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Chroniqueur judiciaire, ou l’art de transporter les citoyens dans la salle d’audience.
Parution : mardi 6 octobre 2020
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"Historique" : c’est ainsi que le procès des attentats de janvier 2015 contre le journal Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher a été qualifié, en raison notamment de la charge émotionnelle individuelle et collective qu’il porte, mais aussi du fait qu’il soit filmé en vue de la constitution d’archives de la justice. Débuté en septembre 2020, dans un contexte de crise sanitaire, il se terminera en novembre prochain.
Un procès hors norme donc qui nécessite un suivi qui l’est tout autant et qui vient mettre en lumière un travail journalistique particulier, celui de chroniqueur judiciaire.
Charlotte Piret, qui officie en tant que chroniqueuse judiciaire sur France Inter, nous raconte l’âme de son métier au travers du suivi de ce procès qui est entrain de s’inscrire dans l’Histoire française.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre formation et votre parcours ?

"Je suis diplômée de l’Institut d’Etudes Politiques (IEP) de Lille. J’ai ensuite intégré l’Ecole Supérieure de Journalisme (ESJ) à Lille également, où j’ai opté pour la spécialisation radio. J’ai couvert mes premières audiences correctionnelles à Lille et à Douai, en tant que pigiste pour France Bleu Nord.
Parallèlement, j’ai intégré le “planning de Radio France”, groupe de jeunes journalistes qui assurent des remplacements pour l’ensemble du groupe Radio France. Pendant 4 ans, j’ai ainsi effectué des remplacements dans une vingtaine de radio locales de France Bleu, mais aussi France Culture, France Info et France Inter. C’est au cours d’un remplacement au service justice de France Inter que mon intérêt pour cette matière s’est confirmé.

"Mon activité consiste à assurer le suivi des instructions en cours des faits jusqu’au procès."

En 2012, j’intègre le service web de France Inter. Là, nous développons la couverture web de certains procès d’assises avec les premiers live-tweet. Depuis 2015, j’ai intégré le service justice de France Inter en me spécialisant - compte tenu de l’actualité - sur le volet terrorisme."

Sur le métier de chroniqueur judiciaire : est-ce synonyme de "journaliste juridique" ? Pourquoi ? Très concrètement : en quoi cela consiste ? Quelles compétences spécifiques sont nécessaires ?

"A mon sens, les deux métiers diffèrent. En tant que chroniqueuse judiciaire, mon activité principale consiste à assurer le suivi des instructions en cours (depuis la commission ou la révélation des faits jusqu’au renvoi, le cas échéant, devant une instance correctionnelle, criminelle voire administrative) et ensuite les procès. J’essaie, parce que cela me semble faire partie de la mission de service public de France Inter, d’inclure une part de “pédagogie judiciaire” dans mon travail. Mais cela se fait à la marge de la couverture d’une audience par exemple.

En revanche, je ne fais jamais de commentaire d’arrêt, d’analyse de la jurisprudence etc. ainsi que peuvent le faire les “journalistes juridiques”.
En termes de compétences, j’ai acquis ma connaissance du fonctionnement de la procédure pénale sur le terrain uniquement. D’ailleurs, lorsque l’actualité soulève des questions juridiques précises, il m’arrive fréquemment de contacter avocats, magistrats, juristes afin de vérifier ou de me faire expliquer tel ou tel point de droit."

A propos du procès des attentats contre Charlie Hebdo : comment le prépare-t-on ? Et comment le suit-on : quelle est votre journée "type" depuis le début ?

"Parce que France Inter a fait le choix de s’emparer de ce procès de la manière la plus complète possible, nous avons, avec ma consœur Sophie Parmentier, commencé à travailler sur ce sujet dès le mois de janvier 2020. Pendant plusieurs mois, nous avons donc contacté les différents acteurs de ce procès : parties civiles, avocats de parties civiles et défense, magistrats. Nous avons beaucoup lu et beaucoup écrit aussi, puisque nous avons publié un important dossier web et diffusé plusieurs reportages radio en amont du procès.

Depuis l’ouverture de l’audience, je passe, toujours avec ma consœur Sophie Parmentier, toutes mes journées au tribunal judiciaire. Nous assurons, en alternance un jour sur deux, la couverture de l’audience pour l’antenne et le site de la radio.

Une journée “type” lorsque j’assure la couverture radio consiste à suivre l’audience, faire un compte-rendu d’audience en direct dans le journal de 13 heures, (généralement manger un sandwich rapide sur un banc du tribunal avant de repasser les contrôles de sécurité et me placer dans la file d’attente des journalistes pour avoir une place dans la salle d’audience principale), suivre à nouveau l’audience de l’après-midi, faire un autre compte-rendu d’audience en direct dans le journal de 18h ou 19h (parfois les deux), puis enregistrer un autre sujet le soir pour la matinale du lendemain.

"Mon objectif dans le live-tweet est d’asseoir le citoyen au nom duquel la Justice française est rendue, dans la salle d’audience."

Lorsque que je me charge de la couverture web, le travail consiste à live-twitter l’audience en direct, écrire un long compte-rendu d’audience (à la différence des chroniques radio qui sont beaucoup plus courtes) publié chaque soir et dialoguer avec Matthieu Boucheron, le dessinateur qui suit avec nous le procès et dont les dessins sont mis en ligne chaque jour." (N.D.L.R : Matthieu Boucheron a dessiné le portrait de Charlotte Piret qui illustre cet article).

Justement à propos du suivi live des procès (notamment par Tweeter) : en quoi le live tweet est-il important pour vous ? Quelles informations réservez-vous à ce suivi ? Avez-vous une « pression » particulière et comment la gérez-vous ?

"Pour moi, le live-tweet des procès est une nouvelle forme de chronique judiciaire (complémentaire de ce que l’on peut faire à l’antenne ou lors de compte-rendus quotidiens) particulièrement intéressante lorsqu’on a à l’esprit la mission de service public qui est celle de la radio pour laquelle je travaille, et une volonté de pédagogie judiciaire, toutes deux chères à mes yeux.

A titre personnel, mon objectif dans le live-tweet est d’asseoir l’internaute, le citoyen au nom duquel la Justice française est rendue, dans la salle d’audience, de l’emmener avec moi et lui expliquer du mieux possible ce qui est en train de se jouer là. Le live-tweet permet à la fois d’être très complet, de faire vivre l’audience en direct, de raconter les à côtés, l’ambiance de la salle d’audience, d’aborder si nécessaire un point de droit, de retranscrire un témoignage un peu secondaire par rapport à d’autres de la journée mais néanmoins intéressant, de décrypter quel est le “théâtre” qui se joue là, ses codes etc. Bref, parce qu’il est illimité, c’est indéniablement dans le live-tweet que je suis la plus complète.

"Plus il y a de gens qui s’intéressent à la manière dont la justice est rendue en France, mieux c’est !"

Je ne ressens pas de “pression particulière”. La principale difficulté réside dans les témoignages très denses pour lesquels le rythme du live-tweet est très rapide mais dont il faut veiller à rendre compte avec justesse et précision. Mais “l’engouement du public” ne me fait nullement peur : plus il y a de gens qui s’intéressent à la manière dont la justice est rendue en France, mieux c’est !"

Quelles sont vos relations avec les magistrats/les avocats, quels rapports entretenez-vous avec eux ?

"C’est difficile pour moi de vous répondre sur la manière dont avocats et magistrats me perçoivent. Le mieux est sans doute de leur demander.
Quant à mes relations avec eux, ce n’est évidemment pas homogène : je connais certains avocats et magistrats depuis longtemps, d’autres pas. J’en estime certains plus que d’autres. Mais je pense pouvoir dire que mes rapports avec les acteurs judiciaires sont bons. Nous faisons chacun notre métier. Et, tant qu’à faire, du mieux possible..."

(Portrait de Charlotte Piret en illustration réalisé par Matthieu Boucheron, Dessinateur qui couvre actuellement le procès et réalise les croquis d’audience pour France Inter.)

Propos recueillis par Nathalie Hantz Rédaction du Village de la Justice