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Des interrogations quant à la liberté de l’acheteur public. Par Philippe Boher, Etudiant.
Parution : jeudi 10 septembre 2020
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Par un jugement du 7 juillet 2020, le tribunal administratif (TA) de Montpellier est venu soulever quelques interrogations quant à la liberté des acheteurs dans le processus de vérification des offres dans le cadre d’un marché public en invitant la ville de Perpignan à reprendre la procédure au stade de l’ouverture des plis pour certains lots.

Tribunal administratif de Montpellier - 7 juillet 2020 - n° 2002342.

Pour rappeler brièvement les faits de l’espèce, la ville de Perpignan avait lancé un avis d’appel à la concurrence le 17 avril 2020 concernant un marché public de garde d’enfants pendant les heures extra-scolaires. Ce marché public était décomposé en 4 lots dont l’association Union Française des colonies de Vacances (UFCV) a répondu aux lots 2 et 4.

Cette dernière avait précédemment eu la chance d’obtenir ce marché à deux reprises depuis 2011 et entretenait donc, une relation de confiance avec la ville de Perpignan. Malheureusement, celle-ci s’est vu notifier, le 10 juin 2020, une décision défavorable pour cause que sa candidature était incomplète.

Plus précisément, l’association UFCV avait omis de déclarer sur l’honneur qu’elle n’entre pas dans les cas d’interdiction de candidater prévus par le Code de la commande publique.

Mécontente de cette décision, l’UFCV a donc intenté une action en justice en soutenant par ses relations avec la ville de Perpignan, cette dernière ne pouvait ignorer qu’elle ne rentrait pas dans les cas d’interdiction de candidater. Dans leurs rendus, les juges ont donné raison à l’association UFCV en invitant la ville de Perpignan à réexaminer les plis pour les lots 2 et 4.

Par ce jugement, le TA de Montpellier invite d’une part à réfléchir sur le principe d’égalité de traitement des candidats dans la phase d’examen des offres (I). D’autre part, emmène à se poser des questions quant à l’aspect optionnel de la mise en place d’un délai supplémentaire.

I- Le principe d’égalité de traitement des candidats mis à l’épreuve dans la phase d’examen des offres des candidats.

Replaçons au préalable le principe d’égalité de traitement des candidats, quelle est sa teneur ? Il découle des principes fondamentaux, rappelés à l’article L3 du Code de la Commande Publique disposant « que les acheteurs et les autorités concédante respectent le principe d’égalité de traitement des candidats à l’attribution d’un contrat de la commande publique ». On comprend ainsi que ces principes s’appliquent à n’importe quel contrat de la commande publique, ils sont essentiels et s’emploient au cas d’espèce.

Maintenant, en s’intéressant uniquement au principe d’égalité de traitement, sa teneur n’étant pas inscrite précisément dans le Code de la commande publique (CCP) ou dans l’ancien Code des marchés publics, c’est la jurisprudence qui comme à son habitude, donne différents indices sur sa teneur et ses limites. Globalement, celle-ci suppose que les candidats réunissent les conditions requises pour présenter leurs candidatures et leurs offres afin que ces derniers soient traités de manières identique et impartiale.

Dans le cas d’espèce, la ville de Perpignan, lors de l’ouverture des plis, constate un manquement au formulaire DC1 par l’absence de réponse au fait de savoir, si l’entreprise entre ou non, dans le cadre d’une interdiction de candidater. Au terme de l’article L2152-1 du Code de la commande publique, l’acheteur « écarte les offres irrégulière, inacceptable ou inapproprié » et écarte ainsi l’association UFCV.

En s’appuyant sur le principe d’égalité de traitement des candidats, cette décision peut paraître légitime, la commune veut maintenir une concurrence effective et pour cela appliquer un régime strict d’égalité de traitement entre les candidats. De ce point de vue, accepter la candidature d’une entreprise du fait de ces antécédentes relations avec l’acheteur ne serait-il pas contraire au principe d’égalité de traitement ? En sanctionnant la ville de Perpignan pour ne pas avoir tenu compte de ces relations « continues » et de « confiance », c’est pourtant ce que montre le TA de Montpellier en sanctionnant l’acheteur de ne pas avoir pris en compte ce facteur dans l’examen du dossier.

Néanmoins, le Code de la commande publique prévoit la possibilité aux candidats d’obtenir un délai supplémentaire afin de compléter la candidature. Ainsi, les juges n’auraient-ils pas voulu sanctionner l’absence de ce réexamen par la ville de Perpignan ?

II- L’accord d’un délai supplémentaire par l’acheteur public : d’une liberté de choix vers l’émergence d’une obligation ?

Si le code de la commande publique prévoit en son article R2144-2 la possibilité pour l’acheteur de donner un délai supplémentaire au candidat afin qu’il complète son offre, l’acheteur public n’en est nullement contraint.

Afin de notifier à l’association UFCV la décision de refus de son offre, la ville de Perpignan s’est appuyé des articles L2152-1 et 2 de la commande publique prévoyant la possibilité pour l’acheteur d’écarter « les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées » puis précise qu’une offre irrégulière « est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu’elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ». Le raisonnement de la ville de Perpignan semble alors cohérent, puisque le Code de la commande publique donne une certaine liberté de manœuvre à l’acheteur public dans les exigences qu’il peut avoir.

Néanmoins, l’article R2144-2 du Code de la commande publique prévoit que

« l’acheteur qui constate que des pièces ou informations dont la présentation était réclamée au titre de la candidature sont absentes ou incomplètes peut demander à tous les candidats concernés de compléter leur dossier de candidature dans un délai approprié et identique pour tous ».

La ville de Perpignan a d’ailleurs fait le choix de ne pas appliquer ce principe puisqu’elle a directement rejeté l’offre de l’UFCV et ne l’a pas invitée à corriger celle-ci. Ainsi, en invitant la ville de Perpignan à reprendre le marché au stade de l’examen des offres pour les lots 2 et 4, le tribunal administratif de Montpellier ne serait-il pas en train de condamner la ville de Perpignan pour son refus de réexamen des offres ?

C’est en effet la thèse qui semble la plus probable, laissant l’acheteur public dans un véritable fou juridique. En effet, que doit faire l’acheteur public dans une situation similaire ? doit-il passer outre le manquement du candidat ou réitérer la manœuvre dans la crainte de subir le même sort.

C’est ici toute la problématique que pose cet arrêt, soulignant ainsi une législation trop vague en la matière, méritant ainsi quelques précisions quant à la liberté de l’acheteur dans les modalités de vérification des offres.

Philippe Boher, étudiant en Master 2 droit public des affaires à Toulouse 1 Capitole
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