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CSG rétroactive : nouvel échec d’une QPC. Par Arnaud Tailfer, Avocat.
Parution : jeudi 1er octobre 2020
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Par une décision rendue le 28 septembre 2020, le Conseil d’Etat a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel une nouvelle Question prioritaire de constitutionnalité sur la hausse rétroactive de CSG.

Pour rappel, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 du 30 décembre 2017 a prévu une augmentation du taux de CSG qui a été appliquée notamment aux plus-values mobilières réalisées au cours de l’année 2017.

Dans cette nouvelle affaire, le Conseil d’Etat a maintenu sa jurisprudence antérieure [1] selon laquelle il existerait deux faits générateurs distincts : le fait générateur de la plus-value et le fait générateur de l’imposition. Le fait générateur de l’imposition étant fixé au 31 décembre 2017 - donc postérieur à la hausse de taux de la CSG - la hausse de la CSG ne serait pas rétroactive.

Cette approche semblait jusqu’à présent admissible, ou au moins compréhensible, puisque le Conseil constitutionnel n’avait eu le loisir de se prononcer clairement sur la question de l’identification du fait générateur de l’imposition d’une plus-value mobilière.

Pourtant, par une décision n° 2019-812 QPC du 15 novembre 2019, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la question et a précisé sans aucune ambiguïté que le fait générateur de l’imposition d’une plus-value correspond au jour de la cession.

Cette décision n° 2019-812 QPC portait sur le régime de l’abattement pour durée de détention mis en place en 2005 : après avoir posé pour principe que le fait générateur de l’imposition était fixé au jour de la cession, le Conseil Constitutionnel a jugé que le droit à abattement aurait bien été acquis (et protégé) pour les cessions à compter du 1er janvier 2012 pour les titres détenus au 1er janvier 2006 [2].

Plus largement, la protection octroyée par le Conseil constitutionnel vise à prohiber l’application de « règles d’assiette et de taux autres que celles applicables au fait générateur de l’imposition de plus-values mobilières », étant encore une fois rappelé que le fait générateur se situe au jour de la cession des titres concernés.

Sans détour ou approximation, la jurisprudence du Conseil constitutionnel prévoit ainsi clairement qu’en matière de plus-values mobilières, l’instant de la cession des titres constitue le fait générateur de l’impôt et qu’à cette date sont figées les modalités d’assiette et de taux.

L’émergence, ou la clarification, de la jurisprudence du Conseil constitutionnel est l’élément qui justifiait cette nouvelle procédure de Question prioritaire de constitutionnalité pour lequel le Conseil d’Etat devait apprécier le caractère sérieux, en vue d’un éventuel renvoi au Conseil constitutionnel.

Dans les deux affaires similaires soumises jusque-là au Conseil d’Etat, la jurisprudence précitée du Conseil constitutionnel n’avait pas été évoquée. Et pour cause, celle-ci n’étant d’abord pas intervenue puis non communiquée. L’évoquer semblait avoir un intérêt puisque le Conseil d’Etat paraissait l’intégrer dans son analyse. Ainsi, le rapporteur public dans ses conclusions sous le premier rejet du Conseil d’Etat relevait, après avoir proposé de distinguer entre le fait générateur de la plus-value et de l’imposition :

« Cette proposition nous paraît en phase avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel ».

L’analyse menée par le Conseil d’Etat, qui a suivi son rapporteur public, intégrait donc la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le lecteur se rendra ainsi compte qu’à l’époque, l’analyse s’était confortée sur la décision 2012-662 DC, faute de mieux. Or, cette décision est ancienne, ne concernait pas l’identification du fait générateur de l’imposition d’une plus-value mobilière et est désormais supplantée par d’autres décisions particulièrement claires [3]. Un esprit chagrin pourrait s’étonner et relever que les références faites à la décision 2012-662 DC concerne l’impôt sur les sociétés, et pas l’impôt sur le revenu, deux impôts différents dont les règles de faits générateurs sont différentes.

L’édifice jurisprudentiel du Conseil d’Etat étant ainsi rappelé, il ne semblait pas douteux que les clarifications apportées par le Conseil constitutionnel mène le Conseil d’Etat à mettre à jour son raisonnement et à constater que la nouvelle procédure de QPC était sérieuse. En pareil hypothèse de doute sur la portée de la jurisprudence constitutionnelle, il avait déjà été jugé qu’il s’agissait d’un révélateur du caractère sérieux de la Question qui lui était posée [4].

Malheureusement, sans que nous puissions nous l’expliquer juridiquement, le Conseil d’Etat maintient que le

« moyen tiré de ce que les dispositions contestées seraient contraires à la garantie des droits résultant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est dépourvu de caractère sérieux ».

Il se fait ainsi l’interprète d’une jurisprudence claire qui n’est pas la sienne. La thèse du Ministre selon lequel le Conseil constitutionnel commettrait un « abus de langage » entre fait générateur de la plus-value et de l’imposition est validée et permet de mettre un terme à une affaire non désirée. Pendant ce temps, la doctrine administrative persiste sans sourciller dans son « abus de langage » [5].

En conclusion, il faudra se souvenir que la motivation des décisions du Conseil constitutionnel ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être.

Face à cela, les contribuables concernés ont bien du mal à comprendre comment cette situation ne caractérise pas une atteinte rétroactive à leurs droits, la fiction juridique ne satisfaisant que les juristes. Cette situation injuste avait déjà été identifiée et les pouvoirs publics avaient annoncé mettre un terme à la rétrospectivité des lois fiscales [6].

Les principes constitutionnels auraient pu venir pallier cette situation incompréhensible ; c’est loupé !

Arnaud Tailfer - Avocat spécialiste en fiscalité

[1Décisions n° 431862 rendue le 12 septembre 2019 et n° 424178 rendue le 4 décembre 2019.

[2Et non à compter du 31 décembre 2012, solution qui se serait imposée si le Conseil constitutionnel avait raisonné comme le Conseil d’Etat en terme de fait générateur de l’imposition.

[3Notamment la décision susvisée du 15 novembre 2019.

[4Décision n° 431686 rendue le 11 septembre 2019.

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