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Sur la plage « couvrez ce sein que je ne saurais voir » … une approche juridique de la pratique du « topless ». Par Camille Manya, Avocate.
Parution : mardi 25 août 2020
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Julien Clerc chantait, à l’été 1997 :
« Faut des ronds, faut des courbes,
Des marchands d’marrons, rue Lecourbe.
Faut des ballons, des cerceaux
Et les seins de Sophie Marceau
 ».
Pourtant, des publications sur les réseaux sociaux laisseraient entendre que certains représentants des forces de l’ordre, sur la plage, n’auraient pas vraiment à cœur d’arrondir les angles…

Une drôle d’affaire agite actuellement les réseaux sociaux et les médias, locaux voire nationaux, depuis quelques jours.

Elle se serait déroulée dans une station balnéaire des Pyrénées-Orientales.

Jeudi 20 août dernier, sur la plage de Sainte-Marie-La-Mer, deux gendarmes réservistes auraient demandé à plusieurs femmes de se couvrir la poitrine, avec leurs maillots de bain.

La Commune de Sainte-Marie-La-Mer a immédiatement communiqué, indiquant qu’il s’agissait d’un acte isolé, indépendant de sa volonté, car elle précise qu’aucun acte réglementaire, applicable sur le territoire communal, n’interdit aux femmes de bronzer seins nus, sur la plage.

Cette précision, assez bienvenue de la part de la collectivité, permet de s’assurer que cette injonction serait, en tout état de cause, intervenue, en dehors de tout cadre législatif, mais également réglementaire.

Quel est le cadre juridique du bronzage seins nus, appelé couramment « topless » ?

D’une part, cette pratique est autorisée par la loi.

Dans le code pénal, rien n’interdit de profiter du soleil ou de la baignade les seins nus, sur une plage.

L’article 222-32 du Code pénal prévoit que :

« L’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».

Le délit d’exhibition sexuelle suppose que le corps ou la partie du corps volontairement exposé à la vue d’autrui soit ou paraisse dénudé.

C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt de sa chambre criminelle du 4 janv. 2006, n° 05-80.960.

Il est par ailleurs, jugé depuis bien longtemps que le spectacle de la nudité du corps humain, fréquent à notre époque, pour des raisons de sport, d’hygiène ou d’esthétique, n’a rien en soi qui puisse outrager une pudeur normale, même délicate, s’il ne s’accompagne pas de l’exhibition des parties sexuelles ou d’attitudes ou gestes lascifs et obscènes.

Par exemple, l’arrêt de la Cour d’appel de Riom du 16 novembre 1937 : DH 1938. 109 ; RSC 1938. 301, évoque ce cas précis.

En revanche, dans les rues adjacentes à la plage, une femme ne peut se promener les seins nus.

Le Tribunal correctionnel de Grasse a, dans un jugement du 29 mai 1965, JCP 1965. II. 14323, estimé que le spectacle d’une femme s’exhibant la poitrine entièrement nue, dans les rues d’une ville, même à proximité d’une plage, était de nature à provoquer le scandale et à offenser la pudeur du plus grand nombre.

Très récemment, dans un arrêt du 26 février 2020, n° 19-81.827, les juges de la chambre criminelle de la Cour de cassation ont retenu qu’incriminer l’exhibition de la poitrine d’une femme, lorsqu’elle s’inscrit dans une démarche de protestation politique, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, constitue une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression.

La Cour se penchait sur le cas bien connu de Iana Zhdanova, ex-Femen poursuivie pour exhibition sexuelle après un happening au musée Grévin, en 2014, près de la statue du Président russe, Vladimir Poutine, au cours duquel elle a ôté ses vêtements du haut.

Les juges semblent, par cette jurisprudence, avoir à cœur de préserver la liberté d’expression, liberté constitutionnelle, qui est le fondement de toute société démocratique.

Du côté de la loi, rien n’interdit donc à une femme de bronzer sur la plage seins nus.

D’autre part, on imagine mal un acte réglementaire interdire cette pratique.

Rappelons que le Maire d’une commune est compétent pour prendre toutes les mesures nécessaires au maintien de la sécurité publique sur le territoire de sa commune, en vertu de l’article L2212-2 et suivants du Code général des collectivités territoriales.

Au même titre qu’il peut par exemple, réglementer la vitesse en agglomération, par la voie d’un arrêté municipal, il pourrait interdire la pratique du topless sur les plages de sa commune, en prévoyant une interdiction, ainsi qu’une sanction en cas de non-respect.

La plage n’échappe pas à la règle.

On se souvient de la polémique, il y a quelques années, à propos cette fois, d’une interdiction de se vêtir d’une certaine façon, en l’occurrence, de porter sur certaines plages, des burkinis.

Le Conseil d’Etat a mis un coup d’arrêt à ces arrêtés, en précisant, dans une ordonnance en date du 26 août 2016, n° 402742, 402777, que le burkini ne cause aucun trouble à l’ordre public et son interdiction menaçait les libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle.

Dès lors, sur la plage, les femmes sont libres de se vêtir mais également, de se dévêtir.

Citons l’exception des quais de Seine, au lieu où, chaque année, les installations de Paris-Plage agrémentent l’été parisien.

Dans un arrêté municipal en date de 2006, le Maire de Paris de l’époque avait édicté que :

« Le comportement du public doit être conforme aux bonnes mœurs, à la tranquillité, à la sécurité et à l’ordre public (...). Sont notamment interdits : les tenues indécentes (naturisme, string, monokini, etc) ».

Bien qu’il ne s’agisse pas exactement de la même situation, on peut souligner que le Tribunal administratif de Montpellier a déjà « mouillé le maillot » sur cette question de nudité partielle, puisqu’il a eu à se prononcer sur la légalité d’un arrêté municipal, pris par le Maire de la Grande-Motte, qui interdisait, en dehors des plages et de la promenade de la mer, de se trouver sur la voie publique en étant seulement vêtu d’une tenue de bain, le torse nu.

Par un jugement en date du 18 décembre 2007, n°053863, la juridiction a précisé qu’en l’absence de circonstances locales particulières, le seul caractère immoral allégué desdites tenues, à le supposer même établi, ne peut fonder légalement leur interdiction, nonobstant le caractère limité dans le temps de celles-ci.

Cet arrêté a ainsi été annulé.

Il s’agit d’une application pure et simple de la position du Conseil d’Etat, plus haute juridiction administrative, qui considère, dans son arrêt Commune d’Arcueil, du 8 décembre 1997, n°171134, que l’atteinte à la moralité publique ne peut fonder une intervention au titre de la police générale, que si cette atteinte résulte de circonstances locales particulières et est à l’origine de troubles à l’ordre public.

Il n’est pas inutile aussi de rappeler que le juge administratif doit contrôler pleinement les motifs qui justifient une mesure de police, et notamment les risques de troubles à l’ordre public, ainsi que la proportionnalité de la mesure retenue au regard de ces risques.

C’est ce que le Conseil d’Etat a précisé dans son arrêt bien connu de 1933, Benjamin.

Ainsi, on peut légitimement penser que le juge administratif serait ainsi amené au regard de ces décisions, à annuler un éventuel arrêté municipal interdisant la pratique du topless sur la plage.

En conclusion, si les faits sont avérés, ces deux gendarmes auraient donc agi, en dehors de tout cadre législatif et réglementaire, puisque la Commune de Sainte-Marie-La-Mer indique n’avoir nullement édicté, par arrêté municipal, une telle interdiction.

Une enquête administrative sera certainement menée au sein de leur administration, permettant ainsi de faire toute la lumière sur la matérialité des faits et des injonctions, qui auraient été formulées par leur soin.

Camille MANYA Avocate au Barreau des PYRÉNÉES-ORIENTALES 20 rue Camille Desmoulins 66 000 PERPIGNAN mail: [->cmanya.avocat@gmail.com]
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