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Agences de presse : revirement concernant l’indemnité de licenciement des journalistes. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : vendredi 2 octobre 2020
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Un journaliste professionnel qui exerce sa profession dans une agence de presse peut-il prétendre à une indemnité de licenciement fixée par la commission arbitrale des journalistes s’il remplit les conditions fixées à l’article L7112-4 du code du travail ?

Le fait que son employeur n’est pas une entreprise de journaux et périodiques y fait-il obstacle ?

Dans un arrêt du 13 avril 2016 (pourvoi n° 11-28.713), la Cour de cassation avait exclu le journaliste professionnel travaillant pour le compte d’une agence de presse du bénéfice de l’indemnité de licenciement de l’article L7112-3 du code du travail.

Dans un arrêt du 30 septembre 2020 (n°19-12.885), la Cour de cassation revient sur sa position et procède à un revirement de jurisprudence.

Dans un attendu de principe, la Cour de cassation affirme qu’« il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas. Les dispositions des articles L7112-3 et L7112-4 du code du travail sont applicables aux journalistes professionnels au service d’une entreprise de presse quelle qu’elle soit ».

1) Faits et procédure.

M. X. a été engagé, le 29 juillet 1981, en qualité de journaliste rédacteur stagiaire par l’Agence France Presse (l’AFP) puis titularisé le 1er février 1982.

Licencié pour faute grave le 14 avril 2011, il a saisi la juridiction prud’homale à l’effet d’obtenir paiement de diverses indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L’AFP s’est désistée de l’appel qu’elle avait formé contre le jugement de condamnation au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis, outre congés payés afférents, et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, rendu le 24 septembre 2014.

Le 28 août 2012, le journaliste a saisi la commission arbitrale des journalistes.

Celle-ci a retenu sa compétence pour statuer sur sa demande d’indemnité de licenciement et condamné l’AFP au paiement d’une certaine somme.

L’AFP s’est pourvue en cassation.

2) Moyen de l’AFP devant la Cour de cassation.

L’employeur faisait grief à l’arrêt de rejeter l’ensemble de ses demandes, de dire que le salarié est fondé à conserver la somme versée en exécution de la sentence et de le condamner aux dépens et au paiement d’une indemnité de procédure, alors

« qu’il résulte des articles L7112-2 à L7112-4 du code du travail que seuls les journalistes salariés d’une entreprise de journaux et périodiques peuvent prétendre à l’indemnité de congédiement instituée par l’article L7112-3 qui est fixée par la commission arbitrale des journalistes lorsque l’ancienneté excède quinze années ; que la commission arbitrale des journalistes n’a donc pas de compétence concernant les journalistes salariés des agences de presse, qui ne sont pas des entreprises de journaux et périodiques, puisqu’ils ne peuvent pas bénéficier de l’indemnité de congédiement instituée par l’article L7112-3 ; qu’en jugeant cependant en l’espèce que la commission arbitrale des journalistes était compétente pour statuer sur le montant de l’indemnité de licenciement due au salarié en conséquence de son licenciement par l’AFP bien qu’il ne fût pas salarié d’une entreprise de journaux et périodiques, la cour d’appel a violé les articles L7112-2 à L7112-4 du code du travail ».

3) Solution de la Cour de cassation.

Dans un attendu de principe, dans son arrêt du 30 septembre 2020, la cour de cassation affirme qu’

« il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas. Les dispositions des articles L7112-3 et L7112-4 du code du travail sont applicables aux journalistes professionnels au service d’une entreprise de presse quelle qu’elle soit ».

Rappelons que l’article L7112-3 du code du travail dispose que

« Si l’employeur est à l’initiative de la rupture, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par année ou fraction d’année de collaboration, des derniers appointements. Le maximum des mensualités est fixé à quinze ».

Quant à l’article L7112-4, il dispose que

« lorsque l’ancienneté excède quinze années, une commission arbitrale est saisie pour déterminer l’indemnité due.
Cette commission est composée paritairement d’arbitres désignés par les organisations professionnelles d’employeurs et de salariés. Elle est présidée par un fonctionnaire ou par un magistrat en activité ou retraité.
Si les parties ou l’une d’elles ne désignent pas d’arbitres, ceux-ci sont nommés par le président du tribunal judiciaire, dans des conditions déterminées par voie réglementaire.
Si les arbitres désignés par les parties ne s’entendent pas pour choisir le président de la commission arbitrale, celui-ci est désigné à la requête de la partie la plus diligente par le président du tribunal judiciaire.
En cas de faute grave ou de fautes répétées, l’indemnité peut être réduite dans une proportion qui est arbitrée par la commission ou même supprimée.
La décision de la commission arbitrale est obligatoire et ne peut être frappée d’appel
 ».

Cette indemnité de licenciement applicables aux journalistes est bien supérieure à l’indemnité légale de licenciement de droit commun qui est de :
- 1/4 de mois de salaire par année d’ancienneté pour les 10 premières années ;
- 1/3 de mois de salaire par année d’ancienneté à partir de la 11e année.

Dès lors, la cour de cassation conclut qu’

« ayant rappelé que l’article L7111-3 du code du travail qui fixe le champ d’application des dispositions du code du travail particulières aux journalistes professionnels définit ceux-ci comme toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes ou périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources et relevé que les articles L7112-3 et L7112-4 du même code ne prévoyaient pas expressément que leur champ d’application serait limité aux entreprises de journaux et périodiques, la cour d’appel, qui a retenu, à bon droit, que si une restriction apparaissait dans l’article L7112-2 du code du travail relatif au préavis, elle ne saurait être étendue aux articles L7112-3 et L7112-4, en a exactement déduit que la demande d’annulation de la sentence, qui avait accueilli la demande de fixation de l’indemnité de licenciement du salarié en application de ce dernier texte, devait être rejetée ».

Comme l’indique la Cour de cassation dans sa note explicative à l’arrêt du 30 septembre 2020, elle considère désormais que les articles L7112-3 et L7112-4 du code du travail sont applicables à tous les journalistes professionnels au service d’une entreprise de presse, quelle qu’elle soit.

Sources :

C. cass. 30 septembre 2020, n°19-12885.
Note explicative relative à l’arrêt du 30 septembre 2020, n°19-12885.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum