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Le Contract Management à l’épreuve de la crise de Covid-19.
Parution : samedi 26 septembre 2020
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La Covid-19 étant sur toutes les lèvres (sans mauvais jeu de mot), les tentatives de réaction des organisations face à la situation sont régulièrement scrutées depuis plusieurs mois, à l’occasion de séminaires et conférences au cours desquels on attend des panelistes qu’ils apportent sur un plateau d’argent, au grand public, la recette miracle qui sauvera les meubles et assurera une meilleure anticipation lors de la prochaine déflagration.
Ce fut le cas lors du dernier GAR-Live (Global Arbitration Review) organisé à l’origine à Paris et finalement maintenu en mode distanciel le 9 juillet dernier.

Différents profils associés de près ou de loin au pilotage des contrats complexes et des grands projets de construction, dont celui de Contract Manager, furent consultés sur les applications pratiques, vécues en France comme à l’étranger, de déploiement de plans de sauvegarde de relations économiques inter-entreprises et de marchés publics de tailles conséquentes.

L’occasion m’a ainsi été donnée de démontrer en quoi le Contract Manager avait un rôle à jouer au cœur du marasme ambiant et surtout comment ; ce qui tombait assez bien puisqu’il ne fait aucun doute que le Contract Management est un métier de crise.

Un rapide coup d’œil à nos missions suffira pour s’en convaincre :

- Avant toute chose, nous sommes tenus d’identifier, d’évaluer et de "tacler" les risques et les problèmes par les plans d’action et de résolution appropriés, quelle que soit leur origine (juridique, financière, opérationnelle, relationnelle, éthique, etc.).
Les risques et les problèmes sont notre croix quotidienne et leur gestion notre activité centrale puisque les organisations nous donnent mandat, aussi bien côté achat que côté vente, de sécuriser les contrats et leurs projets ou prestations de services associés. De facto, les risques et à plus forte raison les problèmes sont eux-mêmes des crises.
Des petites crises dont on se débarrasse aisément certaines fois, ou des crises critiques causant le chaos en d’autres circonstances, capables d’anéantir une relation commerciale et contractuelle pour de bon.

- Dans certaines entreprises, des groupes de Contract Managers experts, souvent rassemblés sous la terminologie va-t’en-guerre « Swat team » ont vocation à être déployés en urgence sur un projet en péril dans le but de restaurer, au mieux, l’équilibre contractuel avant de nettoyer les restes de la relation dégradée, pour mieux être enrôlés sur le projet suivant également en pleine épreuve. Ceci ressemble à s’y méprendre à de la gestion de crise…

- Un autre aspect incontournable du Contract Management mérite un propos. Sécuriser les contrats est une chose, les optimiser au passage c’est encore mieux. L’attente en la matière est de plus en plus prégnante de la part de nos organisations. Les sociétés qui nous consultent pour des missions de recrutement sont claires sur ce point : les deux facettes du mouton à cinq pattes sont attendues.
Les optimisations imaginées sont, bien naturellement, d’ordre financier (comment réduire nos coûts, améliorer les profits, gagner des points de marge ?), et également relationnelles (comment construire et développer sur le long terme une relation économique encapsulée dans le contrat idoine ?)
Il nous est ainsi demandé de maintenir sans relâche, le cap vers la quête des leviers commerciaux (« commercial levers » dans la terminologie anglo-saxonne) et des opportunités qui rendront prospère notre organisation.
Il est alors utile de rappeler que dans certaines langues qui nous sont étrangères (à l’instar du chinois) le mot « Crise » est représenté par deux idéogrammes, le premier signifiant « Danger » et le second « Opportunité »…

- Finalement, en vue de manager efficacement et avec efficience les risques, les problèmes et les opportunités, le Contract Manager appuie son savoir-faire et son savoir-être sur des bonnes pratiques mondialement reconnues qui consistent en des processus structurés et leurs outils associés. Pour faire court, retenons que nous naviguons en eaux troubles à l’aide d’une douzaine de processus et au moins autant d’outils.
L’un d’entre eux s’intitule : Gestion des changements (« Change management »). Celui dont tout le monde parle, mais qui reste sondage après sondage (réalisés par e²cm et ses différents partenaires au fil des années auprès de la communauté des Contract Managers) parmi les moins matures, lorsqu’il est seulement existant dans la société ou sur le projet considéré !
En temps de crise, la clé du succès et donc de la faculté de survie (à tout type d’échelle : individu, entreprise, pays, écosystème naturel etc.) est l’adaptabilité. La donnée est factuelle depuis au moins Darwin et son Origine des espèces. Donc, face à un risque ou à un problème, nous devons nous adapter en permanence et apprendre à trouver les zones de flexibilité dans les limbes du cycle de vie contractuel. En clair, notre processus doit nous permettre de préparer le changement, de négocier le changement, de rédiger le changement et d’implémenter ou de faire implémenter le changement.
C’est une réponse à la crise. C’est un bouclier, une stratégie gagnante que nous dédaignons car nous refusons d’admettre que la flexibilité est la source du rebond lorsque nos contrats sont en perdition.
Notre idéal demeure les contrats gravés dans le marbre, rigoristes, intransigeants. On se doit de délivrer conformément au plan initial et de ne jamais imaginer une évolution du schème originel, sous peine d’aveu de faiblesse. Pas d’inquiétude, la crise passera surtout si on ne la regarde pas.

Devinez quoi ? ça ne passe pas ! Surtout lorsque l’ampleur de la crise ressemble à celle de la Covid-19 qui heurte nos contrats de plein fouet. Il est peu probable que nous ayons été en mesure de parfaitement anticiper l’ensemble des conséquences économiques de ces derniers mois et de ceux à venir au niveau de nos projets (je ne parle donc même pas des entreprises).

Nous demeurons dans une phase d’engourdissement face à une ligne d’horizon floutée. Un brin de réalisme et de modestie s’impose alors. Plus que jamais, nous sommes contraints de revoir le schème originel et de lâcher prise avec ce qui aurait dû être mais qui ne sera pas, afin de réinventer nos relations commerciales.

En qualité de Contract Manager, nous devons embrasser la part de gestion de crise de notre métier en convaincant les décideurs récalcitrants et passéistes d’adopter le flux du changement pour mieux l’accompagner et faciliter sa mise en œuvre.

Nos chefs de projets et autres responsables des opérations n’auront pas le temps pour ce qui précède, occupés qu’ils sont à jongler avec les retards et les défauts de qualité, eux-mêmes embarqués dans un tsunami communicationnel avec les différentes parties.

C’est au Contract Manager de dérouler ses atouts relationnels, pour lesquels il a été spécifiquement formé afin de décharger les opérationnels suffisamment occupés sur le pont des projets.

Cette boite à outils relationnels, incluant les techniques les plus pointues de résolution de conflit (et donc de gestion de crise, décidemment), pourrait être la pierre angulaire du pilotage des cycles contractuels ces prochains mois ou ces prochaines années si l’on souhaite éviter les contentieux en cascade dont certains ne mèneront à rien du fait de l’insolvabilité probable de nombreux acteurs déjà sur le fil du rasoir.

Plus que jamais, il conviendra d’anticiper ces situations conflictuelles et, lorsque le conflit est déjà existant, d’aider à dépolluer le contexte émotionnel (encore merci Covid-19) afin de permettre aux protagonistes de retrouver, ensemble, le chemin des solutions créatives.

Acceptons qu’un contrat ne prévoie et ne résolve pas tout, notamment les plus fortes secousses.
Ils sont un cadre indispensable, en évolution constante ; d’où le concept de pilotage cher aux Contract Managers.

Bref, le temps du pilotage est là, en pleine crise. Organisons et utilisons les processus les plus appropriés et impliquons les bonnes fonctions et les bonnes personnes, quitte à changer un peu le paysage habituel où les exécutants et les exécuteurs sont rois.

Grégory Leveau Président de l’Ecole Européenne de Contract Management (e²cm) et du cabinet e²cm Consulting Médiateur Professionnel