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La notion équivoque de fausse déclaration dans la réglementation de l’assurance chômage. Par Charles Edouard Poncet, Avocat.
Parution : vendredi 2 octobre 2020
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L’article L5422-5 du Code du travail, dispose que l’action en remboursement de l’allocation d’assurance chômage indûment versée se prescrit par dix ans en cas de fausse déclaration, à compter du jour de versement de ces sommes.

La fausse déclaration, qui n’est assortie d’aucun qualificatif explicite d’intention frauduleuse ou de but poursuivi a pour conséquence un délai de prescription de dix ans, extraordinaire en regard du droit commun (I).

Cette notion ambiguë de fausse déclaration et le délai associé, véritable sanction spécifique contre les chômeurs de bonne foi, est critiquée par le Médiateur national de Pôle Emploi et le Défenseur des droits (II).

La notion de fausse déclaration peut être contestée judiciairement, dans l’attente d’une évolution législative (III).

I. la « fausse déclaration » est une notion équivoque, sa conséquence est un délai de prescription de dix ans, extraordinaire en regard du droit commun.

I.1 La notion équivoque de la « fausse déclaration » dans l’article L5422-5 du Code du travail.

Le dictionnaire Larousse définit « équivoque » par : « se dit d’un énoncé susceptible de plusieurs interprétations ; ambigu, obscur ». Le caractère équivoque de l’expression apparaît à l’examen comparé de textes similaires, en droit pénal, ou en droit social.

L’article 441-6 du Code pénal dispose que

« (…) puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Est puni des mêmes peines le fait de fournir sciemment une fausse déclaration ou une déclaration incomplète en vue d’obtenir ou de tenter d’obtenir, de faire obtenir ou de tenter de faire obtenir d’une personne publique, d’un organisme de protection sociale ou d’un organisme chargé d’une mission de service public une allocation, une prestation, un paiement ou un avantage indus ».

Dans ce cadre pénal, la fausse déclaration ou la déclaration incomplète, suppose avoir été faite sciemment en vue d’obtenir une allocation indue. A contrario, la fausse déclaration visée par le Code du travail [1] ne comporte aucun qualificatif explicite d’intention.

Cette notion de fausse déclaration sans visa de l’intention (sciemment) et du but poursuivi (obtenir une prestation indue) se retrouve dans les textes similaires au sein du Code de la Sécurité Sociale [2], pour l’aide personnalisée au logement [3] et les régimes agricoles dans le Code rural et de la pêche maritime [4].

Mais la Cour de cassation [5] a jugé au visa de l’article L553-1 Code de la Sécurité sociale qu’une Cour d’appel qui avait seulement constaté la fausseté (inexactitude) de la déclaration sans vérifier si le déclarant était informé de ses obligations et le cas échéant si le manquement constaté était délibéré dans le but de percevoir des prestations auxquelles il savait ne pas pouvoir prétendre, n’avait pas donné de base légale à sa décision.

La Cour de cassation indique ainsi que la fausse déclaration, pour être équipollente à la fraude, doit être caractérisée comme une faute lourde, assimilable à un dol, faisant sienne l’adage « culpa lata dolo aequiparatur », la faute lourde équivaut à un dol, soit comme en dispose l’article 1137 du Code civil deuxième alinéa, la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie.

En l’absence, s’agissant des litiges avec Pôle Emploi, d’indication explicite de la jurisprudence de la nécessité de démontrer l’intention et le but poursuivi, pour assimiler la fausse déclaration à la fraude, l’interprétation des juristes de Pôle Emploi de l’article L5422-5 du Code du travail est que la fausse déclaration vise un simple constat de fausseté, au sens d’un constat d’inexactitude, sans qu’il soit besoin de rechercher et de prouver une intention frauduleuse.

Un arrêt de la Cour de cassation chambre sociale du 19 mai 2016, N° de pourvoi 14-26038 va dans ce sens, rejetant le pourvoi du demandeur d’emploi qui reprochait à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si la fausse déclaration résultait de manœuvres et si l’allocataire avait sciemment manqué à ses obligations déclaratives. Mais cet arrêt, isolé et non publié au bulletin, vise un cas d’espèce où le chômeur a continué de s’actualiser en recherche d’emploi alors qu’il percevait à nouveau un salaire dans un nouvel emploi, soit plus un cas de fraude avéré, que de fausse déclaration.

A contrario, un autre arrêt de la Cour de cassation, chambre civile 1, 5 novembre 2014, N° de pourvoi 13-23686, approuve « l’appréciation souveraine par laquelle la cour d’appel a estimé que M. X..., qui s’était sciemment abstenu de communiquer à Pôle emploi les éléments permettant de déterminer son droit au versement d’allocations, avait commis une fraude », indique que l’intention dans le manquement déclaratif doit être caractérisé par la Cour d’appel. Mais là encore, ce n’est qu’un arrêt de rejet, isolé et non publié.

Le règlement d’assurance chômage relatif à l’application des conventions sur l’assurance chômage, antérieur à celui relatif à la convention du 18 janvier 2006, indiquait que « Le service de l’allocation d’aide au retour à l’emploi doit être interrompu à compter du jour où l’intéressé : (…) g) a fait des déclarations inexactes ou présenté des attestations mensongères en vue de toucher indûment des allocations », mentionnant ainsi le but frauduleux poursuivi.

En 2006, le règlement a été modifié, le texte indiquant « (…) une déclaration inexacte ou une attestation mensongère ayant eu pour effet d’entraîner le versement d’allocations intégralement indues », l’intention devient sans importance.

Le décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 relatif au régime d’assurance chômage qui remplace le règlement d’assurance chômage rétablit (article 27) la formulation antérieure au 8 janvier 2006 : « en vue d’obtenir le bénéfice de ces allocations ou aides ».

Mais le décret renvoie toujours, pour l’action en répétition à la fausse déclaration de l’article L5422-5 du Code du travail, exclusive de toute référence au comportement de l’allocataire, avec en conséquence, que la simple erreur ou omission non frauduleuse, génère l’application du délai de 10 ans, soit un délai sanction, extraordinaire du droit commun.

I.2 Un délai sanction extraordinaire du droit commun.

Les personnes qui ont indûment perçu des allocations ou des aides prévues par le règlement d’assurance chômage doivent les rembourser. Les situations de trop-perçus sont variées.

Ce peut être :
- une erreur de Pôle Emploi, par mauvaise application des textes, parfois complexes, et résultant de strates de règlements, d’accords d’application de lois et décrets ;
- un jugement de conseil des prudhommes qui modifie, rétroactivement, les droits du demandeur d’emploi, avec la précision que la Cour de cassation a jugé que le délai de prescription ne commençait à courir que lorsque Pôle Emploi avait la capacité d’agir, s’agissant des indus consécutifs à un jugement prudhommal [6] ;
- une fraude du demandeur d’emploi qui cumule sciemment sur une même période des allocations d’assurance chômage et d’une activité rémunérée (en dehors des cas où ce cumul est possible), la production de fausses attestations, de faux bulletins de salaires ;
- la fausse déclaration du demandeur d’emploi, mentionnée dans le Code du travail, sans plus de précision.

Ces diverses situations de sommes versées à tort, sont constatées tardivement et la prescription peut être un moyen de défense pour le demandeur d’emploi.

L’article L5422-5 du Code du travail, dispose que l’action en répétition des sommes indûment versées se prescrit, par trois ans et, par dix ans en cas de fraude ou de fausse déclaration, à compter du jour du versement de ces sommes.

Dans le cas où l’erreur a été commise par Pôle Emploi, et que le demandeur peut le prouver, la prescription est donc de trois ans à compter du jour du versement.

Dans le cas de fraude, par définition intentionnelle, il revient à Pôle Emploi de la prouver et la prescription est de 10 ans à compter du paiement. Il peut sembler légitime que le législateur ait souhaité donner à Pôle Emploi un long délai pour récupérer des sommes perçues par fraude. Cependant, ce délai, spécifique aux chômeurs, est très long en comparaison de situations similaires.

Si Pôle Emploi engage une action pénale au visa de l’article 441-6 du Code pénal, cette institution ne pourra, dans le volet civil de l’action pénale, que réclamer les sommes indûment versées dans le délai de la prescription pénale des délits, soit six ans par application combinée des articles 8 et 10 du Code de procédure pénale, ce dernier article disposant que

« Lorsque l’action civile est exercée devant une juridiction répressive, elle se prescrit selon les règles de l’action publique. Lorsqu’elle est exercée devant une juridiction civile, elle se prescrit selon les règles du Code civil ».

En ce qui concerne les sommes versées par Pôle Emploi en matière de prestations de solidarité (l’Allocation de Solidarité Spécifique par exemple), le délai de prescription de la répétition des sommes perçues à tort est celui de droit commun [7] : cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connaissance du trop-perçu dont il est redevable [8]. Et il faut observer que l’origine de l’indu est indifférente sur la durée de la prescription, que ce soit une erreur de Pôle Emploi, une fraude ou une fausse déclaration.

En matière de prestations sociales (autres que les allocations de solidarité versées par Pôle Emploi) versées par les CAF, CPAM, Caisses de retraites, les délais de prescription sont de 2 à 3 ans selon le type de prestations, à compter du paiement ; en cas de fraude ou fausse déclaration le délai est de cinq ans (droit commun sans texte spécifique) [9].

En résumé, le délai de prescription en cas de fraude ou de fausse déclaration est de :
- dix ans, à compter de la date de paiement (six ans dans le volet civil d’une action pénale), pour les allocations issues de l’assurance chômage (ce délai était de cinq ans avant d’être porté à 10 ans par la loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001) ;
- cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connaissance du trop-perçu dont il est redevable (dans la limite du délai butoir de 20 ans de l’article 2242 du Code civil), pour les autres prestations sociales versées par l’Etat ou des organismes sociaux et les prestations de solidarité versées par Pôle Emploi.

II. l’opinion critique du médiateur national de pole emploi et du défenseur des droits.

II.1 Le rapport critique du Médiateur national de Pôle Emploi.

Dans son rapport 2018, le Médiateur national de Pôle Emploi, consacre 6 pages au sujet, avec pour titre « Quand la qualification prime sur l’intention : le délai de prescription ».

Ce texte commence par indiquer que

« La gestion des délais de prescription par la réglementation de l’assurance Chômage offre l’exemple d’un domaine dans lequel le droit à l’erreur n’a pas droit de cité, dès lors que ladite erreur a été commise par le demandeur d’emploi ».

Le Médiateur rappelle en premier ce qu’il nomme « l’orthodoxie réglementaire », en rappelant les textes applicables, et constatant que « La fausseté est un état, un constat qui suffit à allonger le délai de prescription, sans préjuger de l’intention », que dans cette vision, « l’allongement du délai de prescription n’est pas considéré comme une sanction, mais comme un outil qui permet au créancier d’être remboursé » et rappelle que

« pour les juristes de l’Assurance Chômage, la raison d’être du délai porté à 10 ans est aussi de tenir compte du caractère déclaratif du dispositif : Pôle emploi ne dispose que des déclarations du demandeur d’emploi, lors de l’actualisation ou de la déclaration de changement de situation. Il importe donc de lui laisser un délai plus long pour lui permettre la détection éventuelle de ce qui n’aurait pas été déclaré ».

Le Médiateur rappelle que le demandeur d’emploi qui a fait une fausse déclaration sans intention frauduleuse peut demander un effacement ou une diminution de sa dette aux Instances Paritaires (IPR/IPT). Mais quand ces instances reconnaissent que Pôle Emploi n’a pas démontré le caractère intentionnel de la fausse déclaration, ces instances paritaires refusent « le plus souvent » de statuer.

Pour le Médiateur national de Pôle Emploi, le débat pose deux questions fondamentales, la qualité de sanction ou non de l’allongement du délai de prescription, et celui de l’intentionnalité.

Il constate que

« si juridiquement le délai de prescription n’est pas une sanction, il le devient dans les faits lorsqu’il permet à Pôle emploi de remonter 10 ans en arrière pour récupérer des trop-perçus auprès de demandeurs d’emploi ayant commis une erreur non intentionnelle. Pour ces personnes de bonne foi ce délai est une épée de Damoclès dont ils ignorent l’existence et qui les place dans une insécurité juridique ».

Et s’agissant de l’intention, le Médiateur rappelle que s’il existe des cas où l’évidence de l’intention frauduleuse de la fausse déclaration est patent (le cas du demandeur d’emploi indiquant chaque mois qu’il ne travaille pas tout en percevant un salaire…), il est d’autres cas où l’intention reste à démontrer, le demandeur d’emploi confond brut et net et oublie d’envoyer son bulletin de salaire pour justifier de son emploi (…) une feuille de paye rectificative indique que des heures supplémentaires sont comptabilisées sur le mois écoulé et non le prochain.

Le Médiateur conclut fermement

« Porter le délai de prescription de 3 à 10 ans en faisant abstraction de l’intentionnalité et en l’alignant sur le régime de la présomption de fraude peut donc sembler abusif. Enfin et bien entendu, ces dispositions heurtent le bon sens et l’équité. Si la fraude mérite d’être identifiée et sanctionnée, ce n’est pas le cas de l’erreur de bonne foi, qui doit être reconnue comme telle, sans préjuger par ailleurs des suites à lui réserver ».

Le Médiateur suggère aux instances paritaires régionales et territoriales, lorsqu’elles sont appelées à statuer sur les demandes d’effacement de dettes résultant de ces erreurs non intentionnelles, de se saisir du Guide des Bonnes Pratiques à l’intention des instances paritaire régionales (IPR/IPT) rédigé par l’Unedic et qui indique (dans sa version de septembre 2018, page 15) :

« La prescription de l’action en restitution court à compter de la « date de paiement » ; elle est de 3 ans et de 10 ans pour les situations de fraude qualifiées par le juge ou présumées par les services de Pôle emploi.
Dans les cas de fraude relevant de « fausse déclaration », les services de Pôle emploi doivent être en capacité de démontrer non seulement la fausse déclaration mais également l’élément intentionnel en vue de percevoir des allocations auxquelles l’allocataire ne pouvait prétendre et avoir justifié de la qualification de fraude auprès de l’allocataire lors de la notification de l’indu
 ».

Le Médiateur conclut :

« On ne peut sans doute pas reprocher à la Direction de la Réglementation de Pôle emploi d’appliquer de façon littérale les textes fondamentaux de l’Unedic plutôt que les conseils rédigés pour les IPR/IPT. Mais si le Médiateur National constate que Pôle emploi ne commet pas d’erreur en appliquant la réglementation telle qu’elle est actuellement construite, il se range à l’évidence à l’avis du Défenseur des droits, tel qu’exprimé dans son communiqué du 1er août 2018 ».

II.2 Les avis du Défenseur des droits.

Dans son rapport de 2017, intitulé « Lutte contre la fraude aux prestations sociales : à quel prix pour les droits des usagers ? » le Défenseur des droits, s’interroge sur « un dispositif juridique qui assimile l’erreur et l’oubli à la fraude ».

Le Défenseur des droits vise spécifiquement les articles L5426-5 du Code du travail, L262-52 du Code de l’action sociale et des familles, L114-17 et R147-6 du Code de la sécurité sociale relatifs, respectivement, aux allocations chômage, au revenu de solidarité active (RSA) et aux prestations de la sécurité sociale.

Le Défenseur des droits relève que la fraude est assimilée à une déclaration nécessaire pour le service d’une prestation inexacte, incomplète ou inexistante. Or, ces manquements, s’ils peuvent certes relever d’une fraude, peuvent procéder d’une erreur ou d’un oubli de déclaration sans que l’allocataire ou l’assuré ait eu l’intention de tromper l’organisme payeur.

Et le rapport cite de nombreux exemples où l’absence d’intention de frauder est manifeste comme l’oubli de déclarer un actif financier de 27,78 euros sur un Codevi inactif depuis de nombreuses années, cet oubli constituant une fausse déclaration et une fraude au RSA.

Pour le Défenseur des droits

« qu’un allocataire ou assuré de bonne foi, même s’il demeure responsable de son erreur ou de son oubli, ne saurait être qualifié de fraudeur et se voir appliquer des sanctions, dont les conséquences lui sont par ailleurs gravement préjudiciables, sans que la preuve de l’élément intentionnel ne soit rapportée ».

Auditionné par l’Assemblée Nationale et le Sénat, le Défenseur des droits proposait dans ses Avis n°18-01 et 18-04 d’aménager le dispositif de sanction établi à l’article L114-17 du Code de la sécurité sociale, en tant qu’il prévoit la possibilité de sanction y compris en cas d’erreur de l’usager dans ses déclarations.

Cette recommandation a été suivie en ce sens que le nouveau texte prévoit une exonération de sanction « en cas de bonne foi de la personne concernée ».

III. les fondements juridiques de la contestation juridique de la notion ambiguë de « fausse déclaration ».

Il est tout d’abord possible de se référer à la jurisprudence rendue en matière de droit de la Sécurité Sociale (cf. Supra), qui, sur des textes similaires, comportant le seul qualificatif de fausse déclaration, exige que celle-ci soit caractérisée des éléments d’intention et de but poursuivi, ramenant à la fraude. Il peut être aussi invoqué le droit à l’erreur institué par la loi ESSoc du 10 août 2018, l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité de la loi et l’article 6 la Convention Européenne des Droits de l’Homme (procès équitable).

III.1 Le droit à l’erreur.

Si les circonstances de l’espèce le permettent, il peut être fait rappel de l’article L123-1 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA), qui dispose que

« une personne ayant méconnu pour la première fois une règle applicable à sa situation ou ayant commis une erreur matérielle lors du renseignement de sa situation ne peut faire l’objet, de la part de l’administration, d’une sanction, pécuniaire ou consistant en la privation de tout ou partie d’une prestation due, si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l’administration dans le délai que celle-ci lui a indiqué ».

Ce texte concerne les administrations visées à l’article L100-3 du CRPA : « les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale ». Pôle Emploi, établissement public, entre dans le champ d’application.

L’article suivant, L123-2 du Code précité précise « En cas de contestation, la preuve de la mauvaise foi et de la fraude incombe à l’administration », la mauvaise foi, étant définie dans l’article par le fait d’avoir délibérément méconnu une règle applicable à sa situation.

Ces éléments soulignent le nouvel état d’esprit du législateur, posé par la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance (Loi ESSoC), ce qui nécessite d’interpréter à cette aune la notion de fausse déclaration figurant dans l’article L5422-5 du Code du travail, notion et délai introduits il y a déjà deux décades, en 2001 [10].

Il ressort de cette nouvelle approche que la fausse déclaration avec sa conséquence en termes d’allongement du délai de prescription à dix ans, ne peut s’entendre maintenant que d’une fausse déclaration comportant des éléments frauduleux, intention et but poursuivi.

L’argument selon lequel la loi ESSoC n’a pas d’application s’agissant des trop-versés, dont la restitution n’est pas juridiquement une sanction, serait recevable si le délai de prescription était conforme au droit commun en la matière, soit cinq ans, mais un délai de dix ans constitue une sanction et porte atteinte à une autre notion, celle de la sécurité juridique.

III.2 L’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi.

La notion, non définie dans le Code du travail, de fausse déclaration, est équivoque (simple constat d’inexactitude ou acte frauduleux ?) et contient le risque de l’arbitraire.

Le Conseil constitutionnel [11] a donné comme objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi :

« le principe de clarté de la loi, qui découle du même article de la Constitution [article 34], et l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi »

La constitutionnalité de l’article L5422-5 du Code du travail, est contestable, mais n’a pas été contesté.

La loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001 introduisant par son article 4 l’article L351-6-2 du Code du travail comportant la phrase « En cas de fraude ou de fausse déclaration, elle se prescrit par dix ans » a été examinée par le Conseil constitutionnel dans sa Décision n° 2001-450 DC du 11 juillet 2001, mais cet examen n’a porté que sur les articles 6, 17, 36 et 14 de la loi.

La loi ratifiant l’ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au Code du travail (partie législative), transposant et codifiant à droit constant créant l’article L5422-5 du Code du travail a été examinée par le conseil constitutionnel [12], mais parmi les articles du Code du travail déclarés conformes, l’article L5422-5 n’est pas cité.

L’article précité a été ensuite modifié par Loi n° 2008-126 du 13 février 2008 relative à la réforme de l’organisation du service public de l’emploi, pour faire référence au nouvel organisme Pôle Emploi créé par cette loi.

La question est donc nouvelle, et sérieuse, et pourrait être soumise au conseil constitutionnel par une question prioritaire de constitutionnalité.

III.3 La question se pose en regard du procès équitable (Article 6 Convention européenne des droits de l’homme).

Pour la Cour Européenne des Droits de l’Homme, l’égalité des armes est une exigence essentielle du procès équitable où chaque partie doit avoir

« la possibilité raisonnable d’exposer sa cause dans des conditions qui ne la désavantagent pas d’une manière appréciable par rapport à la partie adverse » [13].

L’aspect équivoque de la notion de fausse déclaration institue une différence de traitement, entre le délai de prescription de l’action en paiement du demandeur d’emploi, limitée à deux ans à compter de la décision de Pôle Emploi et le délai de prescription de 10 ans pour l’action en répétition exercée par Pôle Emploi dans l’hypothèse d’une fausse déclaration, seulement inexacte, sans intention frauduleuse.

Le traitement préférentiel accordé à l’Etat (ou assimilé) en matière de délai de prescription contrevient à l’égalité des armes [14]. Seule la fraude, pourrait le justifier, au nom de l’intérêt général.

L’interprétation actuelle par Pôle Emploi est contradictoire avec l’article 6 de la CEDH mais aussi à l’article 1er du protocole n°1 pour rupture du juste équilibre à ménager entre la protection de la propriété et les exigences de l’intérêt général.

En conclusion, une proposition d’évolution législative.

Le texte de l’article L5422-5 du Code du travail pourrait être ainsi modifié :
- en supprimant dans le deuxième alinéa « En cas de fraude ou de fausse déclaration, elle se prescrit par dix ans » les termes de « ou de fausse déclaration »,
- ou en qualifiant la fausse déclaration d’intentionnelle « En cas de fraude ou de fausse déclaration intentionnelle, elle se prescrit par dix ans ».

Ou encore.

En cas de fraude ou de fausse déclaration, sauf en cas de bonne foi de la personne concernée, elle se prescrit par dix ans.

Le législateur pourrait également s’interroger sur la cohérence d’une prescription de 5 ans pour la fraude sociale mais de 10 ans pour la fraude spécifique aux prestations d’assurance de Pôle Emploi.

Charles Edouard PONCET, avocat au barreau des Hauts de Seine

[1L5422-5.

[2Articles L553-1, L821-5.

[3Article L852-1 du Code de la construction et de l’habitation.

[4Articles L725-12 et L.742-1.

[5Ch. Civ2 28 avril 2011 N° 10-19551 publié au bulletin.

[6Inédit, arrêt du 23 juin 2010 N°09-65939.

[7Article 2224 du Code civil.

[8Dans la limite du délai butoir de 20 ans de l’article 2242 du Code civil.

[9Cf. V. Circ. interministérielle DSS no 2010-260 du 12 juill. 2010 relative aux règles de prescription applicables en matière de sécurité sociale.

[10Par l’article 4 paragraphe III 2° de la loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001 portant diverses dispositions d’ordre social, éducatif et culturel.

[1129 juillet 2004 n° 2004-500.

[12Décision n° 2007-561 DC du 17 janvier 2008.

[13CEDH 23 juin 1993, Ruiz Matéos c/Espagne, req. no 12952/87.

[14Arrêt du 28 mai 2009, Varnima Corporation International SA c/ Grèce, n° 48906/06.