bon équilibre entre le délai de convocation des parties et le nécessaire respect du contradictoire.

Enfin, dans un soucis d’efficacité, le législateur est venu renforcer l’arsenal des mesures visant à protéger le conjoint victime des violences avec des dispositions relatives au domicile conjugal mais également les interdictions de contact.

I - L’objectif d’efficacité de l’ordonnance de protection du Juge aux affaires familiales.

La loi du 28 décembre 2019 a imposé au juge aux affaires familiales un délai maximal de six jours entre le jour de la fixation de la date d’audience et le jour de l’audience [2]. Le respect du délai de six jours étant incompatible avec une convocation des parties par lettre recommandé [3], le décret a donc créé un nouveau mode de saisine du juge qui s’inspire de l’autorisation d’assigner à bref délai, harmonisant ainsi les modalités de saisine de la juridiction vers le modèle de la requête signifiée.
A noter par ailleurs que l’assignation pouvait occasionner des difficultés pour le juge, ce dernier pouvant avoir connaissance de l’enregistrement de la requête d’ordonnance de protection postérieurement à l’assignation remise au défendeur qui pourtant faisait courir le délai de six jours une fois l’acte remis entre ses mains.

Désormais, la requête en ordonnance de protection est remise ou adressée au greffe du Tribunal judiciaire dans le ressort duquel se situe la résidence commune ou celle des enfants mineurs communs. En cas d’absence de cohabitation et sans enfants commun, le tribunal compétent demeure celui dans lequel réside le défendeur [4].

1) L’ordonnance de fixation et sa notification aux parties.

a) La fixation de la date d’audience : point de départ du délai de six jours.

L’article 1136-3 nouveau du Code de procédure civile dispose que " le juge rend sans délai une ordonnance fixant la date de l’audience " dès la réception de la requête. C’est ce nouvel acte de procédure qui permet de formaliser avec précision le point de départ du délai de six jours prévu à l’article 515-11 du Code civil. Il permet aussi au juge de s’organiser avec le greffier et de décider dans l’ordonnance de fixation quelle sera la date de l’audience et les modalités de convocation à la partie défenderesse. Il s’agit d’un moment important dans la mesure où selon la situation de danger existante, un choix de notification s’opère afin de répondre au besoin de protection du conjoint victime, même si en principe l’existence d’un danger " actuel " est déjà l’une des conditions de recevabilité de la requête en ordonnance de protection comme vient de le rappeler la 1ère chambre civile de la Cour de cassation [5].

Il faut noter que cette ordonnance de fixation du juge est une mesure d’administration judiciaire, insusceptible de voie de recours s’agissant du choix de l’audience ou des modalités de notification [6].

b) La notification de l’ordonnance de fixation aux parties.

La copie de l’ordonnance fixant la date de l’audience peut être notifiée au demandeur par le greffe " par tout moyen donnant date certaine ou par remise en mains propres contre émargement ou récépissé " selon l’article 1136-3 nouveau du Code de procédure civile. Le texte ne s’oppose donc pas à une communication dématérialisée notamment par les logiciels du Tribunal voir même par voie électronique au demandeur.

La notification au défendeur diffère toutefois en fonction de deux situations relatives à la victime suivant qu’elle soit assistée d’un avocat dans la procédure ou qu’elle se situe en danger grave et imminent.

- La notification par voie de signification.

La signification par voie d’huissier devient le principe : Le décret du 3 juillet 2020 précise en fonction de la situation de la partie demanderesse, la personne chargée de faire procéder à la signification.

Si la partie demanderesse est assistée d’un avocat, il lui appartient de faire signifier l’ordonnance de fixation au défendeur. Ceci permet à la partie demanderesse de ne pas perdre de temps à chercher une étude d’huissier après le dépôt de la requête : l’avocat en pratique sera à l’initiative de la signification. D’ailleurs, il arrive souvent que l’avocat de la partie demanderesse ait déjà pris contact avec une étude d’huissier afin de l’avertir de l’imminence d’un acte de signification à venir dans une procédure d’urgence.

Lorsque la partie demanderesse n’est pas assistée d’un avocat, c’est le greffe du juge aux affaires familiales qui est investi de la charge de contacter une étude d’huissier, ceci dans un objectif de rapidité mais aussi pour que la partie demanderesse ne supporte pas le coût d’une nouvelle démarche à effectuer personnellement à l’encontre du défendeur, ce qui peut être rendue difficile s’agissant du conjoint violent et de l’emprise souvent présente dans le couple.

S’agissant d’une procédure initiée par le procureur de la République, ce sont les services du parquet qui font signifier l’ordonnance de fixation de la date d’audience aux deux parties. En pratique, les victimes de violences conjugales adressant leur demande de protection au parquet sont généralement orientées vers des structures telles que les associations d’aide aux victimes d’infractions afin qu’une prise en charge d’information juridique puisse être effectuée à la fois pour les modalités de la requête mais aussi l’assistance d’un avocat. A ce sujet, l’article 26 de la loi du 30 juillet 2020 a élargi au défendeur la délivrance de l’aide juridictionnelle à titre provisoire en vertu de l’article 515-11 7 permettant de garantir la célérité du traitement de la procédure.

L’article 1136-3 du Code de procédure civile précise par ailleurs que " La signification doit être remise au défendeur dans un délai de deux jours à compter de l’ordonnance de fixation de la date de l’audience ". Ce nouveau délai de deux jours vient mettre fin aux critiques apportées au décret du 27 mai 2020 [7] qui avait fixé ce délai à un jour, compromettant gravement la possibilité de saisir le juge. En effet, ce délai avait pour conséquence d’imposer une course contre la montre à l’avocat de la partie demanderesse et à l’huissier qui dans une même journée se voyaient investi pour le premier de la remise à l’étude de la requête accompagnée des pièces et de l’ordonnance de fixation et pour le second de la signification au défendeur dudit acte, à charge ensuite de remettre à l’avocat l’acte de signification, le tout à peine de caducité.

Cette situation kafkaïenne a été étudiée par le comité national de pilotage des ordonnances de protection qui a proposé à la Direction des Affaires Civiles et du Sceau (DACS). Une piste tendant à non seulement rallonger ce délai de convocation au défendeur mais également à supprimer la sanction de caducité [8] et afin de ne pas pénaliser les diligences réalisées par l’avocat de la partie demanderesse, dont la demande de protection pouvait s’apparenter alors à un parcours du combattant.

Ce délai de deux jours désormais prévu par le texte, est un délai qui commence à courir de la première heure du jour suivant la fixation de la date d’audience conformément à l’article 641 du Code de procédure civile. Il expire donc le dernier jour à vingt-quatre heures et est prorogé jusqu’au premier jour suivant s’il expire un samedi, un dimanche, un jour férié ou chômé [9].

La sanction de caducité supprimée, la copie de l’acte de signification doit désormais être remise au greffe " au plus tard à l’audience ". Cette précision vient soulager les acteurs du droit (avocats et huissiers) ces derniers bénéficiant d’un délai théorique de deux à trois jours pour remettre au greffe l’acte, qu’il soit remis en mains propres ou par voie dématérialisée.

- La notification par voie administrative.

Le décret du 27 mai 2020 a introduit la possibilité de la notification par voie administrative " en cas de danger grave et imminent pour la sécurité d’une personne concernée ou lorsqu’il n’existe pas d’autre moyen de notification ".

La notion de " danger grave et imminent ", empruntée pour partie à l’une des situations d’urgence permettant à la personne victime de violences conjugales de bénéficier de la protection d’un téléphone grave danger (TGD) [10], vient réaffirmer une volonté générale exprimée lors des débats sur le grenelle des violences conjugales : celle de " proposer systématiquement le recours à l’ordonnance de protection face à des faits de violences conjugales quelle que soit l’avancée du processus de séparation du couple " [11].

Ce mode de notification est particulièrement efficace pour la partie demanderesse : il s’agit très souvent d’une personne victime de violences conjugales déjà éprouvée par une situation d’emprise dont l’environnement peut être profondément impacté entre le dernier fait de violences et le dépôt de la requête au greffe. La mise à l’abri avec ou sans enfants dans un hébergement d’urgence via le 115 [12], un changement de domicile précipité pour une solution précaire, une situation administrative irrégulière ou un dépôt de plainte contre le conjoint violent [13] dont l’interpellation n’a pas eu lieu sont autant de situations qui peuvent être appréciées afin de faire le choix d’une notification par voie administrative.

En pratique, cette notification est d’autant plus simple lorsque les forces de l’ordre peuvent toucher en personne le défendeur : soit parce qu’il est en garde à vue, ou qu’il répond à une convocation en vue de lui remettre l’acte. Il en est de même si le défendeur est en détention et donc à la disposition de l’administration.

Il n’en demeure par moins qu’en cas d’impossibilité d’une notification par voie administrative, il devra être recouru à une notification " de principe " par le concours d’un huissier de justice, le risque étant alors de dépasser le délai de 6 jours fixé par le législateur.

2) Le respect du contradictoire et les circuits d’urgence.

Afin de pouvoir garantir un délai suffisant au défendeur pour préparer sa défense, le décret du 3 juillet 2020 précise que " la signification doit être faite au défendeur dans un délai de deux jours à compter de l’ordonnance fixant la date de l’audience ", afin que le juge puisse statuer dans le délai maximal de six jours fixé à l’ article 515-11 du Code civil dans le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense. Le défendeur doit en principe pouvoir disposer d’un délai de deux à trois jours pour préparer sa défense. L’efficacité du dispositif a une influence importante sur ce délai puisque c’est celui-ci qui va être utilisé par le défendeur pour contacter un avocat et préparer ses demandes en réponse aux demandes de la partie adverse. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est recommandé à l’avocat du demandeur de prendre attache en avance avec un huissier de justice avant l’introduction de la requête, afin de garantir l’urgence de la signification.

Bien que l’article 1136-3 du Code de procédure civil n’ait pas prévu de sanction pour le non respect du délai de deux jours imparti pour procéder à la signification au défendeur, le juge appréciera au cas par cas si le principe du contradictoire a été respecté notamment au regard du danger auquel est exposé la partie demanderesse et s’il est en mesure de statuer dans le délai imposé à l’article 515-11 du Code civil.

En définitive, l’équilibre de la procédure repose sur une vigilance et une célérité des différents professionnels du droit, afin de permettre au juge de rendre l’ordonnance de protection dans un délai de six jours. Des circuits au sein des juridictions existent en favorisant la rencontre des acteurs impliqués dans la lutte contre les violences conjugales (juges, avocats, magistrats, huissiers, associations..) afin d’harmoniser le traitement des requêtes en ordonnance de protection. A ce sujet, le nouveau guide pratique de l’ordonnance de protection mis en ligne récemment propose des protocoles en ce sens aux chefs de juridiction et professionnels.

II - L’élargissement des mesures de protection du conjoint victime devant le juge aux affaires familiales.

La loi du 28 décembre 2019 est venu redéfinir la notion de couple. Priorisant la protection de la partie demanderesse en ouvrant la possibilité aux victimes de solliciter une ordonnance de protection y compris " lorsqu’il n’y a pas de cohabitation " ou " qu’il n’y en a jamais eu " s’agissant de l’ancien conjoint, concubin ou partenaire de PACS [14], le législateur consacre plusieurs avancées salutaires qui ont été prolongées avec la loi du 30 juillet 2020 qui est intervenu à une période du calendrier marquée par l’état d’urgence sanitaire lié au coronavirus. Avec une hausse des interventions des forces de l’ordre en matière de violences conjugales de l’ordre de 30 à 35% comme le rapporte Isabelle Rome la Haute fonctionnaire à l’égalité femmes-hommes [15], l’efficacité de l’ordonnance de protection dépend pour beaucoup des moyens mis en oeuvre afin de lutter contre les violences conjugales. A travers la création de partenariats Police-Justice et de la pluridisciplinarité comme nous l’inspire les dispositifs déployés en Espagne [16], le législateur s’inscrit de plus en plus dans la lignée de ces états qui favorisent la protection de la cellule familiale au sein du domicile conjugal afin d’éviter autant que possible le départ du conjoint victime souvent dans des conditions difficiles et précaires, comme cela fut dénoncé dans les réunions du Grenelle sur les violences conjugales.

a) Les dispositions relatives au logement conjugal.

Tirant les conséquences des études menées et débattues dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales, le législateur a souhaité mieux protéger la partie demanderesse afin préserver son maintien au sein du domicile conjugal. L’article 515-11 du Code civil avait instauré une primauté d’attribution de la jouissance du logement conjugal pour le conjoint qui n’est pas l’auteur des violences à condition qu’il en fasse la demande " sauf circonstances particulières sur ordonnance spécialement motivée ". Cette disposition relève en réalité du bon sens : il est impensable de laisser perdurer des situations dans lesquelles des personnes victimes de violences souvent accompagnées d’enfants se retrouvent en situation d’urgence précaire sur le plan social, en multipliant les foyers d’hébergement. D’ailleurs, en période de crise sanitaire, certains foyers se sont retrouvés confrontés à des difficultés pour recevoir des personnes en situation de violences conjugales, faute de places ou de situation adaptée [17]. L’article 515-11 du Code civil ajoute une sécurité pour les situations dans lesquelles le conjoint victime demandeur d’une ordonnance de protection hésiterait à solliciter l’attribution de la jouissance du bien, notamment en raison de craintes vis à vis du devenir de la situation financière ou du partage des frais locatifs.

Pour rassurer la partie demanderesse, le juge peut désormais attribuer la jouissance du bien au conjoint victime de violences " même s’il a bénéficié d’un hébergement d’urgence ". Dans ce cas alors, " la prise en charge des frais afférents peut être à la charge du partenaire ou concubin violent ". Cette modalité est bienvenue puisqu’elle vient dans un premier temps alléger la situation du conjoint victime qui dans certains cas fait l’objet d’un hébergement d’urgence ou d’une mise à l’abri provisoire en ayant laissé le domicile conjugal au conjoint violent, par peur de représailles entre l’éventuel dépôt de plainte au commissariat ou à la gendarmerie et le dépôt de la requête au greffe du tribunal. Surtout, c’est un signal important visant également à réconforter la position du conjoint victime pour qui l’abandon contraint du domicile est bien souvent une épreuve supplémentaire conjugué à l’incertitude de la situation locative après l’audience du juge aux affaires familiales. Sensibiliser les conjoints violents est désormais partie intégrante du sens de ce nouvel article puisque le juge peut non seulement prononcer l’éviction du conjoint violent mais également lui faire supporter " la charge des frais afférents " comme les frais de location ou les charges immobilières. Il est légitime de penser que le juge apprécie souverainement certains critères au moment de ce choix de protection comme la présence de la partie demanderesse sur le bail d’habitation et la santé financière du défendeur, afin de se prémunir contre tout risque d’impayés de loyer notamment.

L’article 1er de la loi du 30 juillet 2020 modifie l’article 515-11 3° et 4° du Code civil en érigeant désormais comme principe l’attribution du logement conjugal au conjoint, au concubin, ou au partenaire lié par un PACS, qui n’est pas l’auteur des violences. Le législateur a donc fait d’une règle ce qui était jusqu’ici une possibilité pour la partie demanderesse à l’ordonnance de protection, dans un soucis de cohérence pour les intérêts du conjoint victime mais aussi des enfants communs.

Afin de ne pas laisser le conjoint victime dans l’incertitude de rester dans le domicile conjugal malgré l’éviction du conjoint violent, le législateur est venu faciliter le départ du local d’habitation en ajoutant à la liste des personnes éligibles au préavis raccourci à un mois " le locataire bénéficiaire d’une ordonnance de protection ou dont le conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin fait l’objet de poursuites, d’une procédure alternative aux poursuites ou d’une condamnation, même non définitive, en raison de violences exercées au sein du couple ou sur un enfant qui réside habituellement avec lui " [18]. Cette modification de la loi régissant les baux locatifs permet désormais au locataire victime de violences conjugales de bénéficier d’un préavis réduit de trois mois à un mois afin de faciliter le départ du local d’habitation y compris s’il s’agit d’atteintes à l’intégrité physique de l’enfant commun ou non, cette précision pouvant également appréhender les situations de familles recomposées.

Rappelons par ailleurs qu’en cette période de crise sanitaire, le gouvernement encourage les efforts en matière de lutte contre les violences conjugales. Des efforts ont été déployés au sein des parquets dès le début de la crise sanitaire afin de prévenir les passages à l’acte dès le stade de l’orientation d’une enquête. La circulaire du 25 mars 2020 dite " de présentation des dispositions applicables pendant l’état d’urgence sanitaire et relative au traitement des infractions commises pendant l’épidémie de Covid19 " invite les procureurs à maintenir des réponses pénales permettant l’éviction du conjoint violent dans les
situations qui le justifient. C’est le cas notamment lorsque le procureur est saisi à la suite d’une intervention des forces de l’ordre consécutive à un appel au " 17 " [19], d’une plainte de la victime pour violences conjugales ou d’un signalement (main-courante, procès-verbal de renseignement judiciaire ou signalement d’un professionnel de l’enfance ou de la santé...).

Le parquet, le cas échéant par le biais d’associations ou le service pénitentiaire d’insertion et de probation en charge de l’enquête sociale rapide en cas de déferrement, ou à défaut, des enquêteurs, peut entrer en contact direct avec un opérateur (l’association Groupe SOS Solidarités) qui se chargera de trouver l’hébergement et de procéder à toutes les démarches nécessaires, en lien notamment avec les directeurs régionaux aux droits des femmes et à l’égalité. Une coordination est aussi mise en place avec les acteurs spécialisés dans le suivi des auteurs comme la fédération Citoyens et Justice et la FNACAV pour permettre le suivi des prévenus placés sous contrôle judiciaire.

b) le renforcement des interdictions de contact et de paraître.

Mesure phare de l’ordonnance de protection du juge aux affaires familiales, l’interdiction d’entrer en contact prescrite au 1° de l’article 515-11 du Code civil est la mesure la plus sollicitée (83% des demandes). Elle permet de prévenir toutes les situations de contact entre le conjoint violent et le conjoint victime puisqu’elle interdit au défendeur de " recevoir ou de rencontrer certaines personnes spécialement désignées par le juge, ainsi que d’entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit ". Cette interdiction concerne à la fois les entrées en contact physiques mais également dématérialisées (tels que les appels malveillants, harcèlement par voie de télécommunication ou autre procédé). Cette interdiction peut protéger la partie demanderesse elle-même mais aussi les enfants communs ou tout autre personne " spécialement désignée " dès lors que des éléments permettent au juge d’apprécier un danger pour ces personnes qu’il s’agisse d’un parent, autre membre de la famille ou proche de la partie demanderesse. Cette interdiction d’entrer en relation ne permettant pas d’appréhender les situations d’intimidation aux abords du domicile du demandeur voir sur son lieu de travail, le législateur a renforcé cette interdiction d’entrer en contact par une nouvelle interdiction, élargissant au passage les prérogatives du juge aux affaires familiales.

Depuis le 1er janvier 2020, l’article 515-11 du Code civil prévoit un 1° bis donnant la possibilité pour le juge aux affaires familiales " d’Interdire à la partie défenderesse de se rendre dans certains lieux spécialement désignés (..) dans lesquels se trouve de façon habituelle la partie demanderesse ". Afin de pallier à des incertitudes nourries à la fois par les victimes de violences mais également les forces de l’ordre dans les situations où le défendeur se rapprochait des lieux fréquentés par le conjoint victime sans entrer en contact avec lui, cette nouvelle interdiction permet au juge aux affaires familiale de " désigner certains lieux dans lesquels se trouve de façon habituelle la partie demanderesse ". Cette nouvelle interdiction de paraître au domicile, qui peut également être rapprochée de celle que peut prononcer le juge pénal [20], permet de garantir une protection dans des lieux tels que le domicile du conjoint victime mais aussi le lieu d’activité professionnelle ou l’école fréquenté par les enfants.

Il est utile de rappeler que le non respect des mesures prononcées dans l’ordonnance de protection est un délit puni de 2 ans d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende [21].

Annoncé depuis sa création dans la loi Pradié du 28 décembre 2019, le bracelet anti-rapprochement (BAR) [qui devrait être pleinement déployé en décembre 2020 selon l’ancienne garde des sceaux Nicole Belloubet [22] [23], fait partie des dispositifs que le juge aux affaires familiale peut également ordonner. Il s’agit selon l’article 515-11-1 du Code civil dans sa version entrée en vigueur le 1 août 2020 de

" prononcer une interdiction de se rapprocher de la partie demanderesse à moins d’une certaine distance qu’il fixe et ordonner, après avoir recueilli le consentement des deux parties, le port par chacune d’elles d’un dispositif électronique mobile anti-rapprochement permettant à tout moment de signaler que la partie défenderesse ne respecte pas cette distance. En cas de refus de la partie défenderesse faisant obstacle au prononcé de cette mesure, le juge aux affaires familiales en avise immédiatement le procureur de la République ".

Pouvant également être prononcé par le juge pénal [24], ce nouveau dispositif qui peut apparaître à différents égards plus efficace que le téléphone grave danger (TGD), vise à géolocaliser en temps réel l’auteur des violences et la victime : l’auteur porte un bracelet posé généralement à la cheville par un membre de l’administration pénitentiaire, tandis que la victime se voit confier un boîtier, de petite dimension, qu’elle peut glisser dans son sac à main ou dans une poche. Un centre de surveillance reçoit une alerte si l’auteur se rapproche de la victime en-deçà d’une certaine distance fixée par le juge permettant ainsi de prévenir le conjoint violent qu’il doit s’éloigner. En cas de refus d’obtempérer, une deuxième alerte se déclenche afin que les forces de l’ordre interviennent et que la victime puisse se mettre à l’abri.

En définitive, l’ordonnance de protection est une procédure d’urgence dont le législateur vient par retouches successives améliorer la mise en oeuvre afin de faciliter le dépôt de la demande au tribunal et protéger les personnes victimes de violences conjugales.

La nouvelle loi du 30 juillet 2020 vient renforcer l’arsenal législatif en la matière mais des efforts restent espérés, le nombre de meurtres par conjoint ne cessant d’avancer. Selon le collectif " NousToutes ", un 62ème féminicide aurait été recensé depuis le 1er janvier 2020 [25].

Nicolas Sakala-Tati Juriste

[2Article 515-11 alinéa 1 du Code civil.

[3Tel que le prévoyait l’article 1136-3 du Code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret du 27 mai 2020.

[4Article 1070 du Code de procédure civile.

[5Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 13 février 2020, n°19-22.192.

[6Article 1136-3 dernier alinéa du Code de procédure civile.

[9Article 642 du Code de procédure civile.

[10Article 41-3-1 2° du Code de procédure pénale.

[11Voir Présentation générale, Guide pratique de l’ordonnance de protection.

[13Bien que n’étant pas obligatoire depuis le 1er janvier 2020 : Article 515-10 du Code civil.

[14Article 515-9 du Code civil.

[15Emission " 28 minutes " du 28/07/2020 sur Arte consacrée en première partie aux violences conjugales avec comme invitée Isabelle Rome rappelant les objectifs à atteindre à l’aune de la loi du 30 juillet 2020.

[16Pays précurseur en matière de lutte contre les violences conjugales depuis une loi de 2004, l’Espagne s’est dotée de tribunaux spécialisés pour les violences conjugales. En 2019, sur 39 000 demandes, la justice a accepté 27 000 ordonnances de protection.

[183° bis du I de l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986.

[20Article 131-6 12° du Code pénal et 138 3° du Code de procédure pénale.

[21Article 227-4-2 du Code pénal.

[231 000 dispositifs sont d’ores et déjà prévus.

[24Article 138-3 du Code de procédure pénale pour le Juge des libertés et de la détention, 132-45-1 du Code pénal pour le Tribunal correctionnel.

[25Dans la nuit du mercredi 19 au jeudi 20 août 2020, une femme a été mortellement poignardée à Rennes (Ille est vilaine). Son compagnon a été placé en garde à vue.

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