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Barèmes de capitalisation 2020 - Eléments de comparaison et analyse. Par Charles Joseph-Oudin, Avocat.
Parution : mardi 29 septembre 2020
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Le barème de capitalisation est un instrument indispensable pour l’indemnisation des victimes de préjudices patrimoniaux permanents. La Gazette du Palais a publié son nouveau barème qui apparaît beaucoup plus favorable que ceux de l’ONIAM et des assureurs.

Pour calculer un préjudice futur, on a recours aux barèmes de capitalisation qui donnent le prix de l’euro de rente à un âge déterminé en utilisant 2 variables :
- le taux d’intérêt : c’est la variable essentielle du barème ;
- l’espérance de vie pour chaque âge : elle est donnée par les tables de mortalité publiées tous les deux ans par l’INSEE.

Le barème de capitalisation est un instrument indispensable pour l’indemnisation des victimes de préjudices patrimoniaux permanents, car il permet de convertir en capital, une dépense annuelle engagée par une victime afin de lui permettre d’assumer cette dépense pendant toute la durée nécessaire.

Il est donc utilisé pour calculer le capital nécessaire pour faire face, dans le futur, aux pertes de revenus et aux dépenses liées au handicap de la victime telles que la nécessité de recourir à une aide humaine.

Ainsi par exemple, pour obtenir le coût de la tierce personne permanente d’une femme âgée de 19 ans à la consolidation, évaluée à 4 heures par jour à 18 euros de l’heure, il convient :
- En premier lieu, de calculer le montant annuel de la tierce personne pour l’avenir sur 412 jours, de façon à prendre en compte la durée de l’ensemble des congés, soit :

4 heures par jour x 18 euros/ heure x 412 jours = 29 664 euros par an

- Puis de capitaliser cette dépense annuelle en tierce personne, en utilisant un des barèmes disponibles.

Sont à la disposition des praticiens quatre barèmes de capitalisation :
- Le barème de capitalisation de la Gazette du Palais actualisé en septembre 2020 ;
- Le barème de capitalisation des assureurs (BCRIV) de janvier 2018 ;
- Le barème de capitalisation de l’ONIAM de janvier 2018 ;
- Le barème de capitalisation de l’Université Savoie Mont-Blanc de 2020.

1. Le barème de capitalisation de la Gazette du Palais.

La Gazette du Palais utilise les tables de mortalité de l’INSEE 2014-2016.

S’agissant du taux d’actualisation, la Gazette du Palais rappelle que le TEC 10 « constitue une référence constante pour ce type de calculs dans le monde de l’assurance et reste la référence pour les comptes sociaux ». C’était d’ailleurs cette référence qui avait été utilisé dans la précédente actualisation en 2018 et une analyse alternative avait également été proposée.

Toutefois, faisant le constat de valeurs négatives du TEC 10 compte-tenu des interventions de la BCE, la Gazette du Palais ne propose désormais plus qu’une approche microéconomique en retenant :
- Un rendement nominal d’un portefeuille sécurisé d’actifs de marché à 1,1% ;
- Une inflation annuelle pour l’année 2019 à 1,1%.

Au regard de ces éléments, il est proposé un taux d’actualisation de référence à 0,0% et une alternative à 0,3% lorsque « le contexte de placement le permet ».

Pour reprendre l’exemple ci-dessus, avec une dépense annuelle de 29 664 euros :

- le barème de la Gazette du Palais de 2020 pour une femme de 19 ans, donne un euro de rente viagère de 66,193 :
29 664 euros x 66,193 = 1 963 549 euros

2. Le barème de assureurs (BCRIV).

Actualisé pour la dernière fois en 2018, le BCRIV utilise les tables de mortalité de l’INSEE 2010-2012.

Les assureurs se fondent sur les taux d’intérêt sans risque publiés par l’EIOPA au 30 novembre 2017. L’inflation est quant à elle évaluée à partir de l’indice INSEE de l’IPC moyen entre 2015 et 2017.

Il sera rappelé que cette méthode de calcul est l’objet de critiques importantes car ne permettant pas une indemnisation intégrale en raison de :
- La durée trop importante des échéances des taux d’intérêt ;
- La déduction de l’inflation des années 2014-2016 des données de l’EIOPA sur le swap de taux déterminé par l’inflation (donnant lieu à un taux à 0,2% bien inférieur aux prévisions en France et dans la zone euro).

Selon le même exemple avec une dépense annuelle de 29 664 euros :

- le BCRIV pour une femme de 19 ans, donne un euro de rente viagère de 39,18 :
29 664 euros x 39,18 = 1 162 235 euros

3. Le barème de capitalisation de l’ONIAM.

L’ONIAM en janvier 2018 utilise la table de mortalité de l’INSEE de 2006-2008.

Un taux d’actualisation à 1,29% est retenu sans qu’il soit précisé son mode de calcul.

Il va sans dire qu’un tel taux d’actualisation ne correspond aujourd’hui :
- Ni aux rendements des actifs actuels ;
- Ni à l’inflation prévisible.

Ainsi, toujours selon le même exemple pour une dépense annuelle de 29 664 euros :

- le barème de l’ONIAM pour une femme de 19 ans, donne un euro de rente viagère de 43,474 :
29 664 euros x 43,474 = 1 289 612 euros

4. Le barème de capitalisation de l’Université Savoie Mont-Blanc.

L’Université Savoie Mont-Blanc se fonde sur les tables de mortalité de l’INSEE 2013-2015.

Le taux d’actualisation correspond à une pondération en fonction de la durée de la rente des TEC 10, TEC 20 et TEC 30 déduction faite d’une inflation de 1,3% basée sur la moyenne de l’inflation en France sur les trois années passées.

En reprenant l’exemple développé pour une dépense annuelle de 29 664 euros :

- le barème de l’Université de Savoie pour une femme de 19 ans, donne un euro de rente viagère de 81,35 :
29 664 euros x 81,35 = 2 413 166 euros

Pour résumer, selon ces quatre barèmes, pour une même dépense annuelle de 29 664 euros pour femme à 19 ans, l’indemnisation est de :

Hypothèses :

- Femme de 19 ans à la consolidation
- 4 heures par jour de tierce personne à vie
- Coût horaire : 18 euros
- Dépense annuelle : 29 664 euros

BarèmeIndiceValeur capitaliséeEcart par rapport à Gazette du Palais
Gazette du palais 66,193 1 963 549 €
Barème des assureurs (BCRIV) 39,18 1 162 236 € - 801 314 € soit - 59%
ONIAM 43,474 1 289 613 € - 673 936 € soit - 66%
Université Savoie Mont-Blanc 81,35 2 413 166 € + 449 617 € soit +81%

Ces évaluations multiples de l’euro de rente viagère par ces barèmes conduisent donc à des différences très significatives.

Ainsi en se fondant sur les trois barèmes principalement utilisés (Gazette du Palais, ONIAM et BCRIV), on retrouve :

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Plusieurs enseignements sont à tirer de cette comparaison :

- Le justiciable conserve la liberté de solliciter devant la juridiction saisie l’application du barème qui lui apparaît plus conformer à ses intérêts, en ce sens, la Cour de cassation rappelle que

« c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain que la cour d’appel, tenue d’assurer la réparation intégrale du dommage actuel et certain de la victime sans perte ni profit, a fait application du barème de capitalisation qui lui a paru le plus adapté à assurer les modalités de cette réparation pour le futur, sans avoir à recueillir préalablement les observations des parties sur cette méthode de calcul » [1] ;


- L’ONIAM, juge et partie avec son propre barème, propose une capitalisation moins-disante que la Gazette du Palais et les assureurs, incitant de facto les victimes à se détourner de la voie amiable et les responsables à proposer des indemnisations basses.

En ce sens, les juridictions, y compris administratives, s’écartent du barème de l’ONIAM pour lui préférer celui de le Gazette du Palais, plus à même de garantir l’indemnisation intégral des préjudices des victimes [2].

Charles JOSEPH-OUDIN Avocat Associé Dante www.dante-avocats.fr [->cjo@dante-avocats.fr]

[1Civ. 2ème, 12 septembre 2019, n°18-13-791.

[2Voir TA de Rennes, 3 septembre 2020, n°1604317.