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Pluralité de médecins collaborateurs : vers une uniformité du régime applicable aux S.E.L. Par Marie Denimal, Avocat.
Parution : vendredi 25 septembre 2020
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Les règles déontologiques régissant les conditions d’exercice de la médecine démontrent leurs limites, lesquelles en période d’Etat d’urgence sanitaire handicapent sérieusement la gestion d’une patientèle ayant cruellement besoin de soin. Lorsqu’un dispositif à vocation protectrice vis-à-vis des médecins se révèle être un outil de précarité pour ceux qu’il est sensé préserver, c’est l’ensemble du corps médical qui est touché et les patients qui en pâtissent.

Les effets pervers du maintien de la règle du collaborateur unique.

Les professions libérales demeurent soumises aux règles déontologiques, lesquelles, bien que gardiennes d’une tradition garante de l’honorabilité de chacune de ces professions, peuvent faire subir à ceux qu’elles ont vocation de protéger l’effet pervers de l’immuabilité de leurs principes.

Au cœur d’une société qui prône la réactivité et flexibilité exacerbée, l’articulation entre la liberté fondamentale d’entreprendre et la protection de l’indépendance du médecin, conjuguée à l’interdiction de faire commerce de la médecine se révèle des plus délicates à appliquer dans l’exercice de la médecine au quotidien.

Lorsque le législateur a permis aux professions libérales de bénéficier de la création de Sociétés adaptées à leur situation particulière : « les Société d’Exercice Libérales », de nombreux praticiens ont vu en cette opportunité une perspective de liberté d’évolution de leur exercice. Pour la quasi unanimité des S.E.L., cette attente s’est trouvée comblée, cela demeurant sans compter sur les professions attachées au domaine de la santé [1].

L’exercice de la médecine est soumis à deux régimes distincts, qui loin de se compléter coexistent de manière indépendante et se révèlent bien souvent incompatibles, il s’agit des règles du Code de la santé publique et du Code de la sécurité sociale.

Les obstacles auxquelles se trouvent confrontés un médecin souhaitant exercer en association avec d’autres confrères se manifestent dès la création de la Société d’Exercice Libéral.

En effet, le décret n°94-680 du 3 août 1994 relatif à l’exercice en commun de la profession de médecin sous forme de Société d’Exercice Libérale indique dans son chapitre 5 :

« Article 19 : Les associés exerçant leur profession au sein d’une société d’exercice libéral doivent être tous dans la même situation à l’égard de la convention nationale applicable à leur profession ».

Toutefois, lorsque la société réunit des médecins conventionnés dont certains ont choisi de pratiquer des honoraires différents des honoraires conventionnels, la société comme ses membres informe par affichage les assurés de la situation tarifaire de chaque associé.

A priori, cela signifierait que le médecin souhaitant exercer en S.E.L. ne serait pas libre du choix du confrère avec lequel il s’associerait. En effet, le Code de la sécurité sociale insiste sur la règle selon laquelle chaque médecin est tenu par son adhésion à la convention de la sécurité sociale. Dans un article précédent : « Mode d’exercice de la médecine », la question avait mis en évidence l’impériosité du choix du jeune médecin dans ses débuts d’exercice et des conséquences irréversibles sur sa vie professionnelle.

Cela signifie qu’un médecin ayant eu la chance d’être accepté en internat et ayant choisi d’exercer en secteur 2, c’est-à-dire de pratiquer le dépassement d’honoraires, ne pourrait s’associer avec un médecin ayant choisi d’appliquer des honoraires de secteur 1.

Compte tenu de la rareté croissante des praticiens de secteur 2, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) a fort heureusement toléré une atténuation de cette règle, sous réserve de transparence envers la patientèle.

Ce premier écueil distancé, les praticiens se retrouvent rapidement confrontés à un autre obstacle : la limitation de collaboration.

Bien évidemment, si deux praticiens décident d’unir leurs compétences au sein d’une Société d’exercice libérale c’est en nourrissant l’espoir d’une évolution de leur l’exercice et assez rapidement se manifeste la volonté de partager la logistique de la S.E.L. et leurs connaissances avec des collaborateurs.

A ce titre, si la totalité des sociétés d’exercice libérale permettent non seulement une grande liberté d’association mais aussi une grande liberté de collaboration, il n’en est pas de même concernant les médecins.

En effet, le code de déontologie médicale impose à chaque médecin ou Société d’Exercice Libéral de pouvoir s’attacher le concours d’un unique collaborateur (libéral ou salarié) à temps plein ou de deux médecins (libéraux ou salariés) à temps partiels équivalent un temps plein ; il en est de même dans le cas d’étudiants en médecine collaborant en tant que médecins adjoints.

Cette limitation prévue par l’article R4127-87 du Code de la santé publique vient ici exclure totalement les médecins des avantages non négligeables qu’offre la S.E.L. : la liberté de la collaboration multiple.

Or, dans un conteste sensiblement marqué par des difficultés croissantes au sein des services d’urgences et une démographie médicale en tension, cette limitation laisse au dépourvu de jeunes médecins recherchant une collaboration auprès de médecins expérimentés lesquels demeurent complètements impuissants et épuisés face à la demande et à l’obstacle posé par cette règle déontologique qui ne répond plus à l’évolution des besoins sociétaux actuels.

De nombreux groupements de médecins se retrouvent bloqués dans leur évolution. En limitant à un collaborateur par médecin associé, les règles du Code de la sécurité sociale et du Code de la santé public mettent en grande difficulté le fonctionnement des S.E.L. de médecins.

Sous couvert de la protection de l’indépendance du médecin et de la règle selon laquelle il ne peut être fait commerce de la médecine, de jeunes médecins se retrouvent confrontés à la difficulté de s’installer seuls, ce qui en début d’exercice, compte tenu de l’impériosité financière, du manque d’expérience et de l’existence de numérus clausus leur ferme tout opportunité d’exercer leur profession dans des conditions décentes.

A l’inverse, des médecins expérimentés ayant rassemblé des apports logistiques dans des structures offrant des conditions d’exercice remarquables ne peuvent en faire bénéficier les dernières générations de confrères.

Les effets vertueux de la suppression de la règle du collaborateur unique pour d’autre professions para médicales.

D’autres professions dont notamment la profession de chirurgien-dentiste furent confrontées aux mêmes obstacles et dans des conditions identiques. Elles furent également soumises et contraintes par cette règle du collaborateur unique.

Or, par Décret n°2009-168 du 12 février 2009 portant modification de diverses dispositions du code de la santé publique relative à l’exercice de la profession de chirurgien-dentiste (publiée au journal officiel du 14 février 2009) a assoupli cette restriction.

Aussi : « Sous condition, le professionnel installé peut dorénavant faire appel à plusieurs collaborateurs salariés ou libéraux ». Ces dispositions allant dans le sens de l’article 18 de la loi n°2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, ouvrent de nouvelles opportunités d’exercices aux jeunes diplômés.

Pourtant malgré ce constat, le Conseil d’Etat, dans un arrêt en date du 11 octobre 2010[n°330296], confirmait

« qu’un médecin ou une société d’exercice libérale ne peut recourir qu’au service d’un seul collaborateur libéral ou salarié ».

Comment pallier cette difficulté lorsque la volonté de grandir se trouve contrainte par un principe de déontologie incompatible avec le contexte actuel de démographie médicale en tension ?

La S.E.L. de médecins, si elle ne permet pas la pluralité de collaborateurs tant libéraux que salariés, permet la pluralité d’associés.

Ainsi, par application de l’article R4127-87 du Code de la santé publique, une S.E.L. composée d’un médecin de secteur 2 et d’un médecin de secteur 1, pourront chacun avoir le soutien d’un collaborateur libéral ou salarié temps plein(ou plusieurs collaborateurs en temps partiel, dont le cumul du temps de travail équivaudrait à un temps plein).

Il est bien sur évident que le collaborateur salarié du médecin employeur secteur 2, par le régime propre au salariat, lui permettra de facturer au nom du médecin secteur 2 en dépassement d’honoraires. A l’inverse, le médecin collaborateur salarié du médecin employeur secteur 1, ne pourra que facturer au nom du médecin employeur en secteur 1.

De même, la convention CPAM à laquelle le médecin collaborateur libéral a adhéré lui demeure propre et indéfectible, il facture donc en secteur 1 s’il a adhéré à la convention en secteur 1 et ce, même s’il est le collaborateur d’un médecin de secteur 2. Il s’agit là de la simple et stricte application de l’indépendance propre au statut de collaborateur libéral.

Aussi, les associés doivent ils faire montre de stratégie et prendre le temps de discuter avec le collaborateur de sa volonté et des avantages ou inconvénients du statut de collaborateur libéral ou salarié.

Dans l’hypothèse où les associés chercheraient donc à s’agrandir et à s’unir à un nouveau confrère, comme nous l’avons énoncé, une collaboration supplémentaire est à l’heure actuelle tout à fait impossible.

Il reste donc pour seule possibilité d’associer un nouveau confrère qui, à son tour, pourra obtenir le concours d’un collaborateur.

Cependant, si l’association peut sembler une alternative simple et acceptable, il convient de garder à l’esprit que tout associé détient des parts de la Société et est donc détenteur d’un droit de vote qui peut très bien concorder avec les associés fondateurs ou au contraire en différer totalement au risque de bloquer le fonctionnement de la S.E.L.

La manœuvre demeure dangereuse.

Cette disparité de régime nuit considérablement aux médecins et les place en situation de difficulté. Aussi, une question parlementaire aux fins de modification de cette limitation, à l’image du régime applicable aux chirurgiens-dentistes, a-t-elle été rédigée par nos soins et déposée à l’égard du ministère des solidarités et de la santé.

Marie DENIMAL Avocat au barreau de LILLE Docteur en droit privé réparation du préjudice corporel SELARL25ruegounod https://25ruegounod.fr/

[1Loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales.