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Responsable juridique au sein d’un hôpital : mettre le droit au service des usagers et des soignants.
Parution : mardi 8 septembre 2020
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20 heures au mois de mars 2020 : nous applaudissions à nos fenêtres... Nous applaudissions le "personnel hospitalier" qui affrontait alors une crise sanitaire historique. Si dans nos têtes, nous pensions en premier lieu aux soignants, il faut espérer que le reste du personnel - notamment administratif - a entendu cette reconnaissance, car eux aussi ont dû monter sur le pont pour affronter la tempête Covid.
Carine Grudet, Responsable des affaires juridiques au Centre Hospitalier de Versailles, en témoigne ici au travers d’une interview qui permet au Village de la Justice de mettre à l’honneur les juristes de l’Hôpital public.

Quel parcours avez-vous suivi pour devenir responsable juridique dans un hôpital public ?

"Après un parcours universitaire classique en droit et une spécialisation en droit de la santé, j’ai souhaité exercer mon métier de juriste en milieu hospitalier. En 1999, le droit de la santé émerge et est peu connu, l’exercice en établissement de santé encore moins. Le statut de contractuel n’étant pas répandu, j’ai dû passer des concours de la fonction publique pour pouvoir intégrer l’hôpital.

J’ai ainsi commencé ma carrière à l’AP-HP, à l’hôpital de Bicêtre en tant que responsable juridique et financier de la recherche clinique.
Puis j’ai intégré l’hôpital Necker-Enfants malades où j’ai monté le service juridique jusqu’alors inexistant. J’ai dirigé les affaires juridiques pendant presque 9 ans jusqu’à ce que le Centre hospitalier de Versailles me contacte afin de prendre la responsabilité du service des ressources humaines. Après 2 ans d’exercice, j’ai souhaité revenir à mon cœur de métier et le centre hospitalier de Versailles m’a proposé de reprendre le service des affaires générales et de monter celui des affaires juridiques inexistantes. J’ai ainsi depuis maintenant 4 ans, la responsabilité des affaires juridiques du Centre hospitalier de Versailles qui comprend la coordination des hospitalisations des soins sans consentement en psychiatrie."

Il faut savoir être disponible et réactif et ne pas avoir peur de la maladie et de la souffrance.

Concrètement, quelle est votre mission ? Comment s’articule-t-elle avec les autres directions ?

"Ma mission se partage entre les consultations juridiques qui consistent essentiellement en la gestion de situations particulières afin de savoir quoi faire ou alors comment solutionner des situations pour lesquelles le droit commun ne permet pas toujours de répondre, la gestion des demandes amiables de réparation de préjudice, le contentieux de la responsabilité médicale et la coordination de la gestion des hospitalisations de soins sans consentement en psychiatrie. Cette activité est très importante car outre le fait d’être le signataire par délégation, des décisions d’admission, de maintien, de saisine du juge des libertés et de la détention, je plaide les dossiers et représente ainsi la direction lors des audiences du JLD [1] et en appel. Cette activité qui était nouvelle pour moi, est très exigeante et implique une grande disponibilité tant auprès du service de psychiatrie qu’auprès les patients.

Je reste pour les autres directions fonctionnelles, une collaboratrice support, devant être à même de pouvoir répondre à des questions touchant différents domaines. Depuis 3 ans, nous disposons d’une cellule de la commande publique distincte. Mon exercice exclut ainsi les marchés publics, le contentieux relatif aux travaux et le contentieux social où la direction fait appel à des cabinets d’avocats.

Mon activité se limite ainsi au droit de la santé, droit pénal de la santé et les branches du droit souvent connexes telles que droit civil et droit de la famille."

Quelle spécificité revêt votre direction juridique par rapport à d’autres secteurs d’activité ?

"La première particularité est que mon secteur est fonctionnellement rattaché à la direction de la qualité, de la gestion des risques et des relations avec les usagers. Il n’y a pas de direction juridique à proprement parler. Ce n’était pas le cas à Necker. A l’arrivée du nouveau directeur général, ce dernier a fait le choix d’une nouvelle organisation et d’un nouveau rattachement de mon activité. Auparavant, j’étais fonctionnellement et hiérarchiquement rattachée à la direction générale. Mon changement de rattachement ne change pas réellement mon exercice mis à part que je dois dorénavant gérer également ce qu’on nomme les réclamations, auparavant gérées par une chargée des relations avec les usagers.

Il n’y a donc plus d’affichage d’un service juridique, ce qui est dommage à mon sens, ce d’autant que j’ai une grosse activité de consultation juridique, de gestion de pré-contentieux et contentieux et de gestion des relations police-justice."

Quelles qualités doit avoir selon vous, un.e responsable des affaires juridiques, notamment dans le cadre du service public hospitalier ?

"Question délicate mais outre l’humilité qui à mon sens est la qualité première de tout juriste, il faut avant tout savoir être disponible, accessible et réactif, ne pas craindre que sa journée soit bouleversée par un imprévu et surtout ne pas avoir peur de la maladie, la souffrance. Car on est confronté au quotidien aux situations parfois les plus terribles. J’ai fait le choix d’exercer dans le sanitaire car le handicap et la gériatrie ne me mettent pas à l’aise. Il est important de savoir reconnaître ses limites."

"Cette période exceptionnelle nous a demandé de nous réinventer et de nous affranchir de certaines règles de gestion."

Hôpital public en crise, crise sanitaire historique : comment cela impacte votre direction ? A l’inverse, quelle aide pouvez-vous apporter à l’établissement au travers de votre travail pour surmonter la crise ?

"La crise du Covid-19 a bouleversé nos organisations et nos manières de travailler. Nous avons dû en à peine quelques heures, transformer notre hôpital. Pour les directions fonctionnelles, il a fallu nous réorganiser également et être en mesure de répondre aux demandes à la fois techniques telles que la pression des chambres devenues des chambres Covid, l’achat de lit de réanimation et de l’ensemble du matériels nécessaires, l’achat de blouses, masques etc., gérer les dons en tout genre, fruit de la générosité des entreprises privés, des libéraux, des particuliers…

Pour ma part, outre mon activité relative aux soins sans consentement qui a été encore plus importante qu’en période « normale », j’ai adapté mon exercice au rythme des soignants. J’ai parfois contribué à aider mes collègues dans des domaines hors de mon champ de compétences, telles que les ressources humaines ou tout simplement distribuer du matériel.

Cette période exceptionnelle nous a demandé de nous réinventer et de nous affranchir de certaines règles contraignantes de gestion, ce qui nous a été largement facilité par le corpus juridique de l’état d’urgence sanitaire.

"Je peux rendre plus lisible pour les équipes la règle juridique ou être en prise directe avec les équipes médicales et les patients, où le droit est accessoire."

Pendant cette période, c’est sans nul doute la casquette de relations avec les usagers qui a été la plus valorisée. Le versant juridique de ma fonction a été laissé quelque peu de côté. Cela n’était plus l’essentiel. Cela demande une adaptabilité qui au final ne fut pas compliquée dans la mesure où exercer en établissement de santé appelle souvent à devoir trouver des solutions alors même que le droit ne l’a pas prévu. Il faut donc faire avec le réglementaire ou sans quand le droit laisse un vide juridique tout en prenant en compte la situation pour solutionner le problème.

Le juriste à l’hôpital doit savoir parfois laisser de côté cette rigueur juridique et faire preuve simplement de bon sens pour permettre aux équipes de travailler sereinement et en toute sécurité juridique. J’ai ainsi été plus en appui des équipes de direction et de l’ensemble des personnels pendant cette crise.

Être juriste à l’hôpital est passionnant, on est en transversal et les journées ne se ressemblent pas. J’y apprécie à la fois des moments où je peux manier le droit, rendre plus lisible pour les équipes la règle juridique et l’accompagnement dans son application, et ces moments plus particuliers où je suis en prise directe avec les équipes médicales, paramédicales, les patients, où le droit peut être simplement un accessoire."

Propos recueillis par Nathalie Hantz Rédaction du Village de la Justice

[1Juge de la Détention et des Libertés.