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Cour des comptes et pollution atmosphérique : le décalage entre réglementation et connaissances scientifiques. Par Andréa Rigal-Casta, Avocat.
Parution : mercredi 30 septembre 2020
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Dans son enquête de juillet 2020 sur les politiques publiques engagées pour lutter contre la pollution atmosphérique, la Cour des compte n’a pu que constater les vides juridiques et le manque de mise en œuvre des mesures promises. Il en découle un bilan sanitaire plus qu’inquiétant, lequel nécessite d’agir en urgence et avec ambition, à tous les niveaux administratifs.

Dans la lignée des rapports de l’Anses publiés en juillet 2019 [1], la Cour des Comptes a communiqué en ce mois de septembre 2020 les résultats de son enquête relative aux politiques nationales de lutte contre la pollution de l’air [2].

Ce travail s’inscrit à la suite du rapport émis par la Cour des comptes en décembre 2015 et fait état des évolutions des connaissances scientifiques dans ce domaine ainsi que des politiques publiques adoptées depuis lors.

S’agissant des données scientifiques aujourd’hui admises, la Cour approuve les chiffres de l’OMS, de Santé Publique France et de l’Anses quant aux effets sanitaires de la pollution de l’air. Pour rappel, il est aujourd’hui établi que, a minima, les émissions de particules fines causent à elles-seules près de 47 000 décès prématurés en France par an. Ce taux pourrait, d’après une étude récemment publiée dans le European Heart Journal, être revu à la hausse à mesure que les connaissances des effets de la pollution de l’air sur l’apparition des maladies cardio-vasculaires sont affinées [3].

Le coût social de ces impacts sanitaires s’élèverait alors, d’après les estimations du CNRS, à un total compris entre 76 et 145 milliards d’euros par an.

La Cour des comptes ajoute à ce constat celui de l’impact de la pollution de l’air sur les écosystèmes, soit une perte de rendement agricole comprise entre 3 et 20%.

Un tel bilan - qui ne manque pas d’inquiéter - suppose l’adoption de politiques publiques à la hauteur des enjeux sanitaires ici identifiés.

Or, la Cour ne peut que constater le manque d’efficacité des dispositifs mis en place jusqu’alors. Elle produit ainsi, en conclusion de son rapport, un ensemble de recommandations.

Parmi les faiblesses relevées dans ce rapport, il est notamment fait état des vides juridiques existants quant à certains polluants dangereux, dont notamment les particules ultrafines (PM0,1) ou certains pesticides. A cela s’ajoute l’insuffisante prise en compte des effets cumulés des émissions mesurées, l’exposition à un mélange de polluants pouvant avoir des effets sur la santé supérieurs à la somme des risques présentés par chacun de ces polluants pris séparément, c’est l’effet « cocktail ».

Au sujet des pesticides, le rapport déplore le maintien d’un taux moyen d’ammoniac dans l’air supérieure aux seuils réglementaires européens. Il convient ici de souligner que, à ce sujet, la France a été mise en demeure le 15 mai dernier par la Commission européenne afin qu’elle transpose intégralement la directive « NEC » [4] fixant des plafonds d’émissions pour cinq polluants atmosphériques, dont l’ammoniac. Il lui est en effet reproché de ne pas avoir intégré dans sa réglementation l’obligation de mise à jour régulière des contrôles de ces pollutions.

Cette mise en demeure a été d’autant plus retentissante qu’elle fait suite aux mesures de qualité de l’air réalisées par Atmo-France pendant le confinement. Alors que les émissions liées au trafic automobile ont drastiquement chuté durant cette période en milieu urbain, les taux de particules fines enregistrés dans les milieux ruraux ont stagnés, du fait notamment des épandages de produits azotés sur les cultures. L’impact des activités agricoles sur la qualité de l’air a ainsi été mis en évidence.

La Cour souligne en outre que les risques judiciaires dus à la pollution de l’air demeurent considérables. Dans une situation marquée par l’astreinte de 10 millions d’euros par semestre prononcée, le 10 juillet dernier, par le Conseil d’Etat contre le gouvernement afin qu’il réduise la pollution de l’air dans 8 zones urbanisées, la menace d’une amende infligée au niveau européen perdure.

La situation sanitaire et juridique propre à la pollution de l’air mérite ainsi des réactions des autorités plus efficaces et, ce, dès le court terme.

Alors que l’Anses suggère, depuis juillet 2019, de réduire les émissions du trafic routier mais également d’intégrer efficacement la problématique de l’exposition des populations à la pollution de l’air dans les politiques d’aménagement, la Cour des comptes propose des voies plus systémiques.

On retiendra tout d’abord, parmi ces suggestions, l’invitation à intégrer les valeurs fixées par l’OMS au sein de la réglementation. Les seuils actuellement définis – dans l’hypothèse où ils seraient respectés – ne présentent que peu d’intérêt sanitaire [5].

La Cour des comptes propose en outre de modifier la réglementation propre à la première source de pollution atmosphérique, à savoir les transports routiers. Elle recommande ainsi de mener à son terme la très controversée réforme de la fiscalité des carburants mais aussi et surtout d’intégrer le poids des véhicules vendus dans le calcul du bonus ou malus écologique. La mesure des émissions des véhicules avant homologation est également abordée, la Cour des comptes proposant de tirer les enseignements du Dieselgate et de réaliser ces mesures en conditions réelles d’utilisation.

S’agissant des émissions industrielles, autre principale source de polluants atmosphériques, la Cour des comptes voit dans l’augmentation des contrôles sur site ainsi que dans l’obligation de mesure de la pollution diffuse des installations classées pour la protection de l’environnement des moyens de réduire la pollution de l’air.

Enfin, la nécessité de modifier la réglementation applicable aux pratiques agricoles est abordée. Il ne pourra y avoir d’amélioration de la qualité de l’air en milieu rural sans une intégration des produits d’épandage dans les plans de réductions des émissions de polluants atmosphériques, sans surveillance de la concentration de pesticides dans l’air et, surtout, sans la prise en compte des impacts des techniques agricoles sur la pollution atmosphérique dans les critères d’attribution des aides de la politique agricole commune.

Andréa Rigal-Casta Avocat associé au sein du cabinet Géo Avocats Barreau de Paris

[1Anses, Particules de l’air ambiant extérieur, juillet 2019.

[2Cour des comptes, Les politiques de lutte contre la pollution de l’air, juillet 2020.

[3European Society of Cardiology, European Heart Journal (2019), Cardiovascular disease burden from ambient air pollution in Europe reassessed using novel hazard ratio functions, J.Lelieved et al., Février 2019.

[4Directive (EU) 2016/2284 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2016 concernant la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques.

[5Voir en cela « Rapport de l’Anses : Point sur la situation réglementaire en matière de pollution de l’air », A. Rigal-Casta, 22 juillet 2019, Village de la Justice.