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L’anonymat dans le numérique. Par Désiré Allechi, Juriste.
Parution : jeudi 3 septembre 2020
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Nous vivons dans un monde où rien ne se cache. Les possibilités ou options technologiques pour épier la vie privée existent en nombre illimité. Devenus accros aux Technologies de l’Information et de la Communication, nous devons nous-mêmes assurer notre sécurité en prenant avec beaucoup de réserve la notion d’anonymat qui n’a presque pas de sens avec le numérique.

La vie privée est une notion assez mitigée et dont le contenu sémantique ne fait presque pas l’objet de consensus car son interprétation est sujette à débats. En effet, certains utilisent cette notion pour protéger leurs intérêts illégaux pendant que d’autres trouvent en elle un principe sacro-saint indispensable à la mise en œuvre de leurs droits fondamentaux.

Ce contraste pourrait quelque peu expliquer les diverses interprétations dont elle fait l’objet dans la mesure où on ne peut contrôler véritablement que ce qui est clair avec un cadre juridique bien défini. Toutefois, cela ne devrait en aucun cas être un motif pour faire tout ce que l’on veut impunément. La non clarté d’une notion n’est nullement un motif valable pour transgresser un texte car ce qui est clair pour certains ne l’est pas forcément pour les autres d’où les critiques faites à la théorie du texte clair laquelle théorie prône l’idée selon laquelle un texte clair n’a pas besoin d’interprétation.

Au-delà des considérations doctrinales juridiques alimentant le droit en général, l’on note des bouleversements dans notre monde actuel avec l’avènement du numérique. Ainsi, c’est non seulement la notion de vie privée mais aussi tous les aspects du monde du droit qui ont été impactés tant sur les plans positif que négatif.

En effet, l’avènement du numérique a sans aucun doute apporté des changements conséquents dans nos manières d’agir et ces changements ne sont pas prêts de s’arrêter. Ces changements ont un importantissime impact sur le comportement des individus. En effet, nous n’avons jamais été inquiétés dans nos singularités ou même dans notre vie en société que maintenant.

Avec le numérique, bien que nous feignions de ne pas considérer les alertes lancées par des personnes comme Tristan Harris, nous savons désormais qu’au-delà de ce qu’on nous fait miroiter comme avantages, le numérique n’est pas un eldorado. En clair, derrière tout ce qu’on peut voir comme avantages, se cachent des dangers terribles pour la vie privée des individus. L’un des cas les plus flagrants est la notion d’anonymat dans le numérique.

L’anonymat pourrait être défini comme l’état d’une personne, d’une chose dont on ignore le nom, l’identité. En clair, il ressort de la notion d’anonymat que l’individu ne peut être identifié. Cette définition pousserait à dire que nos échanges via les réseaux sociaux notamment Whatsapp sont bel et bien protégés et ne peuvent être déchiffrés, connus ou même interceptés en principe que par ‘‘les personnes intervenant dans lesdits échanges’’.

Cette définition donnée de la notion d’anonymat donne de faire deux (2) constats :
- Soit la définition est erronée ;
- Soit l’anonymat n’est pas une notion qui est compatible avec le numérique.

L’anonymat est une notion essentielle participant à la protection de la liberté d’expression et au droit au respect de la vie privée. C’est une notion à laquelle chaque individu tient surtout dans les pays à régime autoritaire. A défaut de pouvoir s’exprimer librement (c’est-à-dire dans le strict respect des textes) en ligne sur les plateformes publiques de communication électronique du fait de craintes de représailles, l’on doit pouvoir tenir des discussions qui sont réellement protégées via des plateformes de messagerie instantanée.

Aucune personne aussi négligente soit-elle ou inconsciente des dangers potentiels du numérique, souhaiterait voir ses échanges ou ses correspondances étalées sur la toile car les outils de communication électronique tels que les smartphones sont à la base des canaux personnels de communication.

Par conséquent, il est logique que les informations communiquées via ces outils soient strictement reçues par les personnes habilitées ou autorisées sans interception par qui que ce soit de ces informations car cela est constitutif de délit puni par la loi. A cet effet, l’ordonnance ivoirienne (L’ordonnance n° 2012-293 du 21 mars 2012 relative au Télécommunications et aux Technologies de l’Information et de la Communication en Côte d’Ivoire) sur les télécommunications en son article 162 dispose que,

« l’opérateur ou le fournisseur de services est tenu de garantir le secret des communications.
A cet effet, l’opérateur ou le fournisseur assure ses services sans discrimination quelle que soit la nature du message transmis et prend les dispositions pour assurer l’intégrité des messages
 ».

À titre de droit comparé, l’article 68 de la loi pour une République numérique [1] précise que le secret des correspondances s’applique ainsi à l’identité des correspondants, au contenu, à l’intitulé et aux pièces jointes des correspondances.

Ce principe s’applique à toute personne intervenant dans la prestation de services en lignes de communication à condition d’obtenir le consentement des utilisateurs et pour les seules finalités suivantes :
- L’amélioration du service de communication au public en ligne ;
- La réalisation de statistiques ;
- L’utilisation des données à des fins publicitaires.

S’agissant des données informatiques, le droit ivoirien pose un principe d’interdiction de toute interception desdites données. L’article 4 de la loi relative à la lutte contre la cybercriminalité [2] dispose à cet effet qu’ :

« est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 40 000 000 à 60 000 000 d’amende quiconque intercepte ou tente d’intercepter frauduleusement par des moyens techniques des données informatiques lors de leur transmission non publique à destination, en provenance ou à l’intérieur d’un système d’information ».

Pour revenir aux correspondances électroniques de façon générale, il est important de noter qu’il existe en droit ivoirien des moyens légaux permettant de prendre connaissance du contenu des communications électroniques et donc de porter une atteinte légitime au secret des correspondances électroniques dans un cadre bien défini.

En effet dans le cadre d’une enquête judiciaire il est possible et légal de prendre notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, il est légal d’intercepter les communications électroniques des individus pour infirmer ou confirmer les doutes pesant sur elle.

Mais malheureusement et ce n’est plus un secret pour toute personne qui s’informe, les géants du net utilisent nos conversations sur ou en dehors de nos conversations sur internet pour nous identifier notamment par le croisement des données. Nous sommes donc non seulement traqués par les géants du net mais également par les autorités politiques dans les Etats où la vie privée n’a jamais été considérée.

En clair la sécurité chantée à travers le système de chiffrement sur tous les toits par les géants du net du fait des mises à jour n’est qu’une chimère. Il ne faut donc pas se fier à ce qui est dit car nous sommes dans un système commercial où le dol est la caractéristique première ou disons la marque de fabrique des tenants du monde.

Dès lors que nous utilisons des outils technologiques mis en place par des personnes non soucieuses de la protection de notre vie privée, il est tout à fait logique que notre identité numérique soit à la merci de toute personne ayant les moyens financiers pour s’en offrir.

Rien étant hasardeux dans le numérique, ce sont les petits détails qui produisent les effets les plus indésirables. Face à cette volonté manifeste de nuire à la « vie privée » des individus (s’agissant des géants du net) mais aussi de brimer les droits des citoyens (s’agissant des dirigeants dictateurs), il convient de faire attention en ayant un comportement à la limite de la « paranoïa » avec le numérique car si la traditionnelle oralité elle-même n’a jamais été sécurisée depuis les temps anciens bien qu’il s’agisse de simples paroles qui disparaissent dans l’air, à fortiori les communications via les smartphones qui peuvent être tracées du fait de leurs capacités extraordinaires.

Désiré Allechi, Juriste Spécialiste du Droit des TIC

[1Art. 68 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.

[2Article 8 de la loi n° 2013-451 du 19 juin 2013 relative à la lutte contre la cybercriminalité.