Village de la Justice www.village-justice.com

Création de site web et propriété intellectuelle : les bons réflexes. Par Colombe Dougnac, CPI.
Parution : samedi 19 septembre 2020
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/creation-site-web-les-bons-reflexes,36558.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Lors de la création d’un site internet, souvent concomitant à une nouvelle activité ou au lancement d’un nouveau produit et à la recherche d’un nom, il est important de réfléchir en amont à sa stratégie web et de se poser les bonnes questions pour se prémunir contre de futures situations à risque.

1/ S’assurer de la titularité des droits sur le site.

Selon l’article L113-1 du code de la Propriété Intellectuelle, c’est l’entité (personne physique ou morale) qui divulgue le site internet et le communique au public qui est présumée en être l’auteur, sauf preuve contraire. A défaut, celle-ci doit organiser la cession des droits à son profit, afin de pouvoir exploiter, modifier, protéger ou encore céder ledit site.

Deux situations peuvent se présenter lors de la conception d’un site web : l’entreprise fait appel soit à un prestataire externe soit à ses ressources en interne.

Dans le premier cas, le contrat de commande doit prévoir de manière explicite la cession des droits patrimoniaux au profit de l’entreprise.

La cession globale et totale d’œuvre future étant illégale, la clause de cession doit identifier précisément l’objet de la cession et délimiter les droits cédés : leur étendue, la durée, la destination ainsi que la zone géographique concernée. Toute exploitation qui ne serait pas expressément désignée dans la cession est présumée non-cédée.

Au sein de la facture, il convient de différencier le prix relatif à la cession des droits d’auteur de celui relatif à la prestation de réalisation du travail effectué (la cession d’œuvre à titre gratuit étant particulièrement encadrée).

Dans le second cas, le contrat de travail n’opère pas de transfert automatique des droits à l’employeur. En effet, il n’est pas conforme juridiquement de prévoir dans un contrat de travail une clause organisant la cession totale des droits sur les créations à venir d’un salarié, en application du principe de prohibition des cessions globales d’œuvres futures.

Comme pour les contrats de commande, la rémunération peut se faire au prorata des recettes de l’exploitation ou au forfait, mais dans tous les cas, les sommes dues au titre de la création doivent être identifiées et distinctes du salaire.

Par exception, le législateur a prévu certaines situations dans lesquelles l’entité peut s’affranchir de ce formalisme et où les droits sont réputés transmis à l’employeur : les logiciels créés par des salariés dans l’exercice de leur fonction et si le site web relève de la qualification d’œuvre collective.

Compte tenu des différentes situations et du formalisme en la matière, les sociétés doivent s’assurer qu’elles détiennent bien les droits suffisants sur le site web afin d’éviter un risque de contestation et de pouvoir le protéger, notamment par un dépôt.

2/ Protéger le site internet.

L’objectif pour la personne morale, une fois assurée qu’elle détient les droits suffisants, est de s’octroyer un monopole sur les pages de son site et d’empêcher les tiers de les reproduire. Il est envisageable de protéger un site web par le droit d’auteur, mais également par le droit des dessins et modèles, particulièrement pour les interfaces graphiques. Le cumul des protections est possible.

L’avantage du droit d’auteur est que l’œuvre est protégée jusqu’à 70 ans après le décès de l’auteur, durée considérable en comparaison de celle octroyée par la protection des dessins et modèles qui n’est que de 25 ans au maximum.

Faut-il encore remplir les conditions relatives au droit d’auteur que sont l’originalité et une forme concrète de l’œuvre, alors que les conditions relatives aux dessins et modèles sont la nouveauté et le caractère propre.

Rappelons simplement que le seul fait de reprendre des éléments banals n’exclut pas ipso facto une protection au titre de droit d’auteur de leur combinaison. C’est ce qu’a rappelé la Cour de Cassation, dans un arrêt du 12 mai 2011, vente-privée.com c/ club-privé.com :

« enfin, qu’une combinaison d’éléments banals ou fonctionnels peut, en elle-même, présenter un caractère original, si une telle combinaison résulte d’un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur ».

Ou encore, le Tribunal de Paris a plus récemment rejeté les demandes en contrefaçon du site d’e-commerce « 123roulement.com » à l’encontre du site « roulements-courroies.com » en rappelant qu’il ne suffit pas d’énoncer les éléments communs entre les sites mais l’importance pour le demandeur d’apporter la preuve de l’effort personnalisé de son auteur sur chacun des éléments [1].

Si le droit d’auteur n’est pas caractérisé quant au contenu éditorial d’un site web, il est toutefois possible d’invoquer un risque de parasitisme au titre d’une concurrence déloyale [2].

Enfin, il est également recommandé de protéger les éléments distinctifs du site internet à titre individuel que sont par exemple le nom de domaine, un slogan, un logo, un pictogramme …, par le droit des marques, sous réserve de répondre aux conditions prévues en la matière.

3/ Vérifier la sécurité du site.

Les aspects techniques d’un nom de domaine doivent retenir l’attention de l’entité exploitante, qui doit être particulièrement vigilante quant à ces aspects :

- Détenir la main sur la gestion du site.

L’exploitant du nom de domaine doit d’assurer que la société est bien inscrite en tant que titulaire sur la fiche whois et que l’adresse email de contact est une adresse générale et valide. En effet, il arrive que les noms de domaine soient réservés au nom des agences de communication sans être rétrocédés ou que l’adresse email est celle d’un ancien salarié de l’entreprise, ce qui peut s’avérer préjudiciable quand la demande de renouvellement est envoyée à cette adresse.

La mise à jour des contacts de la fiche Whois est donc indispensable.

- Définir un process de renouvellement.

Le process de gestion et de renouvellement d’un nom de domaine principal, institutionnel ou marchand ne doit pas être traité comme les autres noms de domaine de la société, compte tenu de son importance et de sa valeur. Le risque est que le site retombe dans le domaine public, entraînant une coupure de site, voir une récupération par un tiers…

Il est donc essentiel de prioriser les noms de domaine d’une entreprise.

- Vérifier les serveurs DNS.

Il est également recommandé de vérifier chez qui le nom de domaine est hébergé et les conditions contractuelles avec cet hébergeur afin de pouvoir garder la main sur le nom de domaine, particulièrement en cas de changement d’hébergement.

4/ S’assurer de la conformité des mentions obligatoires : mentions légales et données personnelles.

Tout site internet, qu’il soit institutionnel ou marchand, a l’obligation de répondre aux exigences légales que sont :
- les mentions légales
- les conditions générales d’utilisation
- la politique de cookies
- les données personnelles
- les conditions générales de vente pour les sites de e-commerce.

Pour mémoire, ces mentions sont obligatoires pour toutes personnes morales dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne. Le but est que les internautes puissent obtenir les informations nécessaires permettant d’identifier l’éditeur et de le contacter en cas de réclamation.

Elles doivent apparaître dans un format standard ouvert et accessible à chaque page du site.

Le défaut de mise à disposition du public de ces mentions légales est sanctionné d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale.

Les conditions générales d’utilisation, non obligatoires mais fortement recommandées, permettent quant à elles, de régir les potentiels conflits qui peuvent survenir dans le cadre de l’exploitation d’un site avec l’Internaute.

Elles correspondent à une sorte de règlement intérieur du site, et permettent de définir et surtout de limiter la responsabilité de l’éditeur dans le cadre de son exploitation.

Colombe Dougnac, Conseil en Propriété Industrielle, Novagraaf, Bordeaux Novagraaf - Conseils en Propriété Intellectuelle Brevets - Marques - Dessins & Modèles https://www.novagraaf.com/fr

[1TGI, Paris, 12 janvier 2017, Mycelium Roulement c. Todo Material 3L.

[2Article L1240 du Code civil.