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Numerus clausus : toute université doit respecter le principe d’égalité devant le Service Public. Par Romain Bernier, Avocat.
Parution : jeudi 27 août 2020
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Le Tribunal administratif de Nantes (21 février 2020) a annulé une délibération de l’université d’Angers (concours de médecine de 1ère année) en raison d’une atteinte au principe d’égalité devant le Service Public.

Le Tribunal administratif de Nantes dans un jugement du 21 février 2020 a annulé cette décision en raison d’une atteinte au principe d’égalité devant le Service Public.

[Pour rappel, les trois « Grands Principes du Service Public » tels qu’ils ont été théorisés sont : l’égalité, la continuité et la mutabilité.]

L’Université d’Angers a choisi, pour l’année 2015-2016, d’expérimenter une alternative au concours de médecine tel qu’on le connaissait jusqu’ici.

En effet, traditionnellement, le concours de médecine était organisé en deux semestres à la fin desquels les étudiants passaient un concours permettant l’établissement d’un classement. Lors des résultats, généralement les étudiants sont réunis dans un amphi, et sont appelés au fur et à mesure de leur classement à énoncer leur choix de carrière (médecine, dentiste, maïeutique, kiné, ophtalmo…).

Chacune des filières est limitée par un numerus clausus propre. Si lors de l’appel de l’étudiant, dans l’amphi, le numerus clausus d’une filière est atteint alors l’étudiant devra se rabattre sur un autre choix ou redoubler (sachant qu’un seul redoublement était possible). Ainsi chez les P1 à l’époque il y avait les bizuts (bachelier), les carrés (²) (redoublants) et même quelques cubes (3) qui à la suite du bac préparaient, sans s’inscrire en 1ère année, le concours et sans le passer.

Inutile de préciser l’état de stress dans lequel lesdits étudiants doivent être en ce jour où leur avenir professionnel se joue, mais tel est le « jeu » et il permet de retenir les meilleurs au concours.

Le système semble efficace car le professionnel du droit de la santé que je suis ne peut que constater la qualité de la formation des médecins français, d’ailleurs parfaitement reconnu dans le monde.

Pour autant, l’Université d’Angers a activement participé à l’évolution de ce concours, en organisant le Pluripass.

Les évolutions :
- 3 semestres au lieu de 2 ;
- Le 3ème semestre comprend des cours d’autres parcours (droit, bio, sciences humaines…) ;
- Les étudiants qui échouent à la fin du 3ème semestre, mais dont les notes sont suffisantes dans les autres parcours, intègrent directement la L2 de cet autre parcours ;
- Il n’est plus possible de redoubler.

La difficulté se trouve en ce que, en 2014-2015, l’ancien système permettait le redoublement mais pas en 2015-2016, année durant laquelle se retrouvaient donc inscrits des bizuts (primants) et des redoublants (de 2014-2015).

C’est ainsi que, pour des raisons « inconnues », l’Université a choisi d’élargir le numerus clausus initial (170) de 30 places.

A la fin du deuxième semestre, les meilleurs étudiants au concours accédaient, sans avoir à faire le 3ème semestre, directement en 2ème année de médecine.

Les autres étudiants devant se battre pour le reste du numerus clausus (comprenant les 30 places supplémentaires) au cours du 3ème semestre.

Problème : le numerus clausus additionnel (30 places) a été réservé aux seuls primants.

Ainsi, certains primants ayant eu une moins bonne moyenne générale au concours que certains redoublants pouvaient choisir médecine alors que ces derniers restaient limités par le numerus clausus de 170.

Difficulté : le 3ème semestre était totalement nouveau (nouveaux cours, nouvelles matières, nouveaux examens).

Au terme d’une instruction de 3 ans (requête déposée le 6 février 2017, jugement du 21 février 2020) le Tribunal administratif de Nantes a considéré que cette réserve du numerus clausus additionnel aux seuls primants était une atteinte au principe d’égalité devant le service public et a ainsi sèchement annulé la délibération.

Il faut rappeler l’évidence : l’article 1er de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen rappelle :

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.
Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune
 ».

En droit administratif et notamment dans le contentieux des concours et examens, cet article n’est pas resté lettre morte puisque le Conseil d’Etat a érigé en Principe Général du Droit le principe d’égalité des candidats à un concours ou un examen.

Ainsi dès 1967 le Conseil d’Etat se réfère aux « principes généraux de droit applicables même sans texte » [1], dans ce contentieux.

En 1978, dans un arrêt d’assemblée, le Conseil d’Etat va ériger dans ce domaine, le « principe d’égalité entre les candidats à un concours » [2].

Cette jurisprudence a ensuite été confirmée et réaffirmée clairement par le Conseil d’Etat notamment dans un arrêt du 27 mai 1987 [3].

Conformément à sa jurisprudence relative au principe d’égalité, le Conseil d’Etat rappelle ainsi les limites à l’application de ce principe et notamment qu’il ne trouve pas à s’appliquer lorsque les situations des intéressés sont différentes.

Ainsi dans un arrêt du 22 novembre 1999 (196437), le Conseil d’Etat rappelle que :

« le principe d’égalité n’implique pas que les candidats à un même concours se trouvant dans des situations différentes soient soumis à des épreuves différentes ».

La question est donc clairement de savoir si des étudiants redoublants et des étudiants primants sont dans une « situation différente ».

En réalité, cette question a déjà été abordée par le Conseil d’Etat.

En effet dans un avis du 11 octobre 1990 (348653) le Conseil d’Etat a répondu à la question :

« Une bonification de points peut-elle être attribuée lors des épreuves de fin de première année de premier cycle des études médicales, odontologiques ou pharmaceutiques au bénéfice des seuls candidats ayant obtenu leur diplôme du baccalauréat l’année précédente, afin de sélectionner préférentiellement, pour le passage en deuxième année, les étudiants qui parviennent au niveau souhaitable de connaissances après une année de préparation au lieu de deux ? ».

A cette question le Conseil d’Etat a répondu, clairement et précisément :

« Le respect des principes généraux du droit s’impose, même sans texte, à l’autorité réglementaire. Au nombre de ces principes, figure le principe d’égalité entre les candidats admis à se présenter à un même examen ou à un même concours. II appartient au ministre compétent et aux autorités universitaires de veiller rigoureusement à son application.
La détermination, pour un même concours ou examen de modalités différentes suivant les candidats, sous la forme de bonifications de points, implique qu’il existe entre les usagers des différences de situation appréciables ou que cette mesure soit justifiée par une nécessité d’intérêt général en rapport avec les conditions d’exploitation ou l’objet du service.
Or, d’une part, s’il existe une différence de situation entre les candidats qui, ayant obtenus le baccalauréat l’année précédente, se présentent pour la première fois aux examens de fin de première année des études médicales, odontologiques ou pharmaceutiques, et les autres candidats, cette différence, étrangère aux aptitudes et à l’acquisition des connaissances que ces examens ont, aux termes des textes en vigueur, pour fin d’apprécier, n’est pas au nombre de celles qui peuvent justifier l’attribution d’une bonification de points au bénéfice de la première catégorie de candidats
 ».

La question de la « situation différente » entre deux candidats (primant et redoublant), si elle existe, ne permet pas de traiter différemment ces deux candidats.

A venir : le contentieux indemnitaire lié à cette faute (car toute illégalité est une faute : Conseil d’Etat, Section, du 26 janvier 1973, 84768, Driancourt).

Romain Bernier Avocat au barreau d'ANGERS www.bernier-avocat.com [->contact@bernier-avocat.com]

[1Conseil d’Etat, 13 juillet 1967, 68680, publié au recueil Lebon.

[2Conseil d’Etat, 29 décembre 1978, 03285, publié au recueil Lebon.

[344439, publié au recueil Lebon.

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